Contrefaçon des marques verbales françaises et de l’UE (non) - Imitation - Identité ou similarité des produits - Reproduction du nom patronymique - Caractère courant - Élément distinctif et dominant - Adjonction d’un prénom, d’un élément figuratif et d’une mention - Ressemblance visuelle, phonétique et intellectuelle - Risque de confusion - Famille de marques
Validité de la marque semi-figurative (oui) - Caractère déceptif - Provenance géographique ou qualité des produits
Déchéance de la marque semi-figurative - 1) Usage sérieux (oui) - Exploitation sous une forme modifiée - Altération du caractère distinctif (non) - 2) Marque devenue trompeuse (oui) - Provenance géographique des produits
Déchéance de la marque verbale (oui) - Marque devenue trompeuse - Provenance géographique des produits
Pratiques commerciales trompeuses (oui) - Mentions trompeuses - Provenance géographique des produits
Garantie d’éviction du cédant (non) - Marques devenues trompeuses du fait du cessionnaire
Validité des marques françaises et de l’UE (oui) - Dépôt de mauvaise foi (non) - Intérêts sciemment méconnus - Volonté de conforter des droits
L’usage du signe « Auguste Mattei » pour commercialiser du whisky ne constitue pas la contrefaçon par imitation des marques internationales désignant l’UE CAP MATTEI et MATTEI et des marques françaises MATTEI et L. N. MATTEI, visant des boissons alcoolisées. Les produits en cause sont identiques ou similaires, la catégorie large des « boissons alcoolisées » englobant les spiritueux. Les signes présentent une ressemblance sur les plans visuel et phonétique. S’ils partagent un nom patronymique commun très courant en Italie et assez répandu en Corse et dans les Bouches-du-Rhône, l'ajout du prénom « Auguste », de la carte de la Corse et de la mention « casa fundata in 1912 » dans le signe litigieux matérialise une différenciation apparente ne pouvant être qualifiée d'insignifiante. Sur le plan conceptuel, il n'est pas établi qu’Auguste Mattei constituerait, auprès du consommateur grand public dont l'attention est moyenne même à l'occasion du choix de whiskies, une personne physique historiquement ou culturellement identifiée et renvoyant sans ambiguïté à l'histoire ou l'environnement des produits marqués, et non un simple personnage imaginaire. Hormis une évocation de la Corse ou de l'Italie, les signes en cause n’ont donc pas de signification particulière. Aucun risque de confusion n’apparaît de prime abord évident, même en tenant compte de l’identité des produits. La société demanderesse est mal fondée à invoquer une famille de marques ayant toutes en commun le signe « Mattei » qui bénéficierait d’une haute connaissance sur le marché concerné, de sorte que le public serait amené à penser que le signe litigieux appartient à cette famille. En effet, des titulaires de marques antérieures distinctes contenant le nom « Mattei » ont toléré l’emploi du signe « Auguste Mattei » pour du whisky, antérieurement au dépôt des marques opposées. Or, seule la renommée de la marque antérieure peut avoir un impact sur l'examen du risque de confusion.
La marque semi-figurative AUGUSTE MATTEI CAP CORSE ne peut être annulée pour caractère déceptif. Le nom « Cap Corse » ne constitue pas une appellation d’origine, mais désigne communément un apéritif à base de vin, d’agrumes, d'herbes aromatiques et de quinquina. Dès lors, son usage n'est pas réservé aux seuls apéritifs produits en Corse, et la reproduction de ce nom sur l'étiquette des produits litigieux n'est pas en soi de nature à tromper le consommateur sur leur provenance ou leur qualité. Toutefois, il est adjoint, au côté de cet élément verbal, une tête de maure, de profil et ceinte d'un bandeau blanc, qui sera aisément reconnaissable par le consommateur d'attention moyenne comme symbolisant l'identité insulaire. Associée à la mention « Cap Corse », elle tendra naturellement à signifier, dans l'esprit de ce même consommateur, la provenance corse du produit qui en est revêtu. Néanmoins, s’agissant d’un motif absolu de nullité, le caractère déceptif s'apprécie au jour du dépôt, en considération de la marque en elle-même, indépendamment du contexte et de l'usage qui en est fait[1]. Or, si la marque litigieuse est ainsi susceptible de se révéler trompeuse dans le cas où l'apéritif ne provient pas effectivement de Corse, un tel caractère trompeur sera fonction de l'usage qui en est fait, de sorte que cette marque n'est pas nulle per se.
