Jurisprudence
Dessins et modèles

Titularité des droits d’auteur d’une agence de communication sur un emballage de médicament qui lui a été commandé – Dépôt non frauduleux d’une marque tridimensionnelle par le laboratoire commanditaire

PIBD 1212-III-6
CA Paris, 14 avril 2023

Recevabilité de l’action en contrefaçon sur le fondement du droit d'auteur (oui) - Qualité pour agir - Titularité des droits sur le modèle - Qualité d'auteur - Personne morale - Œuvre de commande - Œuvre collective - Directives - Présomption de la qualité d'auteur - Divulgation sous son nom - Présomption de titularité - Exploitation sous son nom

Protection au titre du droit d'auteur (non) - Originalité - Conditionnement - Combinaison d'éléments connus - Couleur - Forme géométrique - Usage courant - Destination - Disposition - Inscription - Réglementation - Effort de création - Choix arbitraire - Empreinte de la personnalité de l'auteur

Revendication de propriété de la marque tridimensionnelle de l'UE - Forme du conditionnement - Dépôt frauduleux (non) - Relations d'affaires - Commande - Entrave à l'exploitation du signe d'autrui - Secteur d'activité différent - Violation d'une obligation légale ou conventionnelle (non)

Concurrence déloyale (non) - Absence de droit privatif - Rupture des relations commerciales - Libre concurrence - Risque de confusion - Parasitisme (non)

Texte
Marque n° 00 855 857 de la société Recordati Orphan Drugs
Texte

Une agence de communication et d’identité visuelle a conçu, suite à une commande de sociétés d’un groupe pharmaceutique, un emballage de médicament. Après de nombreuses années de relations commerciales, elle a constaté la continuation de l’exploitation de boîtes de médicament identiques malgré l’arrêt des commandes, ainsi que le dépôt, par une société du groupe, d’une marque tridimensionnelle internationale désignant l’UE représentant l’emballage en cause.

L’agence est recevable à agir en contrefaçon sur le fondement des droits d’auteur. La présomption énoncée à l'article L. 113-1 du Code de la propriété intellectuelle, selon laquelle la qualité d’auteur appartient à celui sous le nom de qui l’œuvre a été divulguée, ne peut bénéficier qu'à un auteur personne physique, une personne morale en étant exclue. Toutefois, cette dernière peut être investie à titre originaire des droits de l'auteur dans le cas où une œuvre collective, créée à son initiative, est divulguée sous son nom. En l’espèce, l'emballage de forme hexagonale en cause a été divulgué sous le nom de l’agence qui est donc investie des droits d’auteur au sens de l'article L. 113-5 du Code de la propriété intellectuelle.

Les sociétés défenderesses ne peuvent être suivies lorsqu'elles soutiennent que l’agence ne peut établir l’exploitation des boîtes hexagonales sous son nom de sorte qu'elle ne saurait bénéficier de la présomption de titularité, elles seules ayant été à l'origine d'une exploitation non équivoque depuis plus de quinze ans. En effet, il convient de distinguer entre la présomption légale et la présomption prétorienne du droit d'auteur, cette dernière, qui porte sur la titularité des droits d'exploitation, ne pouvant être opposée qu'à un contrefacteur allégué, et non à celui qui revendique être l'auteur de l’œuvre.

Elles ne peuvent davantage faire utilement valoir qu’elles sont à l’initiative de la réalisation et de la fabrication de la boîte en cause. S'il n'est pas discuté qu'une des sociétés défenderesses est bien à l'origine de la commande d'un emballage pour commercialiser ses produits, il n'est nullement établi qu’elle a contrôlé le processus de création pendant son évolution, par le biais de directives, et harmonisé les différentes contributions, le devis versé aux débats étant à cet égard insuffisant. La qualité à agir de l’agence est donc établie sans qu'il puisse lui être reproché de ne pas démontrer le processus de création des boîtes litigieuses.

En revanche, l’agence est déboutée de sa demande en contrefaçon, faute de preuve de l’originalité de la boîte en cause. Elle revendique la combinaison de la forme hexagonale avec l'emplacement des textes et l'utilisation d'un fond de couleur dégradé ainsi que de la ligne de séparation.

