Par Steeve Gallizia, chargé de valorisation des archives patrimoniales de l'INPI
Le 1er novembre, jour de la Toussaint, est généralement consacré à la visite des cimetières où reposent les proches disparus. Mais fleurir les tombes et rendre hommage aux défunts est une pratique récente, apparue au XIXe siècle. Tout commence par la promulgation, le 12 juin 1804, du décret impérial sur les sépultures. Napoléon Bonaparte entend marquer ce que l’on appelle aujourd’hui « la transition funéraire » : à partir du début du XIXe siècle, le cimetière moderne apparaît progressivement. Parmi les 410 000 dossiers de brevets d’invention conservés par l’Institut national de la propriété industrielle, un bon nombre témoignent de ces transformations, dont quelques-uns sont… surprenants !
À partir de 1804, la normalisation nationale des lieux d’inhumation est encadrée par plusieurs articles : l’inhumation à l’intérieur des églises est dorénavant interdite, les cimetières intramuros sont supprimés, et la propriété des cimetières est transférée à l'autorité communale.
Il faut donc désormais penser et concevoir de nouveaux espaces pour les morts, dont l’agencement doit donner une place à chacun, séparée de celle des autres. La recherche de terrains disponibles devient alors l’une des préoccupations des élus. Certains proposent de restreindre les dépenses foncières en optimisant l’espace, comme Charles-George-Christ Schoeck-Jaquet qui brevète, en 1874, un cimetière-nécropole dont la disposition fait « l’économie de place […] en comparaison avec les inhumations ordinaires, car on peut superposer 3, 4 et même 5 cellules mortuaires ». C’est le cas également d’un certain Manaud qui brevète un nouveau genre de tombeau casier en 1865.
L’application du décret se fait progressivement et de façon inégale selon les municipalités, leur taille et surtout leurs moyens. Pendant tout le XIXe siècle, la suppression et la création des cimetières deviennent des questions cruciales, parfois sources d’âpres débats dans lesquels se mêlent souci de rentabilité et préoccupations hygiénistes. En 1887, Paul Coupry fait breveter un nouveau système de construction des cimetières dits « de l’Avenir ». Architecte de la ville de Nantes, Coupry met au point un système d'assainissement des sépultures qu’il présente également à l'Exposition internationale d'hygiène de Paris l’année suivante. Il en fait la publicité dans une brochure au titre provocateur : « Les cimetières barbares du 19e siècle remplacés par les cimetières de l’Avenir ». Conformément à l’accroche de son principe fondamental : « si vous noyez les morts, vous empoisonnez les vivants », Paul Coupry propose un système de drainage élaboré aussi bien pour les fosses communes que pour les catacombes et les caveaux. Sa grande idée est de mettre tous les cercueils au sec pour une décomposition des cadavres plus rapide et plus propre. Il affirme par ailleurs sans hésitation : « aucun terrain n'est naturellement bon pour la création de cimetières, tous peuvent le devenir ».
En conséquence de ces nouvelles installations, la demande de cercueils augmente. Ils étaient jusque-là réservés à une élite ou constitués de quelques planches pour les plus modestes. Leur fabrication s’accélère et leur accès se démocratise. On peut même désormais choisir entre différentes versions accompagnées de nombreuses innovations. Dans ce domaine, les Français ne sont pas les seuls à innover. L’américain Almond-Dunbar Fisk propose un cercueil métallique imperméable à l’air, connu aux États-Unis sous le nom de cercueil « momie ». Il en dépose le brevet en France le 25 février 1850.
Prises par souci d’hygiène et de salubrité au départ, les mesures du décret impérial ont aussi pour conséquence la création d’espaces ouverts, propices au recueillement, au souvenir des disparus et aux promenades dominicales que l’on connaît aujourd’hui. De fait, une plus grande attention est accordée aux tombes et à leurs ornements. Car, même si le décret établit que les tombes, désormais placées hors de la ville, doivent être égales pour éviter la discrimination entre les défunts, il est possible de les différencier en plaçant un signe « indicatif de sépulture ». On cherche donc à se distinguer des autres : sur les concessions des plus nantis, on imagine des monuments destinés à se distinguer au-delà de la vie terrestre et pour l’éternité. Ainsi, André Cordier1 dépose en 1856 un brevet pour un genre de monument funéraire. Il explique que « chacun a le désir de marquer la place de celui que la mort lui enlève. C’est pour lui un épanchement à sa douleur quand on peut la marquer d’une pierre tant simple qu’il soit pour venir pleurer la créature que l’on a tant aimé ». L’invention de la photographie permet également de conserver sur les monuments l’image des disparus du temps de leur vivant, comme le propose Émile Olive dans son brevet pour un cadre funéraire pour photographie qu’il dépose en 1882.
Bien qu’enfermé dans son cercueil, le corps du défunt requiert aussi une attention particulière. Encouragés par les progrès de la médecine et de la chimie, certains souhaitent préserver les cadavres de la décomposition. De nouvelles techniques d’embaumement se développent, et la première méthode de thanatopraxie est brevetée en France en 1837 par le chimiste Jean-Nicolas Gannal2. Pourtant, la médecine à cette époque n’est pas totalement fiable, au point que de lugubres rumeurs circulent : quelques diagnostics erronés auraient causé des inhumations prématurées. Réelles ou imaginaires, ces histoires, relayées par la presse et la littérature d’épouvante, vont entraîner une vague de terreur, la taphophobie. Afin de remédier à cette peur d’être enterré vivant, de nombreux systèmes sont inventés. Eugen Roth brevète en 1895 « un dispositif pour le sauvetage des personnes ayant l'apparence de la mort ». Ce dispositif « a pour objet d’annoncer par un signal d’alarme le retour à la vie d’une personne enterrée vivante en ayant l’apparence de la mort et de lui fournir de l’air frais jusqu’à ce qu’on lui ait porté secours ». Le système fonctionne par contact, « mis en circuit électrique », des pieds ou des mains ou par la respiration. Un indicateur de température influe ensuite sur une sonnerie et un moteur. « Ce dernier actionnant un dispositif d’aérage du cercueil » …
Les conséquences de cette transition funéraire et des transformations qu’elle engendre font également émerger d’autres questions à la fin du XIXe siècle, dont celle du choix du mode de sépulture. Face à l’inhumation, l’incinération fait également des émules. Autant de nouveaux terrains d’innovation pour des inventeurs soucieux d’hygiène sanitaire ou avides de répondre avec profit aux dernières volontés des vivants, même les plus fantasques. Dans tous les cas, au XIXe siècle, les inventions dans ce domaine si particulier qu’est la mort sont nombreuses et laissent percevoir la place grandissante que l’on accorde aux défunts, aussi bien dans le cimetière lui-même que dans les croyances et mentalités qui perdurent jusqu’à nos jours.
(Cet article est également paru dans le Journal spécial des sociétés, n° 68, 31 oct. 2020.)
1 Brevet d'invention de 15 ans n° 28817 déposé le 21 août 1856 par André CORDIER, fruitier, pour un genre de monument funèbre. (INPI, 1BB28817).
2 Brevet d'invention de 15 ans déposé le 11 août 1837 par GANNAL Jean-Nicolas, chimiste, procédés perfectionnés pour embaumer les cadavres. Dans son dossier, Gannal reconnaît comme co-inventeur un certain VAFFLARD, directeur de la Compagnie générale des sépultures (INPI, 1BA6018).