Jurisprudence
Brevets

Annulation partielle, pour défaut de nouveauté, d'un brevet français portant sur un siège gonflable - Validité du brevet européen déposé sous priorité de ce brevet

PIBD 1213-III-1
TJ Paris, 14 juin 2023

Annulation partielle du brevet français (oui) - Revendications 1, 2, 4, 5 et 6 - Description suffisante (oui) - Revendications 1, 2, 3 et 6 - Nouveauté (non) - Revendications 4 et 5 - Nouveauté (oui) - Activité inventive (oui)

Validité du brevet européen (oui) - Dépôt sous priorité du brevet français - Revendications 1 à 6 - Activité inventive (oui)

Validité des saisies-contrefaçon (oui) - Date de signification du procès-verbal - Mention erronée - Force probante - Expert assistant l’huissier - Conseil en propriété industrielle - Distinction des constatations personnelles de l’huissier

Validité du constat d’huissier (non) - Pouvoirs outrepassés - Constatations purement matérielles (non) - Rôle actif

Contrefaçon des revendications 4 et 5 des brevets français et européen (non) - Contrefaçon de la revendication 1 du brevet européen (non) - Contrefaçon des revendications dépendantes (non)

Parasitisme (non) - Volonté de profiter des investissements promotionnels (non) - Imitation du produit ou de la dénomination (non)

Texte
Dessin du brevet FR0107263 de Dominique S et du brevet EP1262125 de la société Waff
Texte
Dessins du brevet US4687452
Texte

Le brevet français invoqué au soutien de l’action en contrefaçon, ainsi que le brevet européen déposé sous priorité de ce brevet, portent sur un siège gonflable de forme annulaire dont l’effet technique principal est une stabilité améliorée et dont l'utilisation serait facile, adaptée à différentes utilisations de repos et de loisir, et permettant d’être produit à faible coût. Celui-ci est constitué d'une chambre toroïdale (3), comportant des extrémités axiales supérieure (8) et inférieure (9), qui peut être remplie d'air, prenant ainsi l'aspect d'une bouée. L'espace laissé par l'axe de révolution (4) du tore est comblé perpendiculairement par deux parois planes (10, 11). L'aspect symétrique du coussin permet de s'y asseoir ou de s’y tenir sur chaque face alternativement. Ces brevets sont accompagnés du même dessin.

À l'appui du grief relatif à l’insuffisance de description des revendications 1, 2, 4, 5 et 6 du brevet français, les sociétés défenderesses font valoir que l'homme du métier ne pourrait pas reproduire l'effet ventouse qui solutionnerait le problème technique de stabilité du coussin.

La revendication principale porte sur un siège gonflable caractérisé par le fait que les parois planes sont situées axialement à distance des extrémités axiales supérieure et inférieure du corps annulaire, de façon à laisser libres des espaces (13, 14) à proximité des extrémités axiales. Cette revendication ne comporte aucune précision sur la distance à appliquer entre les extrémités axiales et les parois planes pour produire la dépression d’air à l’origine de l’effet stabilisant du siège gonflable. Cependant, le résultat technique recherché est, à la lecture de la description, clairement identifiable et peut être facilement reproduit par l'homme du métier, qui est un spécialiste des sièges gonflables. Celui-ci dispose en effet des proportions optimales à donner au siège pour améliorer sa stabilité, la description précisant que la distance (d) entre une extrémité axiale du corps annulaire et la paroi plane adjacente est comprise entre 25 % et 85 % du rayon (R) du cercle de révolution de la chambre toroïdale, comme l’indique également la revendication 5.

La revendication 2 énonce que les parois planes sont symétriques par rapport à un plan équatorial du corps annulaire. La description précise que la symétrie revendiquée permet au siège gonflable d’être utilisé indifféremment en utilisant une première paroi plane comme assise ou la seconde paroi plane. L’homme du métier peut en déduire, sans difficulté excessive, que le siège gonflable peut être utilisé d’un côté ou de l’autre.

Les revendications 4 et 5 portent, respectivement, sur la mesure du rayon (r) du cercle de section de la chambre toroïdale et sur celle de la distance (d) entre une extrémité axiale du corps annulaire et la paroi plane adjacente. La lecture de la description et du dessin permet à l'homme du métier de comprendre que le siège doit être gonflé de façon à obtenir une structure d'ensemble plus rigide et à pouvoir adapter le confort souhaité de l'assise centrale. Il en déduit, sans difficulté excessive, à quel niveau il doit gonfler le siège pour obtenir l'effet technique de stabilisation recherché. L'homme du métier comprend également que les rapports de distance revendiqués ont pour objet d'obtenir une assise confortable et un siège stable, tout en permettant la création d'une dépression suffisante, dans l'espace libre à proximité de l'extrémité axiale inférieure du corps annulaire, pour améliorer la stabilité du siège.

Quant à la revendication 6, selon laquelle les différentes parois sont thermo-soudées entre elles, son libellé permet à lui seul d’en déterminer le résultat technique, à savoir la solidarité entre l’ensemble des pièces du siège gonflable. Ainsi, grâce aux revendications 1, 2, 4, 5 et 6 et en s'aidant de la description et du dessin, l'homme du métier peut, avec ses connaissances générales et sans difficulté excessive, exécuter l'invention, qui est suffisamment décrite.

