Jurisprudence
Brevets

Validité de la notification de la décision de déchéance au mandataire régulièrement constitué en France - Effet de la déchéance du CCP à l’égard de l’ensemble des tiers génériqueurs

PIBD 1211-III-1
Cass. com., 6 septembre 2023

Déchéance d’un CCP - 1) Décision INPI - Régularité de la notification - Déposant étranger - Mandataire CPI régulièrement constitué en France - Pouvoir général - Paiement des annuités par un autre CPI - 2) Rétractation de l’arrêt annulant la décision de déchéance du CCP - Effet erga omnes de la déchéance - Tierce opposition - Intervention volontaire - Indivisibilité du litige

Texte

Une société japonaise était titulaire d'un CCP rattaché à un brevet français sur un médicament. Par une décision notifiée au cabinet de conseils en propriété industrielle qui avait procédé au dépôt du CCP, l'INPI a constaté la déchéance des droits de cette société sur le CCP, pour défaut de paiement de la quatrième annuité. La société a formé une requête en annulation de cette décision, qui a été rejetée, comme tardive, par une autre décision de l'INPI. Elle a formé un recours devant la cour d'appel, devant laquelle est intervenue une société qui commercialisait un médicament générique comprenant le principe actif pravastatine protégé par le brevet sur la base duquel le CCP avait été demandé. Par un arrêt[1], devenu irrévocable, la cour d'appel a annulé les deux décisions de l'INPI. Une société qui commercialisait également un médicament comprenant le même principe actif, a formé tierce opposition contre cet arrêt. La cour d’appel[2] a jugé que cette tierce opposition était recevable mais mal fondée. La cour de cassation[3] a cassé cet arrêt d’appel. Deux autres société, qui commercialisaient aussi un médicament générique du même principe actif, sont intervenues volontairement à l'instance devant la première cour de renvoi[4]. La Cour de cassation a partiellement cassé l’arrêt de renvoi rendu par cette cour pour des motifs de forme[5].

L’arrêt attaqué, rendu sur second renvoi après cassation, a rétracté le dispositif de l'arrêt qui avait annulé les décisions de l’INPI et a rejeté les recours de la société titulaire du CCP à l'encontre de ces décisions.

Il a retenu qu'en application des dispositions de l'article 2 du décret n° 79-822 du 19 septembre 1979 applicables au jour du dépôt de la demande de CCP, la société japonaise avait, comme elle en avait l'obligation, constitué un cabinet de conseils en propriété industrielle comme mandataire, selon un pouvoir donné en termes généraux qui ne comportait aucune stipulation contraire expresse selon laquelle il n'aurait pas été étendu à la réception des notifications de l'INPI. Il a ajouté qu'aux termes de l'article R. 612-2 du CPI applicable au jour du paiement de la quatrième annuité, la société avait toujours l'obligation de constituer un mandataire situé en France, indépendamment de la dispense, pour les conseils en propriété industrielle, de justifier d'un pouvoir.

Il a retenu que, toutefois, le seul paiement des annuités par un cabinet de conseil en propriété industrielle autre que celui qui avait procédé au dépôt du CCP ne valait pas constitution d'un nouveau mandataire, puis relevé qu'aucune information n'avait été délivrée à l'INPI concernant un changement de mandataire constitué, soulignant que les récépissés de redevances ne faisaient pas mention de la qualité de mandataire du second cabinet.

Il en a exactement déduit, sans ajouter aux textes applicables, qu'aucune constitution de nouveau mandataire n'étant intervenue, le premier cabinet restait le seul mandataire constitué en France pour le compte de la société titulaire du CCP, au jour de la notification de la décision de déchéance.

L'arrêt attaqué a ajouté que la déchéance des droits sur un CCP vaut à l'égard de tous et n'est pas divisible, un CCP ne pouvant être déchu à l'égard de certains et demeurer valide à l'égard d'autres parties. Il a ainsi fait ressortir que le litige portant sur les droits de propriété industrielle était indivisible par son objet à l'égard des autres parties appelées à l'instance.

C’est donc à bon droit qu’il a rejeté la demande de la société titulaire du CCP tendant à limiter les effets de la rétractation de l'arrêt de la cour d'appel ayant annulé les deux décisions du directeur de l’INPI à la seule société, parmi celles qui avaient commercialisé un médicament générique comprenant le principe actif protégé par son brevet, ayant formé tierce opposition contre cet arrêt, les interventions volontaires des deux autres sociétés ayant de surcroit été déclarées recevables par un arrêt[4] devenu irrévocable par le rejet du pourvoi[5] de ce chef.