En revanche, la marque encourt la déchéance en ce qu’elle est devenue trompeuse sur la provenance géographique du produit qu’elle désigne. En l’espèce, il n'est pas établi que, contrairement à l’exploitant antérieur, la société cessionnaire produise son apéritif localement. Au contraire, elle ne conteste pas avoir son unité de distillation sur le continent.
La marque verbale CAP MATTEI est également devenue trompeuse sur la provenance géographique. Le terme « Mattei » est un nom patronymique courant en Italie, mais également en Corse et dans les Bouches-du-Rhône, et le terme « Cap » est évocateur d'une pointe de terre s'avançant dans la mer. À eux seuls, ces éléments verbaux, appréciés dans leur globalité, ne renvoient pas nécessairement à l'île Corse. Ils ne peuvent donc être considérés comme de nature à tromper le consommateur sur la provenance de l'apéritif commercialisé sous cette marque. La société défenderesse fait état d'une utilisation sur des étiquettes de sa marque verbale au-dessus du signe « Cap Corse » en gros caractères, la carte de la Corse étant reproduite entre ces éléments verbaux, le tout sur fond d'un cliché du maquis corse. Un tel usage, en ce qu'il revendique clairement une association avec la Corse, et alors même que l'apéritif commercialisé sous ce signe n'est pas produit sur l'île, présente un caractère trompeur.
Tribunal judiciaire de Paris, 3e ch., 2e sect., 21 janvier 2022, 20/00412 (M20220021)
La Distillerie SA c. Maunier 1986 SAS et Terroirs Distillers SAS
Les juridictions nationales ont été relativement peu saisies, sur le fondement de l’article L. 714-6 b) du CPI, de demandes en déchéance des droits sur une marque qui serait devenue, du fait de son titulaire ou d'un tiers autorisé, propre à induire en erreur sur la provenance géographique des produits ou services désignés. Elles ont, à de rares occasions, fait droit à de telles demandes, comme c’est le cas dans la décision ci-dessus publiée.
La notion de provenance géographique a été précisée par la jurisprudence, notamment à l’occasion d’affaires dans lesquelles les marques contestées comprenaient un nom géographique. Ainsi un jugement[2] a dit qu’une indication de provenance devait s’interpréter comme une indication sur le lieu géographique de fabrication des produits désignés. Il a prononcé la déchéance partielle des droits du titulaire sur la marque MONTANA déposée pour désigner des « couleurs, vernis, laques, préservatifs contre la rouille et la détérioration du bois, matières teintoriales, mordants, résines naturelles, tous produits de provenance suisse », au motif que celle-ci était devenue propre à induire en erreur sur la provenance géographique de ces produits, du fait de la commercialisation par des licenciés de bombes aérosols de peinture qui n’étaient pas fabriquées en Suisse.
Un autre jugement[3] a apporté un éclairage intéressant sur la notion de provenance géographique. Dans cette affaire, les sociétés poursuivies en contrefaçon avaient demandé la déchéance des marques la prairie SWITZERLAND désignant des produits cosmétiques haut de gamme, au motif qu’elles seraient devenues propres à induire le public en erreur sur la provenance géographique. Le tribunal était également saisi d’une demande en nullité de ces marques pour déceptivité qu’il a analysée en même temps. Il a d’abord relevé qu’une marque comprenant le nom d’un pays accolé à une désignation de fantaisie, conduisait le consommateur à identifier l’entreprise concernée au regard, notamment, de son pays d’origine. En l’espèce, il apparaissait, selon les juges, que la mention « Switzerland » constituait davantage une indication de l'origine géographique de la société titulaire, qu'une référence explicite au lieu de fabrication des produits concernés. À cet égard, elle n’était pas de nature à tromper le consommateur sur la provenance géographique des produits désignés. Le tribunal a ensuite recherché si la mention « Switzerland » induisait le consommateur en erreur sur l’origine suisse des produits concernés et affectait ainsi son comportement économique. Il a conclu qu’il résultait des documents produits aux débats que le processus de recherche aboutissant à la création des produits commercialisés sous les marques litigieuses et le contrôle de leur efficacité dépendaient d’unités de la chaine de production basées en Suisse. Dès lors, le fait que certains cosmétiques aient été conditionnés en dehors de ce pays était sans incidence. Par conséquent, les demandes en nullité et en déchéance ont été rejetées.
