Validité de la marque (oui) - Caractère distinctif - Caractère descriptif - Tendance de la mode - Caractère évocateur - Fonction d’indication d’origine
Demande en déchéance - Demande additionnelle - Recevabilité (oui) - Lien suffisant avec la demande initiale en nullité - Signe identique - Entrave à l'activité d'autrui
Déchéance de la marque pour dégénérescence (non) - Dénomination devenue usuelle - Fait du titulaire - Preuve - Public pertinent - Usage sous une forme modifiée
La marque verbale ESSENTIEL, déposée pour désigner des sacs à main, des vêtements et des chaussures, est distinctive. Le terme « essentiel » est défini par les dictionnaires de la langue française, soit comme un adjectif pour qualifier un sujet « qui est indispensable », « nécessaire » ou à tout le moins « d'une grande importance », soit comme un substantif pour désigner « ce qu'il y a de plus important ». Si ce terme peut être utilisé pour qualifier l’un des produits visés à l'enregistrement de la marque et ainsi exprimer son caractère nécessaire dans toute garde-robe, il ne correspond pas pour autant à la terminologie employée habituellement par le public pertinent pour désigner, au jour du dépôt de la marque, les produits litigieux eux-mêmes ou une de leurs caractéristiques essentielles. La marque permet donc au public concerné d'identifier la provenance des produits sur lesquels elle est apposée. Par ailleurs, si le terme « essentiel » peut être appréhendé dans le monde du prêt-à-porter comme un « basique », c'est-à-dire comme une pièce ou un accessoire que chacun se doit de détenir, cette analyse ne fait que traduire une évolution du marché vers une offre de produits intemporels. Lorsqu’il est ainsi utilisé, il désigne des pièces indispensables dans une garde-robe et ne vise pas nécessairement les produits eux-mêmes en tant que tels mais une certaine tendance, qui par essence est évolutive et est susceptible d'intégrer des produits variés. Si la marque est évocatrice des produits visés à son enregistrement, elle apparaît néanmoins suffisamment distinctive pour être jugée valide.
Une demande additionnelle n’est recevable que si elle se rattache aux prétentions originaires par un lien suffisant. Aux termes de son assignation, la société demanderesse a sollicité la nullité de la marque ESSENTIEL fondée sur le défaut de distinctivité du signe. Le fait qu’elle ait présenté, dans ses dernières conclusions, une demande de déchéance fondée sur la dégénérescence de la marque ne constitue pas un motif d'irrecevabilité. En effet, il ne s'agit pas d'une demande additionnelle sans lien avec la prétention initiale, dès lors qu’elle vise le même signe et poursuit le même objectif, à savoir priver la société défenderesse du signe « Essentiel » pour la commercialisation de vêtements et accessoires. La demande est donc recevable.
En l’espèce, il n’est pas démontré que le terme « Essentiel » est utilisé par le public pertinent pour désigner des vêtements, chaussures et sacs à main et que la société titulaire a laissé le consommateur employer sa marque de façon usuelle pour désigner ces différents produits. En effet, les pièces versées aux débats (titres d'articles de nombreux magazines et sites internet) n’établissent pas l’utilisation usuelle du signe par le consommateur, mais seulement par la presse – essentiellement féminine – ou des blogueuses. En outre, le signe n’est pas exclusivement utilisé pour désigner des vêtements, chaussures ou sacs à main, mais également des produits de beauté (Les essentiels de la beauté, un essentiel de l’hiver...), l'équipement du motard, des chapeaux et lunettes ainsi que des sacs à dos ou de plage. Par ailleurs, le signe n'est pas utilisé de façon strictement identique à la marque puisqu'il est utilisé quasi-systématiquement au pluriel et systématiquement précédé d'un article défini et/ou d'un adjectif et généralement suivi d'un complément d'objet indirect (Les essentiels du printemps, Les essentiels de l'été ...). En tout état de cause, le terme « essentiel » renvoie, dans les articles de presse, à une tendance plutôt qu'aux produits eux-mêmes. En conséquence, la demande tendant à voir constater la déchéance des droits sur la marque ESSENTIEL est rejetée.
Tribunal judiciaire de Paris, 3e ch., 2e sect., 18 février 2022, 19/04388 (M20220072)
Fear of God c. Kadine