Il ressort des éléments fournis aux débats par les sociétés défenderesses que la forme hexagonale est largement connue comme forme d'emballage pour des produits les plus divers, l’agence ayant d'ailleurs proposé antérieurement, à l’un de ses clients, cette forme comme emballage d'un parfum. Aucun effort créateur ne ressort de la reprise de cette forme hexagonale dans le domaine des produits pharmaceutiques, domaine dans lequel celle-ci était d'ailleurs déjà utilisée.

La présentation des mentions réglementaires sur chacune des faces en plusieurs langues séparées par un trait ne fait que répondre à des impératifs liés à la distribution des médicaments orphelins issus d'une réglementation européenne, cette nécessité expliquant, en outre, la forme de l'emballage qui permet l'usage de plusieurs langues. Le dégradé de couleur et les couleurs utilisées sont ceux déjà présents sur les emballages utilisés par les sociétés défenderesses pour distribuer chacun de leurs produits.

Par ailleurs, le choix du groupe pharmaceutique de déposer la forme de l'emballage à titre de marque tridimensionnelle est inopérant pour caractériser l'originalité d'une œuvre. En effet, ce critère est à distinguer de la condition de distinctivité exigée pour qu'un signe puisse constituer une marque valable.

L'empreinte de la personnalité est à rechercher dans l'aspect global de l'œuvre prise dans la combinaison de chacun de ses éléments, fussent-ils connus. Toutefois, pour concevoir l'emballage en cause, l’agence ne démontre pas avoir fait des choix personnels et arbitraires de la forme de l'emballage, de sa couleur, des textes qui y sont inscrits, démontrant un effort créatif portant l'empreinte de la personnalité de l'auteur.

Il n’est pas davantage fait droit à la demande de l’agence de revendication de propriété de la marque tridimensionnelle précitée qui est constituée par la forme caractéristique du conditionnement. L'emballage en litige devait être utilisé pour commercialiser des produits pharmaceutiques et n'avait pas vocation à être exploité par l’agence. Aucune volonté de la part de la société défenderesse de la priver de l'utilisation du signe pour des produits pharmaceutiques, celle-ci n'étant pas nécessaire à son activité d'agence de communication, et de l'éliminer de son champ d'intervention de conception de packaging, n'est donc caractérisée. Par ailleurs, l’agence ne dispose d'aucun droit privatif sur cet emballage et ne peut tirer argument du fait que la société défenderesse savait qu'elle n'avait pas acquis de droits auprès d'elle sur celui-ci.

Ainsi, le dépôt de la marque en cause n'a été effectué ni en fraude des droits de l’agence, ni en violation d'une obligation légale ou contractuelle. La société défenderesse pouvait légitimement déposer à titre de marque, pour désigner les produits qu'elle commercialise, la forme d'un emballage dont elle a commandé la conception et qui lui a été facturée par son prestataire, l’agence ne pouvant alors soutenir que les sociétés défenderesses se sont accaparées son travail de création et de conception pour lequel elle a été rémunérée.

De même, le défaut d'information de l’agence quant au dépôt de cet emballage commandé spécialement et dont la prestation a été rémunérée pour désigner des produits relevant de l'activité de la société défenderesse, ne démontre pas la fraude. Il en va de même du maintien des relations commerciales entre les parties pendant une quinzaine d'années qui ne caractérise pas plus une fraude qui doit être appréciée au moment du dépôt de la marque. Une exécution de mauvaise foi des contrats liant les parties n'est pas plus démontrée par l’agence qui se contente d'affirmer qu'en raison de la durée des relations d'affaires entre les parties, elle était devenue un partenaire de confiance avec qui la société défenderesse devait se comporter de manière loyale.

Cour d’appel de Paris, pôle 5, 2e ch., 14 avril 2023, 21/09779 (D20230029)
Alias SASU c. Recordati Orphan Drugs SAS et Recordati Rare Diseases SARL
(Confirmation partielle TJ Paris, 3e ch., 3e sect., 23 mars 2021, 19/00228)