Un jugement[4] relatif à des demandes en nullité et en déchéance traitées concomitamment, qui concernaient les marques SCOTT-USA désignant des vêtements de sport, a relevé, pour sa part, qu’il était constant que le caractère trompeur d'une marque quant à sa provenance géographique s'appréciait par rapport à l'origine des produits ou services visés et non par rapport à la nationalité du titulaire, de sorte qu’il importait peu que les marques ne soient pas détenues par une société américaine. Il a dit que les marques, bien que désignant des produits ne provenant pas des États-Unis, n’induisaient pas le public en erreur sur l’origine géographique de ces derniers, « le sigle "USA‟ pouvant faire référence à toute autre idée, telle le mode de vie, le professionnalisme ou le côté précurseur souvent associée à ce pays » et a rejeté les demandes.
Cette approche semble se retrouver dans une affaire portant sur des marques, qui sans mentionner directement un pays, y feraient allusion. La société poursuivie en contrefaçon des marque verbales et semi-figuratives Le Coq Sportif a été déboutée de sa demande reconventionnelle présentée sur le fondement de l’article L. 714-6 b) du CPI. Selon le jugement[5], si l’image du coq était incontestablement évocatrice de la France, elle n’en constituait néanmoins pas le symbole officiel, et son nom ou sa représentation figurative ne rattachait donc pas nécessairement les produits concernés à une origine française. Par ailleurs, il a déclaré qu’il importait peu qu’une société néerlandaise soit désormais propriétaire des marques, celle-ci faisant partie d’un groupe dont la société holding était de droit français. Le jugement a conclu que dès lors que les marques ne faisaient pas directement référence à la France, mais l’évoquaient par association d’idées, et que de nombreux produits commercialisés sous des marques françaises étaient fabriqués à l’étranger, le public moyen ne saurait être trompé du fait de la fabrication des produits à l’étranger. En effet, les marques faisaient plus référence par leur symbole à un savoir-faire, une qualité, un style, des valeurs (notamment sportives) inhérentes à la France, qu’à un lieu de production.
La décision ci-dessus publiée a précisé que « la provenance, entendue comme production en un lieu déterminé, en l’espèce la Corse, ne sous-entend pas nécessairement que cette production est opérée selon des méthodes ou avec des ingrédients exclusivement d'origine corse ». Les marques contestées semi-figurative AUGUSTE MATTEI CAP CORSE et verbale CAP MATTEI comprennent des éléments verbaux ne renvoyant pas, à eux-seuls, à une provenance géographique, la mention « Cap Corse » n’étant pas une appellation d’origine et désignant communément l’apéritif en cause. Le tribunal a pourtant accueilli la demande en déchéance des marques, au motif qu’elles induiraient le consommateur en erreur sur la provenance géographique des apéritifs qu’elles désignent. En effet, il a estimé que les éléments figuratifs de la marque complexe et ceux de l’étiquette sur laquelle est utilisée la marque verbale, revendiquaient clairement une association avec la Corse. Or le titulaire ne produisait plus l’apéritif sur l'île, contrairement à l’exploitant précédent qui lui avait cédé les marques.
Cette décision est très similaire dans sa motivation à un arrêt d’appel[6] antérieur concernant la marque Les Galettes de Belle Isle pour désigner des galettes bretonnes. Les juges d’appel ont dit que, si le signe en lui-même n’avait pas été modifié, la marque apparaissait « de nature à induire en erreur compte tenu des modifications intervenues des conditions de son exploitation ». Ils ont notamment relevé que l'utilisation faite par le titulaire, sur les emballages de ses produits, de signes évoquant l'univers maritime (mouette, phare...) était accompagnée de références explicites à Belle-Île-en-Mer (photographies des principaux lieux touristiques de l'île avec la mention « Belle-Île-en-Mer » figurant sur un panneau touristique ou la mention « Comptoir de Belle-Île-en-Mer » en surimpression), sans qu'aucune mention du lieu de fabrication et des coordonnées du producteur n'apparaisse, sauf à retourner les boîtes. L’arrêt a conclu que les caractéristiques faisant faussement référence à Belle-Île-en-Mer étaient susceptibles de déterminer le choix de la clientèle, alors que les produits étaient fabriqués dans le Morbihan.