Cour de cassation, ch. com., 6 septembre 2023, 21-25.143 (B20230051)
Daiichi Sankyo Co. Ltd c. Biogaran SAS, INPI, Teva Santé SAS et al.
(Rejet du pourvoi c. CA Paris, pôle 5, 2e ch., 21 mai 2021, 20/02952, B20210037,
PIBD 2021, 1165, III-1) rendu sur second renvoi après cassation partielle : Cass. com. 4 déc. 2019, 17-31.734, 18-11.410 et B 18-11.918, B20190079 ; CA Paris, pôle 5, 2e ch., 27 oct. 2017, 13/15762, B20170163)

Titre
NOTE
Texte

L’arrêt de la cour de cassation ci-dessus intervient dans le cadre d’une affaire ayant débuté il y a une vingtaine d’années. La société japonaise Sankyo a déposé, par l'intermédiaire d’un cabinet de conseils en propriété industrielle, une demande de CCP rattaché à un brevet portant sur un médicament destiné à combattre l'hypercholestérolémie, dont le principe actif est la pravastatine. Les redevances annuelles de maintien en vigueur de ce CCP ont été réglées par un autre cabinet de conseils en propriété industrielle.

L'INPI a notifié au premier cabinet une décision de déchéance des droits attachés au CCP pour défaut de paiement de la quatrième annuité (INPI, 26 janv. 2005) puis a rejeté la requête en annulation de cette décision présentée par le second cabinet, au motif qu'elle n'avait pas été déposée dans le délai légal (INPI, 3 juill. 2006).

La société Sankyo a formé un recours contre ces deux décisions devant la cour d’appel de Paris. La société Teva, qui commercialisait un médicament générique comprenant le principe actif pravastatine au vu de la décision de déchéance du CCP, est intervenue volontairement à la procédure.

La cour d'appel de Paris (4e ch., sect. A, 14 mars 2007, Sankyo co. Ltd c. INPI et Teva Classics SA (intervenante volontaire), 06/13425 ; B20070035) a annulé les deux décisions de l’INPI au motif notamment que la décision de déchéance n'avait pas été valablement notifiée puisqu'elle l'avait été au premier cabinet, qui n'avait reçu mandat que pour le dépôt du CCP, tandis que les annuités étaient réglées par le second cabinet, ce qui avait empêché la société Sankyo d’exercer son recours dans les délais. La Cour de cassation (Cass. com., 1er juill. 2008, INPI c. Daiichi Sankyo Co. Ltd et Teva Classics SA, 07/14768 et 07/14888 ; B20080113) a rejeté les pourvois formés par l’INPI et la société Teva contre cet arrêt.

Par la suite, la société Daiichi Sankyo, venant aux droits de la société Sankyo, a assigné en contrefaçon plusieurs sociétés qui avaient commercialisé des médicaments génériques à base de pravastatine avant l'expiration du CCP (les sociétés Biogaran, Sandoz, Teva et EG Labo Laboratoires Eurogenerics devant le tribunal de grande instance de Paris et les sociétés Arrow Génériques, Mylan et Qualimed devant le tribunal de grande instance de Lyon). Les sociétés Biogaran, Sandoz, EG Labo Laboratoires Eurogenerics ont formé tierce opposition à l’arrêt de la cour d'appel de Paris du 14 mars 2007.

Dans trois arrêts rendus le même jour, la cour d'appel de Paris a déclaré ces tierces oppositions recevables mais non fondées (pôle 5, 1re ch., 29 févr. 2012, 11/03310, B20120025 (Biogaran) ; 10/22040, B20120026 (EG Labo Laboratoires Eurogenerics), 10/18563, B20120027 (Sandoz) ; LEPI, mai 2012, p. 5, J. P. Clavier). Elle a considéré que le mandat confié par la société Sankyo au premier cabinet était limité à la seule procédure de dépôt du CCP et qu'ainsi la notification qui lui avait été adressée n'avait pu avoir pour effet de faire courir le délai de recours.

Deux de ces arrêts ont été frappés de pourvoi. La Cour de cassation a rejeté celui formé par la société Sandoz (Cass. com., 25 juin 2013, 12/18482, B20130115). Elle a accueilli celui formé par la société Biogaran (Cass. com., 25 juin 2013, 12/18022 ; B20130114 ; Propr. industr., 2014, comm. 2, obs. J. Raynard), cassant l'arrêt en toutes ses dispositions, car il n'avait pas constaté que la société Daiichi Sankyo avait informé l'INPI de ce qu'elle constituait comme mandataire le second cabinet pour recevoir toute notification, privant ainsi sa décision de base légale.

