Jurisprudence
Marques

Compétence des tribunaux des marques de l’UE pour statuer sur une demande reconventionnelle en nullité de marque en dépit du désistement de l’action principale en contrefaçon

PIBD 1202-III-2
CJUE, 13 octobre 2022

Action en contrefaçon d’une marque de l’UE - Demande reconventionnelle en nullité - Désistement de l’action en contrefaçon - Compétence du tribunal des marques de l’UE pour statuer sur la validité de la marque - Caractère autonome de la demande reconventionnelle

Texte

La question préjudicielle a été présentée dans le cadre d'une action en contrefaçon de la marque de l’Union européenne Apfelzügle, intentée devant une juridiction allemande. Il était reproché à l’exploitant d’une ferme fruitière et à une commune allemande d’utiliser ce signe pour une activité de récolte et de dégustation de pommes. Le terme « Apfelzügle » désigne, en Allemagne, un attelage de plusieurs remorques tirées par un tracteur, destiné à la cueillette des pommes. Les défendeurs ont formé une demande reconventionnelle en nullité de la marque. Suite au désistement du titulaire de son action en contrefaçon, le tribunal saisi s’est déclaré compétent pour statuer sur la demande reconventionnelle et a annulé la marque pour certains services. La commune a interjeté appel de ce jugement devant la juridiction de renvoi.

Cette juridiction se demande si un tribunal des marques de l’Union européenne, saisi d’une action en contrefaçon fondée sur une marque de l’Union européenne dont la validité est contestée au moyen d’une demande reconventionnelle en nullité, reste compétent pour statuer sur la validité de cette marque, en dépit du désistement de l’action principale.

La notion de « demande reconventionnelle » est une notion autonome du droit de l’Union et doit être interprétée de manière uniforme sur le territoire de cette dernière. En l’absence de définition dans le règlement (UE) 2017/1001, elle s’entend habituellement comme désignant un « contre-recours » introduit par le défendeur dans une procédure engagée contre lui par le requérant devant la même juridiction.

Bien que présentée dans le cadre d’un procès entamé au moyen d’une autre voie de droit, elle est une demande distincte et autonome, dont le traitement procédural est indépendant de la demande principale et qui peut, ainsi, être poursuivie même si le demandeur principal en est débouté. Si elle est conditionnée par l’introduction d’une action en contrefaçon et est, par conséquent, liée à cette dernière, cette voie de droit vise à étendre l’objet du litige et à faire reconnaître une prétention distincte et autonome de la demande principale, notamment afin que soit déclarée la nullité de la marque concernée. Ainsi, en impliquant l’extension de l’objet du litige et en dépit de ce lien entre le recours principal et la demande reconventionnelle, cette dernière en devient autonome et subsiste en cas de désistement du recours principal. La demande reconventionnelle se distingue, dès lors, d’un simple moyen de défense et son sort ne dépend pas de celui de l’action en contrefaçon à l’occasion de laquelle elle a été introduite.

Certes, le règlement réserve à l’EUIPO une compétence exclusive en matière d’enregistrement des marques de l’Union européenne et d’opposition à cet enregistrement, mais tel n’est pas le cas en matière de validité de ces marques. La compétence pour déclarer la nullité ou la déchéance d’une marque de l’Union européenne a été attribuée, de manière partagée, aux tribunaux des marques de l’Union européenne, désignés par les États membres, et à l’EUIPO. La compétence attribuée aux tribunaux constitue l’application directe d’une règle d’attribution de compétences prévue par le règlement et ne saurait donc être considérée comme constituant une « exception » à la compétence de l’EUIPO en la matière.

En outre, les compétences en question sont exercées selon le principe de priorité de l’instance saisie. En vertu de l’article 128, § 7, du règlement, le tribunal des marques de l’Union européenne saisi d'une demande reconventionnelle en déchéance ou en nullité peut surseoir à statuer à la demande du titulaire de la marque et inviter le défendeur à présenter une demande en déchéance ou en nullité devant l’EUIPO dans un délai qu'il lui impartit. Toutefois, il ne s’agit que d’une simple faculté de suspension de la procédure, le tribunal pouvant tout aussi bien décider de statuer sur la demande reconventionnelle.

Ainsi, le législateur de l’Union a, tout autant qu’à l’EUIPO, entendu confier aux tribunaux des marques de l’Union européenne, au titre de leurs décisions sur des demandes reconventionnelles, une compétence pour contrôler la validité des marques de l’Union européenne. À cet égard, les décisions sur la validité d’une marque de l’Union européenne ont un effet erga omnes dans l’ensemble de l’Union, qu’elles proviennent de l’EUIPO ou qu’elles soient rendues sur une demande reconventionnelle introduite devant un tribunal des marques de l’Union européenne.

Cour de justice de l’Union européenne, 5e ch., 13 octobre 2022, C‑256/21 (M20220338 ; Propr. industr., déc. 2022, comm. 64, A. Folliard-Monguiral)
KP c. TV et Gemeinde Bodman-Ludwigshafen
(Décision préjudicielle)