D’autres arrêts ont rejeté une demande en déchéance pour caractère déceptif. L’un d’eux, approuvé par la Cour de cassation[7], a débouté l’association de protection du whisky écossais de sa demande en déchéance des droits de la société poursuivie sur la marque verbale CROMWELL’S pour désigner du whisky, dès lors que l’usage de cette marque n’induisait pas le consommateur en erreur sur la provenance du produit. Reprenant la motivation relative au rejet d’une demande en concurrence déloyale également invoquée, il a notamment dit que la présentation d'ensemble du whisky dénommé « Cromwell's rare blended whisky » n'était pas de nature à conduire le public moyennement attentif à attribuer à ce produit une origine écossaise. Il a notamment retenu que ce whisky n'était pas présenté comme un whisky écossais, que le nom « Cromwell » évoquait le passé historique de l'Angleterre, que, ni ce nom, ni l'utilisation de la langue anglaise sur l'étiquette, n’étaient de nature à établir un lien dans l'esprit du consommateur entre l'Écosse et la boisson en cause et que l'étiquette du produit litigieux ne faisait aucune allusion à l'Écosse, à ses traditions ou à ses paysages.
Dans une autre affaire, la société demanderesse, qui importe et distribue en France du fromage grec bénéficiant de l’appellation d’origine protégée Feta, a agi notamment en déchéance des marques semi-figuratives Salakis qui désignent des fromages et produits laitiers fabriqués en France, en invoquant une tromperie visant à rapprocher ces produits du pays d’origine de la Feta. La cour d’appel[8] a d’abord relevé que les conditionnements sous lesquels étaient commercialisés les fromages litigieux étaient évocateurs d'un paysage maritime avec des couleurs bleue et blanche, sans référence particulière cependant à la Grèce. Elle a ensuite constaté que les campagnes publicitaires, importantes et récurrentes sur plusieurs années, avaient été conçues sur des références faites, sur un mode humoristique, à la Grèce et à la Mythologie. La cour d’appel a dit que ces références répétées, qui n’avaient pu que rapprocher la perception de ce produit laitier de l'univers de la Grèce, ne conduisaient pas, pour autant, le consommateur d’attention moyenne à percevoir le signe « Salakis », pris en lui-même, comme lui indiquant que le fromage aurait été fabriqué dans ce pays, conformément aux exigences de fabrication de la Feta. Enfin, elle a ajouté que si les dispositions transitoires applicables suite au règlement communautaire inscrivant la Feta dans le registre des appellations d'origine protégées n'avaient pas été respectées (interdiction de commercialiser des produits nouveaux et obligation d'indiquer sur les emballages l'origine française des produits), ces violations étaient toutefois insuffisantes pour conclure à une tromperie sur l'origine des produits.
Plusieurs décisions récentes ont concerné des demandes en déchéance pour déceptivité de marques désignant des produits viti-vinicoles. Un jugement[9] a fait droit à une demande en déchéance des droits sur les marques TERRA VECCHIA qui désignent des vins. En l’espèce, la société demanderesse qui agissait en contrefaçon de ces marques avait cédé à son adversaire la société agricole qui exploite le domaine viticole de Terra Vecchia, les marques étant restées sa propriété. Le défendeur prétendait que lui avait été transféré le droit au toponyme et que la cédante trompait le public sur l’origine des produits. Les juges ont relevé qu’« alors que la marque doit demeurer un instrument loyal d'information pour le consommateur en garantissant l'origine des produits », la demanderesse a continué à vendre du vin sous les marques litigieuses, alors qu'elle n'exploitait plus le domaine éponyme, mentionné au cadastre et préexistant auxdites marques, et qu'elle n'était plus propriétaire de la société qui produit les vins dudit domaine viticole. Ce faisant, elle a rendu les marques déceptives aux yeux des consommateurs qui pouvaient raisonnablement croire que le vin provenait de vignobles du domaine de Terra Vecchia, et ce d'autant qu'elle communiquait sur le fait que TERRA VECCHIA était une « marque authentique issue de nos vignobles corses ».
