Contrefaçon d’un dessin ou modèle communautaire - Demandes relatives à la réparation du préjudice et aux sanctions - Droit national applicable - Droit de l’État membre où se situe le tribunal saisi - Lieu du fait dommageable - Lieu où la protection est demandée
L’affaire au principal concernait une action en contrefaçon d’un dessin ou modèle communautaire introduite, devant une juridiction allemande, à l’encontre d’une société italienne à laquelle il était reproché de distribuer en Allemagne des pièces détachées automobiles en provenance d’Italie. Les faits reprochés consistaient, d’une part, en l’offre en vente de ces produits par des publicités en ligne adressées aux consommateurs se trouvant en Allemagne et, d’autre part, en leur mise sur le marché sur ce territoire. Le tribunal avait été saisi selon la règle de compétence internationale énoncée à l’article 82, § 5, du règlement (CE) n° 6/2002 qui désigne l’État membre sur le territoire duquel le fait de contrefaçon a été commis ou menace d’être commis[1]. En vertu de l’article 83, § 2, il était donc compétent uniquement pour statuer sur les faits commis ou menaçant d’être commis sur ce territoire.
La question préjudicielle portait sur la détermination, dans cette hypothèse, du droit applicable aux demandes tendant à ce qu’il soit ordonné au contrefacteur de payer des dommages-intérêts, de présenter des renseignements, des documents et des comptes, et de remettre les produits de contrefaçon en vue de leur destruction. La Cour de justice répond que le tribunal des dessins ou modèles communautaires, qui a été saisi d’une action en contrefaçon en vertu de l’article 82, § 5, du règlement, visant des faits commis ou menaçant d’être commis sur le territoire d’un seul État membre, doit examiner ces demandes annexes sur le fondement du droit de cet État.
En effet, les demandes tendant à l’indemnisation du préjudice et à l’obtention, aux fins de déterminer le préjudice, de renseignements sur les activités contrefaisantes relèvent de la règle énoncée à l’article 88, § 2, du règlement selon laquelle « pour toutes les questions qui n’entrent pas dans le champ d’application du présent règlement, le tribunal des dessins ou modèles communautaires applique son droit national, y compris son droit international privé ». La demande visant à la destruction des produits de contrefaçon relève, quant à elle, de la règle contenue à l’article 89, § 1, d), selon laquelle le tribunal prend toute ordonnance infligeant des sanctions « indiquées dans le cas d’espèce et prévues par la loi, y compris le droit international privé, de l’État membre dans lequel les actes de contrefaçon ou de menace de contrefaçon ont été commis ».
L’interprétation de ces dispositions doit se faire, selon la Cour, en combinaison avec la règle de droit international privé figurant à l’article 8, § 2, du règlement (CE) n° 864/2007 sur la loi applicable aux obligations non contractuelles («Rome II»). Aux termes de cette disposition, dans le cas d’une obligation non contractuelle résultant d’une atteinte à un droit de propriété intellectuelle communautaire à caractère unitaire, la loi applicable à toute question qui n’est pas régie par l’instrument communautaire pertinent est « la loi du pays dans lequel il a été porté atteinte à ce droit ». S’il ne peut être exclu qu’il ait également été porté atteinte au dessin ou modèle communautaire en cause dans d’autres États membres que celui où se situe le tribunal saisi de l’action en contrefaçon ou dans des pays tiers, ces éventuelles atteintes ne font pas l’objet du litige qui a été introduit en vertu de l’article 82, § 5, du règlement (CE) n° 6/2002. Le principe « lex loci protectionis », qui revêt, selon le considérant 26 du règlement (CE) n° 864/2007, une importance particulière dans le domaine de la propriété intellectuelle, est ainsi préservé.
