Revendication de propriété de la marque - Dépôt frauduleux (oui) - Dépôt par un ancien salarié - Entrave à l'exploitation du signe d'autrui - Intention de nuire - Mauvaise foi - Connaissance de l’usage antérieur du signe - Secteur d'activité
Concurrence déloyale et parasitaire - Atteinte à l’image (non) - Usurpation du signe d’autrui - Risque de confusion - Volonté de profiter des investissements d’autrui (oui)
Un dépôt de marque est fait en fraude des droits des tiers lorsqu’il est effectué dans la seule intention de nuire et/ou de s'approprier indûment le bénéfice d'une opération légitimement entreprise ou d'y faire obstacle, en opposant à celle-ci la propriété de la marque indûment obtenue. La fraude équivaut en droit de l'Union européenne à la notion de mauvaise foi[1].
En l’espèce, il est établi qu’à la date du dépôt de la marque, l'association demanderesse utilisait régulièrement le signe « booster d'innovations sociales » dans le cadre de la mise en œuvre d’un projet européen qui avait pour but d'accompagner des innovations sociales jusqu'à leur développement. C'est sous ce signe qu'elle présentait sa réponse à ce projet, ainsi que l'établissent plusieurs communications sur différents sites internet, faisant notamment état de son appel à candidatures pour l'accompagnement d'innovations sociales.
Les différents comptes rendus d'entretiens professionnels de la défenderesse mentionnent ce projet et la charge de travail qu'il représentait pour elle. Surtout, elle utilisait la notion de « booster d'innovations sociales » dans ses différents courriels et se présentait sur les réseaux sociaux comme créatrice de ce concept. Ainsi, en déposant la marque Booster d'innovations sociales alors qu'elle était encore liée à l'association demanderesse par les termes de son contrat de travail, la défenderesse savait qu'elle procédait à la demande d'enregistrement comme marque d'un signe utilisé par son ancien employeur pour son activité.
Le fait que la marque ait été enregistrée seulement pour les services bancaires en ligne et les recherches scientifiques et techniques, qui ne couvrent pas l’activité de l’association demanderesse est inopérant. En effet, la démonstration de l'appropriation frauduleuse d’un signe ne requiert pas celle de l'existence d'un risque de confusion. Au surplus, les services couverts par la notion utilisée par l'association pouvaient correspondre, s'agissant des axes d'innovation retenus dans le cadre du projet - soit la recherche & développement et le développement durable - aux services de « recherches scientifiques et techniques » visés par la marque en cause.
Il est également établi que l’association a continué à utiliser le signe « booster d'innovations sociales » dans les semaines précédant le dépôt de marque litigieux. Il est indifférent que le programme d'accompagnement développé par la défenderesse soit différent de celui que l'association proposerait désormais sous un autre titre.
Dès lors, la connaissance de l'usage de ce signe par son employeur caractérise l'intention de nuire de la défenderesse, puisqu'elle pouvait ainsi priver l'association d'un signe nécessaire à son activité, ce qui était de nature à entraver son activité économique. Il est donc fait droit à la demande en revendication de la propriété de la marque en cause.
Cour d’appel de Versailles, 12e ch., 16 juin 2022, 20/01404 (M20220195)
Association Choose Paris Région (anciennement dénommée Paris Région Entreprises) c. Catherine VD et Association Nov’impact
(Infirmation partielle TGI Nanterre, 1re ch., 22 janv. 2020, 17/12145)
[1] Sur la question de la fraude et de la mauvaise foi, voir l’étude de C. Martin : « De la fraude à la mauvaise foi : un passage de relais ou une continuité en matière de nullité du dépôt d’une marque française », parue au PIBD 2022, 1175, II-1.