Dans une autre affaire était invoquée la déceptivité des marques de la société défenderesse incluant le terme « Cantemerle », en raison d’une dilution qui résulterait de l’accroissement récent et disproportionné du vignoble et de l’absence de vinification séparée respectant l’origine du raisin. Le jugement[10] a dit que le droit d’inclure le terme « Cantemerle » associé à ceux de « château » ou « cru » dans les marques litigieuses supposait de respecter les dispositions du décret du 19 août 1921 abrogées par l’article 28 du décret n° 2012-655 du 4 mai 2012 et qu’il convenait donc d’examiner le droit au toponyme de leur titulaire. Il a déclaré que l’usage d’un toponyme trompait le public si le titulaire ne pouvait se prévaloir d’un droit sur celui-ci. Il a ajouté qu’il était de jurisprudence constante que les parcelles désignées par le toponyme devaient représenter un pourcentage significatif du vignoble exploité et que la production de cette parcelle devait faire l’objet d’une vinification séparée. En l’espèce, le pourcentage de parcelles situées au lieu-dit « Cantemerle » - environ 13 % de la superficie totale de l’exploitation - était insuffisant à constituer un pourcentage significatif et ne pouvait permettre à la société défenderesse de vendre le vin qu’elle produisait sous le nom de litigieux. Au surplus, la preuve n’était pas rapportée d’une vinification séparée du raisin issu des tènements pouvant prétendre au toponyme de « Cantemerle ». Ce terme constituait donc un élément de la marque de nature à tromper le public notamment sur la provenance géographique du produit ou du service.
En revanche, une cour d’appel[11] infirmative a jugé que les marques invoquées CHATEAU-FIGEAC et CHATEAU DE FIGEAC n’étaient pas propres à induire le consommateur en erreur. Les juges d’appel ont estimé que les documents produits (ex. registres de récolte, attestations des commissaires aux comptes et expert-comptable) démontraient d’une part, que l'ensemble des jus entrant dans la composition des vins provenaient exclusivement de raisins récoltés sur les parcelles intégrées à l'assiette foncière du domaine du Château de Figeac et étaient vinifiés sur le domaine et d’autre part, qu’il n'était procédé à aucun achat de raisins extérieur au domaine.
Depuis le 1er avril 2020, suite à l'entrée en vigueur de l'ordonnance du 13 novembre 2019, l’INPI traite des demandes principales en déchéance d’une marque française. Il n’a pas encore eu à connaître d’une demande de déchéance de marque devenue propre à induire en erreur du fait de son titulaire.
Sylvie Lepoutre
Rédactrice au PIBD
[1] Le caractère déceptif d’une marque - tel que visé à l’ancien article L. 711-3 c) du CPI et, depuis l’entrée en vigueur de l’ordonnance du 13 novembre 2019, à son article L. 711-2-8 - doit s’apprécier à la date de la demande d’enregistrement, au regard du libellé des produits et services désignés. Comme tout motif absolu de nullité, il s’apprécie « in abstracto », sans prise en considération des conditions d’exploitation de la marque. La Cour de cassation (Cass. com., 15 mars 2017, Société Fermière du Château Léoville Poyferré et al. c. Olivier P et al., 15-19.513 et 15-50.038 ; M20170145 ; PIBD 2017, 1070, III-284 ; RJDA, juill. 2017, p. 591 ; D. IP/IT, juill.-août 2017, p. 403, note de Y. Basire ; Propr. industr., sept. 2017, p. 25, note de J. Cayron ; Légipresse, 354, nov. 2017, p. 575, note de Y. Basire ; Propr. intellect., 66, janv. 2018, p. 70, note de J. Canlorbe) l’a rappelé récemment dans un attendu de principe : « une marque est nulle lorsqu’elle est en elle-même susceptible de tromper le public sur l’une des caractéristiques des produits désignés dans son enregistrement, sans qu’il y ait lieu de prendre en considération les conditions de son exploitation, qui n’intéressent que la déchéance ultérieure des droits qui lui sont attachés ». Dans cette affaire, la cour d’appel, rendue sur renvoi après cassation sur ce point (CA Paris, pôle 5, 2e ch., 6 févr. 2015, 13-24.343, M20150035, PIBD 2015, 1024, III-241 ; Cass. com., 