La solution serait différente si le tribunal des dessins ou modèles communautaires avait été saisi suivant l’une des règles de compétence énoncées au paragraphe 1, 2, 3 ou 4 de l’article 82 (lieu du domicile ou de l’établissement du défendeur…) et qu’il aurait ainsi été compétent pour statuer sur les faits de contrefaçon commis ou menaçant d’être commis sur le territoire de tout État membre. Dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Nintendo[2] de la Cour de justice, où il était reproché au défendeur, dans le cadre d’une même action en justice, des actes de contrefaçon commis dans différents États membres, la Cour a considéré que l’expression « la loi du pays dans lequel il a été porté atteinte à ce droit » désignait la loi du pays dans lequel l’acte de contrefaçon initial avait été commis. Cette interprétation permet de garantir l’applicabilité d’une seule loi à l’ensemble des demandes annexes de l’action en contrefaçon qui cible plusieurs États membres à la fois. En revanche, dans l’hypothèse où l’action en contrefaçon vise des faits commis ou menaçant d’être commis sur le territoire d’un seul État membre, il ne saurait être exigé du tribunal saisi qu’il vérifie s’il existe, sur le territoire d’un autre État membre, un acte de contrefaçon initial et qu’il se fonde sur cet acte pour appliquer la loi de cet État.
Cour de justice de l'Union européenne, 5e ch., 3 mars 2022, C-421/20 (D20220021)[3]
Acacia Srl c. Bayerische Motoren Werke AG
(Décision préjudicielle)
[1] La Cour de justice considère que, par analogie avec un arrêt rendu en matière de contrefaçon d’une marque de l’Union européenne (CJUE, 5e ch., 5 sept. 2019, AMS Neve Ltd, C-172/18 ; M20190250 ; PIBD 2019, 1127, III-533 ; D IP/IT, sept. 2019, p. 466 ; Europe, nov. 2019, p. 55, note de L. Idot ; Propr. industr., nov. 2019, p. 30, note de A. Folliard-Monguiral ; Légipresse, 376, nov. 2019, p. 650, note de C. de Marassé Enouf ; Propr. intell., 74, janv. 2020, p. 125, note de T. de Haan ; D, 8, 5 mars 2020, p. 461, note de J.-P. Clavier ; Propr. industr., avr. 2020, chron. 4, N. Bouche), le fait que le défendeur a pris les décisions et les mesures en vue des actes reprochés dans un autre État membre, en l’occurrence l’Italie, ne fait pas obstacle à l’introduction d’une action en contrefaçon ciblant le seul territoire allemand.
[2] CJUE, 2e ch., 27 sept. 2017, Nintendo Co. Ltd, C-24/16 et C-25/16 (D20170097 ; PIBD 2017, 1081, III-752 ; D, 34, 12 oct. 2017, p. 1977 ; Propr. intellect., 65, oct. 2017, p. 110, note de P. de Candé ; Europe, nov. 2017, p. 54, note de L. Idot ; Propr. intellect., 66, janv. 2018, p. 65, note de A. Lucas ; Comm. Com. électr., janv. 2018, p. 25 et p. 28, note de M.-É. Ancel ; D IP/IT, mars 2018, p. 190, note de A.-E. Kahn ; Propr. industr., mars 2018, p. 43, note de J.-P. Gasnier ; D, 18, 10 mai 2018, p. 972 ; D, 28, 26 juill. 2018, p. 1573 ; Propr. industr., avr. 2020, chron. 4, N. Bouche).
[3] Dans cette affaire, la Cour de justice statue sur des questions préjudicielles posées par une juridiction allemande qui a été saisie d’une action en contrefaçon d’un dessin ou modèle communautaire formée par la société Bayerische Motoren Werke à l’encontre de la société Acacia qui produit, en Italie, des jantes pour véhicules automobiles et les distribue dans plusieurs États membres de l’Union européenne. La société italienne avait, de son côté, assigné le constructeur automobile devant une juridiction italienne en déclaration de non-contrefaçon. Ce litige a également donné lieu à un renvoi préjudiciel devant la Cour de justice, à propos de la compétence du tribunal des dessins ou modèles communautaires saisi (CJUE, 2e ch., 13 juill. 2017, Bayerische Motoren Werke AG, C-433/16 ; Europe, oct. 2017, p. 48, note de L. Idot ; Propr. industr., nov. 2017, p. 49, note de A. Folliard-Monguiral ; D, 28, 26 juill. 2018, p. 1574).