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Analyses

Portée de la renommée de la marque de l’Union européenne sur l’appréciation du risque de confusion - Retour sur l'arrêt MERCI QUERCY de la cour d’appel de Paris du 12 février 2021

PIBD 1166-II-1
Par Marianne Cantet
Texte

Par Marianne Cantet, chargée de missions juridiques au service contentieux de l'INPI

Résumé

Dans le cadre d’une opposition à l'encontre d’une demande d’enregistrement de marque française, la renommée de la marque antérieure de l'Union européenne doit être prise en considération comme facteur aggravant du risque de confusion, quand bien même elle ne serait pas connue auprès du public français.

En effet, selon les arrêts Pago et Iron & Smith de la Cour de justice de l'Union européenne, dès lors que la renommée d'une marque communautaire antérieure est établie sur une partie substantielle du territoire de l'Union européenne, qui peut, le cas échéant, coïncider avec le territoire d'un seul État membre, il y a lieu de considérer que cette marque jouit d'une renommée dans l'Union. Il ne saurait être exigé du titulaire de la marque qu'il apporte la preuve de cette renommée sur le territoire de l'État membre où la demande d'enregistrement de la marque nationale postérieure, faisant l'objet d'une opposition, a été déposée.

En conséquence, en raison de la protection uniforme dont la marque bénéficie sur tout le territoire de l'Union, dans l'appréciation du risque de confusion entre un signe second, objet d'une demande d'enregistrement de marque nationale, et une marque antérieure de l'Union européenne, il convient de tenir compte du point de vue du public dans l'ensemble de l'Union européenne et non du public français.

Faits

En 2015, la société August Storck, titulaire d’une marque de l’Union européenne portant sur le signe « MERCI » couvrant les « Sucreries, chocolat et produits à base de chocolat, pâtisserie », a formé, auprès de l’INPI, une opposition à l'encontre d’une demande d’enregistrement « MERCI QUERCY » déposée pour de nombreux produits alimentaires, notamment  les « cacao, pâtisseries et confiseries, biscuits ; gâteaux ; sucreries ; chocolat ; boissons à base de cacao, de chocolat ».

L’opposante faisait notamment valoir que sa marque MERCI était connue dans une partie substantielle de l’Union européenne et que cette distinctivité accrue devait être prise en compte en tant que facteur aggravant du risque de confusion. 

Dans une décision rendue le 3 décembre 2015, l’INPI a conclu à l’absence de risque de confusion entre les signes, refusant notamment de faire jouer la connaissance de la marque antérieure. En effet, si la renommée de la marque MERCI sur une partie substantielle de l’Union européenne (notamment en Allemagne, en Belgique, en Espagne, en Autriche, aux Pays-Bas et en Slovénie) était démontrée, en revanche la preuve n’était pas rapportée « qu’une partie non négligeable du public français [connaissait] la marque antérieure ».

Saisie d’un recours, la cour d’appel de Paris avait, dans un premier temps, suivi l’approche de l’INPI, retenant notamment  « [...] qu'il ressort desdites pièces qu'il n'est pas démontré que la marque communautaire "MERCI" serait connue d'une partie significative du public pertinent de l’État membre (en l'occurrence la France) dans lequel l'enregistrement de la marque nationale postérieure a été demandé »[1].

Toutefois, le 18 septembre 2019, la Cour de cassation a cassé cet arrêt au motif que « selon la Cour de justice de l'Union européenne (arrêts du 6 octobre 2009, Pago, C-301/07, points 27 et 29, et du 3 septembre 2015, Iron & Smith, C-125/14, points 19 et 20), dès lors que la renommée d'une marque communautaire antérieure est établie sur une partie substantielle du territoire de l'Union, pouvant, le cas échéant, coïncider avec le territoire d'un seul État membre, il y a lieu de considérer que cette marque jouit d'une renommée dans l'Union et il ne saurait être exigé du titulaire de cette marque qu'il apporte la preuve de cette renommée sur le territoire de l'État membre où la demande d'enregistrement de la marque nationale postérieure, faisant l'objet d'une opposition, a été déposée »[2].

C’est donc sur renvoi après cassation que la deuxième chambre de la cour d’appel de Paris s’est prononcée aux termes d’un arrêt du 12 février 2021[3].

L’enjeu de cette affaire est de savoir s’il convient d’apprécier selon les mêmes critères l’existence de la marque de l’Union européenne de renommée et la portée de sa protection dans les différents États membres de l’Union européenne.

Approche de l’INPI : un public de référence distinct pour apprécier l’existence ou la portée d’une marque de l’Union européenne renommée

S’il est acquis depuis l’arrêt Pago[4], confirmé sur ce point par l’arrêt Iron & Smith[5], qu’une marque de l’Union européenne doit être considérée comme une marque de renommée « lorsqu’elle est connue dans une partie substantielle du territoire de la Communauté européenne », en revanche la question de sa portée dans les pays où elle n’est pas connue par les consommateurs nationaux soulève davantage d’interrogations.