13 nov. 2013, 12-26.530, M20130710 ; PIBD 2014, 997, III-11 ; Propr. industr., sept. 2014, p. 19, note de J Caron) avait rejeté la demande en nullité de la marque Baron de Poyferré pour caractère déceptif en ce qu’elle désigne « les boissons alcooliques (à l'exception des bières), appellations Armagnac, Bas-Armagnac, Cognac, Brandy, Floc de Gascogne ; vins ; autres préparations alcoolisées ; fruits dans de l'alcool », aux motifs notamment qu'il n'existait, concernant plus particulièrement les distillats de vins, aucun risque de confusion sur la provenance des produits. La cour d’appel avait en effet estimé que le consommateur concerné, qui voudrait acheter ou aurait acheté une bouteille de tels produits, issus du Domaine de Jouanda dans les Landes et portant cette marque, ne serait pas amené à faire un lien avec le vin provenant de l'exploitation « Château Léoville Poyferré », située dans le Médoc. L'enregistrement de la marque ne précisant pas l'origine géographique du vin qu'elle désigne, la cour d’appel a été censurée pour s’être fondée sur les conditions d’exploitation de la marque. La Cour suprême avait déjà eu l’occasion de se prononcer sur ce sujet (Cass. com., 2 mai 2007, Vortex SA c. NRJ, 05-22.029 ; M20070244 ; PIBD 2007, 856, III-480 ; RJDA, janv. 2008, p. 89, note ; Propr. industr., oct. 2007, p. 32, note de J. Larrieu ; Propr. industr., juill.-août 2007, p. 27, note de P. Tréfigny). Elle avait approuvé un arrêt d’appel infirmatif (CA Paris, 4e ch., sect. A, 19 oct. 2005, 04/19319 ; M20050504 ; PIBD 2005, 820, III-735 ; Contrats, conc. consom., mai 2006, p. 42, note de G. Raymond ; Propr. industr., janv. 2006, p. 16, note de P. Tréfigny ; Propr. intell. 2006, n° 19, p. 217, obs. X. Buffet-Delmas) qui avait prononcé la nullité partielle de la marque PREMIER SUR LE MATIN pour caractère trompeur, en ce qu’elle désigne des émissions radiophoniques. La cour d’appel avait déclaré que la marque laissait croire aux auditeurs que la station de radio qui en est titulaire était la plus écoutée sur la tranche horaire du matin, ce qui n’était pas le cas au regard des études versées aux débats. Elle avait précisé que « le caractère déceptif d’une marque doit être apprécié en considération de la marque en elle-même indépendamment du contexte et de l’usage qui en est fait ». La Cour de cassation a jugé que la cour d’appel avait pris en considération la marque, dans son rapport avec le service désigné et non dans un usage particulier.
[2] TGI Paris, 3e ch., 3e sect., 30 nov. 2004, Montana Colors SL c. Farbo SA, 03/00564 ; M20040637.
[3] TGI Paris, 3e ch., 2e sect., 18 janv. 2008, Laboratoires La Prairie SA et al. c. La Colline Cellular Research Laboratories SA et al., 06/10020 ; M20080065 ; PIBD 2008, 874, III-320.
[4] TGI Paris, 3e ch., 1re sect., 7 sept. 2005, Scott USA Ltd c. Bifratex SARL, 03/19119 ; M20050518 ; PIBD 2006, 821, III-27.
[5] TGI Strasbourg, 1re ch. civ., 7 juill. 2006, Le Coq Sportif International BV c. Auchan France SA et al., 01/02032 ; M20060389 ; PIBD 2006, 838, III-653.
[6] CA Rennes, 3e ch. com., 13 oct. 2015, Biscuiterie du Guer SARL c. Kerfood SAS, 13/03463 ; M20150404 ; PIBD 2016, 1041, III-36.
[7] Cass. com., 28 nov. 2006, The Scotch Whisky Association c. Les Grands Chais de France SA et al., 04-14.124 ; M20060614 ; PIBD 2007, 846, III-114 ; CA Paris, 4e ch., sect. A, 8 oct. 2003, 02/05548 ; M20030568.
[8] CA Paris, pôle 5, 2e ch., 22 oct. 2010, OK SA et al. c. Société des Caves et des Producteurs Réunis de Roquefort SAS, 09/11691 ; M20100532 ; PIBD 2010, 930, III-825.
[9] TGI Paris, 3e ch., 2e sect., 25 mai 2018, Les Vins Skalli SAS c. Société Agricole de Terra Vecchia et al., 15/10851 ; M20180404.
[10] TGI Bordeaux, 1re ch. civ., 26 avr. 2016, Société civile Château Cantemerle c. Christophe M SELARL (en qualité de mandataire liquidateur de l’EARL Vignobles Mabille), 14/01976.
[11] CA Bordeaux, 1re ch. civ., 29 oct. 2019, Château de Figeac GFA c. Richard M et al., 17/00150 ; M20190270 ; PIBD 2020, 1130, III-43 ; Propr. industr., sept. 2020, chron. 7, J. Cayron.