La cour d’appel de Paris autrement composée a rendu un arrêt sur renvoi après cassation, (pôle 5, 2e ch., 27 oct. 2017, Biogaran SAS c. INPI, Daiichi Sankyo Co. Ltd, Teva Santé SAS, EG Labo SAS (intervenante volontaire) et Sandoz SAS (intervenante volontaire), 13/15762, B20170163 ; Propr. Intell., n° 67, avr. 2018, p. 94, J-C Galloux) et deux arrêts statuant sur de nouvelles tierces oppositions à l'arrêt du 14 mars 2007 formées par les sociétés Mylan, Qualimed et Arrow Génériques (pôle 5, 2e ch., 27 oct. 2017, 14/03777, B20170164 ; 14/03899, B20170167). Elle a déclaré recevables les tierces oppositions des sociétés Biogaran, Mylan, Qualimed et Arrow Génériques et les interventions volontaires des sociétés Teva, Sandoz et EG Labo Laboratoires Eurogenerics et dit qu'il y avait lieu de rétracter, à l'égard de toutes les parties, l'arrêt du 14 mars 2007 en ce qu'il a jugé que la décision de l’INPI de déchéance du CCP n'avait pas été valablement notifiée.

La Cour de cassation (Cass. com., 4 déc. 2019, 17-31.734, 18-11.410 et B 18-11.918, B20190079 (Biogaran) ; 17/31737, 18/11411, B20190080 (Mylan et Qualimed) ; 17/31739 et 18/11413, B20190081 (Arrow Génériques) ; Propr. Industr., mars 2020, p. 45, J. Raynard ; LEPI, févr. 2020, p. 5, F Herpe) a rejeté les pourvois en ce qui concerne la recevabilité des tierces opposition et des interventions volontaires des génériqueurs et la régularité de la notification de la décision de déchéance du CCP. Elle a partiellement cassé les trois arrêts du 27 octobre 2017 car ils avaient rétracté un motif et non le dispositif de l'arrêt du 14 mars 2007 et n’avaient pas statué sur les recours formés par la société Daiichi contre les décisions de l’INPI.

La cour d’appel de Paris statuant sur second renvoi après cassation a rendu trois arrêts (CA Paris, pôle 5, 2e ch., 21 mai 2021, 20/02952, B20210037 (Biogaran) ; PIBD 2021, 1165, III-1 ; 20/04022, B20210038 (Mylan), 20/04840, B20210036 (Arrow Génériques). Elle a rétracté l’arrêt de la cour d’appel de Paris du 14 mars 2007 et rejeté les recours contre les décisions de l’INPI.

La décision ci-dessus présentée rejette le pourvoi formé par la société Daichii Sankyo contre l’un de ces arrêts rendu sur second renvoi après cassation. Les pourvois formés contre les deux autres arrêts ont également été rejetés le même jour (Cass. com., 6 sept. 2023, Daiichi Sankyo Co. Ltd c. Mylan SAS et al., 21-25.144, B20230050 et Cass. com., 6 sept. 2023, Daiichi Sankyo Co. Ltd c. Arrow génériques et al., 21-25.142, B20230052).

[1] CA Paris, 4e ch., sect. A, 14 mars 2007, Sankyo co. Ltd c. INPI et Teva Classics SA (intervenante volontaire), 06/13425 (B20070035). Rejet du pourvoi : Cass. com., 1er juill. 2008, INPI c. Daiichi Sankyo Co. Ltd et Teva Classics SA, 07/14768 et 07/14888 (B20080113).

[2] CA Paris, pôle 5, 1re ch., 29 févr. 2012, Biogaran SAS c. INPI, Daiichi Sankyo et Teva Santé SAS, 11/03310, B20120025 ; LEPI, mai 2012, p. 5, J. P. Clavier.

[3] Cass. com., 25 juin 2013, Biogaran SAS c. INPI, Daiichi Sankyo Ltd et Teva Santé SAS, 12/18022, B20130114 ; Propr. industr., 2014, comm. 2, obs. J. Raynard.

[4] CA Paris, pôle 5, 2e ch., 27 oct. 2017, Biogaran SAS c. INPI, Daiichi Sankyo Co. Ltd, Teva Santé SAS, EG Labo Laboratoires Eurogenerics SAS (intervenante volontaire) et Sandoz SAS (intervenante volontaire), 13/15762, B20170163 ; Propr. Intell., n° 67, avr. 2018, p. 94, J-C Galloux.

[5] Cass. com. 4 déc. 2019, Daiichi Sankyo Co. Ltd c. Biogaran SAS, INPI, Téva Santé SAS, EG Labo Laboratoires Eurogenerics SAS et Sandoz SAS, 17-31.734, 18-11.410 et B 18-11.918, B20190079 ; Propr. Industr., mars 2020, p. 45, J. Raynard ; LEPI, févr. 2020, p. 5, F Herpe).