En particulier, dans l’arrêt Iron & Smith, la CJUE a jugé que, dans l’hypothèse où une marque est renommée sur une partie substantielle du territoire de l’Union européenne « mais pas auprès du public pertinent de l’État membre dans lequel l’enregistrement de la marque nationale postérieure concernée par l’opposition a été demandé », son titulaire ne peut bénéficier de la protection élargie prévue à l’article 4, paragraphe 3 de la directive 2008/95 que s’il démontre « qu’une partie commercialement non négligeable dudit public connaît cette marque, établit un lien entre celle‑ci et la marque nationale postérieure, et qu’il existe, compte tenu de tous les facteurs pertinents du cas d’espèce, soit une atteinte effective et actuelle à la marque communautaire, au sens de cette disposition, soit, à défaut, un risque sérieux qu’une telle atteinte se produise dans le futur »[6].

Ainsi, une marque de l’Union européenne renommée ne conférant pas automatiquement à son titulaire les mêmes droits dans tous les pays de l’Union européenne, il avait semblé légitime pour l’INPI de transposer la condition dégagée dans l’arrêt Iron & Smith en matière d’atteinte à la renommée[7] à l’appréciation du risque de confusion[8].

Pour l’Institut, afin d’évaluer ce risque de confusion, seule devait être prise en considération la notoriété de la marque antérieure susceptible d’influencer la perception du public français, ce qui supposait de l’établir auprès « d’une partie commercialement non négligeable » de ce dernier, conformément aux termes de l’arrêt Iron & Smith.

À défaut, la prise en considération systématique de la connaissance de la marque de l’Union européenne comme facteur aggravant du risque de confusion, même dans les États où elle n’est pas connue, revenait selon l’INPI, d’une part, à s’affranchir du principe fondamental selon lequel le risque de confusion s’apprécie au regard du public de référence et, d’autre part, à conférer un avantage non négligeable aux titulaires de marques de l’Union européenne par rapport aux titulaires de marques nationales.

Or, le système de la marque de l’Union européenne n’a jamais eu vocation à se substituer aux systèmes nationaux, et le choix du législateur s’est porté sur une coexistence des systèmes[9] imposant qu’un équilibre soit assuré entre ces deux systèmes.

Ainsi, dans ses conclusions dans l’affaire Iron & Smith, l’Avocat général affirmait, au point 30 : « il importe également de souligner qu’il doit être permis aux marques nationales d’exister parallèlement aux marques communautaires. Ce principe d’une existence parallèle des deux systèmes de marques serait vidé de son sens dans l’hypothèse où, dans le contexte de la seconde condition prévue à l’article 4, paragraphe 3, de la directive 2008/95, la connaissance par le public concerné dans l’État membre dans lequel l’enregistrement de la marque postérieure est demandé, ne se verrait pas accorder l’importance qui lui est due ».

L’approche de l’INPI est toutefois sanctionnée par la cour d’appel qui adopte une approche « maximaliste » du caractère unitaire de la marque de l’Union européenne.

Approche de la cour d’appel : mise en avant du caractère unitaire de la marque de l’Union européenne

S’alignant sur l’arrêt de la Cour de cassation, la cour d’appel de Paris n’opère pas de distinction entre la question de l’existence de la marque de renommée de l’Union européenne et celle de la portée des droits qu’elle confère à son titulaire.

Ainsi, comme la Cour de cassation dans son arrêt du 18 septembre 2019, elle relève qu’il ressort de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne (arrêts du 6 octobre 2009, Pago, C-301/07, points 27 et 29, et du 3 septembre 2015, Iron & Smith, C-125/14, points 19 et 20) que « dès lors que la renommée d'une marque communautaire antérieure est établie sur une partie substantielle du territoire de l'Union, pouvant, le cas échéant, coïncider avec le territoire d'un seul État membre, il y a lieu de considérer que cette marque jouit d'une renommée dans l'Union et il ne saurait être exigé du titulaire de cette marque qu'il apporte la preuve de cette renommée sur le territoire de l'État membre où la demande d'enregistrement de la marque nationale postérieure, faisant l'objet d'une opposition, a été déposée ».

Et la cour de conclure que « dans l'appréciation du risque de confusion entre un signe second, objet d'une demande d'enregistrement de marque nationale, et une marque antérieure de l'Union européenne, il convient de tenir compte, en raison de la protection uniforme dont la marque bénéficie sur tout le territoire de l'Union, du point de vue du public dans l'ensemble de l'Union qui est, en ce cas, le public de référence ».

La cour considère ainsi que, dans le cadre d’une procédure d’opposition à un enregistrement national, le risque de confusion doit s’apprécier, non pas à l’aune du public de l’État où la demande postérieure a été déposée et où elle sera, le cas échéant, amenée à produire ses effets, mais à l’aune des consommateurs européens dans leur ensemble.

Cette solution conduira ainsi l’INPI à tenir compte d’un public de référence différent selon que l’opposition aura été formée au titre de l’article L. 711-3 1° b) ou de l’article L. 711-3 2° du CPI. L’Institut devra en effet apprécier l’existence d’un risque de confusion entre la marque antérieure de l’Union européenne et la demande d’enregistrement au regard de l’ensemble des consommateurs européens (L. 711-3 1° b)) tandis que, pour l’appréciation de l’atteinte ou du risque d’atteinte à la renommée de la marque antérieure (art L.711-3 2°), il devra se référer au public français et rechercher si une partie commercialement non négligeable de celui-ci connaît la marque antérieure, conformément à l’arrêt Iron & Smith.

*    *    *

En proposant d’apprécier de façon largement fictive la connaissance de la marque de l’Union européenne au regard de l’ensemble des consommateurs de l’Union, les juridictions françaises nous semblent faire la part belle à l’effet unitaire de la marque de l’Union européenne au détriment des marques nationales.

À cet égard, dans son arrêt Iron & Smith, la Cour de justice avait veillé à respecter un certain équilibre entre les deux systèmes. Comme le relevait Arnaud Folliard-Monguiral, « la réponse de la Cour de justice est un compromis entre une approche « maximaliste » ou abstraite de l'effet unitaire propre à la marque communautaire et une approche plus concrète concentrée sur les situations nationales »[10].

Délaissant cette position de compromis, la cour d’appel opte pour une approche de type « maximaliste » conférant un avantage non négligeable aux titulaires de marques de l’Union européenne, à qui il suffira de démontrer que leur marque est connue dans une partie substantielle de l’Union – qui, rappelons-le, peut coïncider avec le territoire d’un seul État membre – pour bénéficier d’une protection accrue dans l’ensemble des autres pays de l’Union européenne.

En l’espèce, cette solution apparaît d’autant plus favorable au titulaire de la marque de l’Union européenne antérieure MERCI que celle-ci ne semblait pas bénéficier d’une distinctivité intrinsèque très forte. L’INPI considérait ainsi que la présence de ce terme, porteur d’un message laudatif, au sein du signe MERCI QUERCY, serait spontanément perçu par le consommateur dans son sens courant et non comme une reprise de la marque antérieure.

Au regard de l’importance de la problématique en cause, à savoir le délicat mais nécessaire équilibre entre marques de l’Union européenne et marques nationales, on peut regretter que les juridictions françaises n’aient pas jugé utile de poser une question préjudicielle à la Cour de justice de l’Union européenne, laquelle avait été sollicitée à la fois par la requérante et par l’INPI.

[1] CA Paris, pôle 5, 1re ch., 25 avr. 2017, 16/05465, M20170211, PIBD 2017, 1078, III-611, avec une note.

[2] Cass. com., 18 sept. 2019, K 17-26.274, M20190235.

[3] CA Paris, pôle 5, 2e ch., 12 févr. 2021,19/22595, M20210048, PIBD 2021, 1160, III-7.

[4] CJUE, 2e ch., 6 oct. 2009, Pago International GmbH, aff. C.301-07, points 27 et 29 (M20090584 ; PIBD 2010, 911, III-80 ; Europe, déc. 2009, p. 32, note de L. Idot ; Propr. industr., déc. 2009, p. 24, note d'A. Folliard-Monguiral).

[5] CJUE, 4e ch., 3 sept. 2015, Iron & Smith KFT, C-125/14, points 19 et 20 (PIBD 2015, 1036, III-666 ; Dalloz, 31, 17 sept. 2015, p. 1768, note ; Comm. com. électr., oct. 2015, p. 25, note de C. Caron ; Propr. industr., oct. 2015, p. 32, note d'A. Folliard-Monguiral ; Propr. industr., nov. 2015, p. 26, note de Y. Basire ; RTD eur., 4, oct.-déc. 2015, p. 880, note d'É. Treppoz ; Europe, nov. 2015, p. 40, note de L. Idot ; Propr. intell., 58, janv. 2016, p. 87, note de Y. Basire ; L'Essentiel, 10, nov. 2015, p. 5, note de J.-P. Clavier).

[6] CJUE, Iron & Smith précité, point 34.

[7] Régime spécifique prévu à l’art. 4§3 de la directive 2008/95, devenu art. 5§3 a) de la directive 2015/2436, transposé à l’article L. 711-3 2° du CPI.

[8] Art. 4§1 b) de la directive 2008/95, devenu art. 5§1 b) de la directive 2015/2436, transposé à l’article L. 711-3 1° b) du CPI.

[9] Considérant 6 du règlement n°40/94 du 20 décembre 1993 instaurant la marque communautaire : « Considérant que le droit communautaire des marques ne se substitue toutefois pas aux droits des marques des États membres; que, en effet, il n'apparaît pas justifié d'obliger les entreprises à déposer leurs marques comme marques communautaires, les marques nationales demeurant nécessaires aux entreprises ne désirant pas une protection de leurs marques à l'échelle de la Communauté ».

[10] Propr. industr., oct. 2015, p. 32, note d'A. Folliard-Monguiral.

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