Les revendications 1, 2, 3 et 6 du brevet français sont dépourvues de nouveauté. Leurs caractéristiques sont en effet divulguées par un brevet américain relatif à un siège flottant, gonflable au gaz, destiné à porter une personne sur l’eau. Ce siège comporte un ballast à eau afin d’en améliorer la stabilité. Il est également constitué d’une chambre gonflable inférieure de forme annulaire, d’une deuxième chambre supérieure, ainsi que d’accoudoirs, d’un coussin et d’un dossier. Il ressort de la figure 3 de ce brevet et de sa description que la partie inférieure du siège, constituée d’un corps annulaire, comporte des parois supérieure et inférieure pour en fermer les extrémités. Cette figure suggère que ces parois sont planes et qu’elles se situent à distance des extrémités axiales supérieure et inférieure du corps annulaire. Cette caractéristique apparaît également dans la figure 1 sur laquelle est représentée « une structure de paroi de fond flexible (16) ». Il en résulte que des espaces à proximité des extrémités axiales du corps annulaire sont divulgués. Dès lors, le brevet américain décrit l’ensemble des caractéristiques de la revendication 1 du brevet français.

Il en de même pour la revendication 2, les figures 2, 3 et 4 du brevet antérieur représentant des parois planes qui sont symétriques par rapport à un plan équatorial du corps annulaire. Les caractéristiques de la revendication 3 sont également divulguées. Dans le brevet américain, les parois de fond supérieure et inférieure forment une chambre centrale servant d’espace de lestage, laquelle peut être remplie, non seulement d’eau au moyen d’une vanne, mais aussi d’air au moyen d’une valve. Ce brevet enseigne également que les poignées peuvent être formées de matières plastiques moulées avec des bases ovales, thermo-soudées ou fixées d’une autre manière aux surfaces supérieures de la chambre gonflable, de sorte que les caractéristiques de la revendication 6 sont divulguées.

En revanche, s’agissant des revendications 4 et 5, le grief relatif à l’absence de nouveauté est écarté. La revendication 4 précise que le rayon (r) du cercle de section de la chambre toroïdale est compris entre 25 % et 85 % du rayon (R) du cercle de révolution de la chambre toroïdale. La revendication 5 donne le même rapport de grandeur pour la distance (d) entre une extrémité axiale du corps annulaire et la paroi plane adjacente. Or, aucune proportion n’est mentionnée dans le brevet américain. Le moyen tiré du défaut d’activité inventive de ces revendications est également rejeté. Sont cités, au titre de l’art antérieur, deux autres brevets américains relatifs respectivement à un véhicule tractable gonflable et à une chaise gonflable, et dont les inventions se distinguent par leurs caractéristiques structurelles de l’invention couverte par le brevet français. La combinaison des trois brevets américains opposés ne divulgue pas les proportions qui sont revendiquées pour obtenir l’effet de dépression permettant la stabilisation du siège. Si cet effet ventouse est connu de l’homme du métier, doté de ses connaissances générales, et qu'il est recherché par certains des brevets antérieurs cités, l’homme du métier ne peut pas déduire, tant de la lecture des documents antérieurs que de ses connaissances générales, les valeurs précises permettant d’obtenir ce résultat technique.

Le brevet européen déposé sous priorité du brevet français est constitué d’une revendication principale et de cinq revendications dépendantes. La revendication 1 n’est pas dépourvue d’activité inventive. La rédaction de cette revendication a consisté à intégrer une partie de la revendication 5 du brevet français et à décrire l’effet de stabilisation résultant de l’espace libre situé entre l’extrémité axiale inférieure du corps annulaire et la paroi plane inférieure. Les brevets américains précédemment opposés ne divulguent, ni isolément, ni dans leur combinaison, le fait que la distance entre la paroi plane du centre du corps annulaire et l’extrémité axiale de ce corps doit être supérieure à 25 % du rayon du cercle de révolution de la chambre toroïdale, dès lors que cette distance peut être inférieure pour mettre en œuvre les inventions couvertes par ces brevets. Les revendications 2 à 6 du brevet européen étant dépendantes de la revendication 1, elles ne sont pas, non plus, dépourvues d’activité inventive.

Le procès-verbal de constat versé aux débats est annulé. L’huissier a outrepassé ses pouvoirs en n’effectuant pas uniquement des constatations purement matérielles sur le coussin gonflable qui avait fait l’objet auparavant d’un constat d’achat. En indiquant qu'il a gonflé ce coussin d'une certaine façon, l’a appuyé contre un mur et l’a dégonflé légèrement, puis qu’il a appuyé fortement sur le mètre pour faire une mesure, l'huissier s'est en effet engagé activement pour l'obtention d'une situation qu'il a ensuite constatée.

Les demandes en contrefaçon des revendications 4 et 5 des brevets français et européen et de la revendication 1 du brevet européen sont rejetées. Pour que les caractéristiques de ces revendications soient reproduites, il faudrait que le coussin gonflable litigieux comporte au moins un corps annulaire formant une chambre toroïdale comprenant deux parois planes s'étendant perpendiculairement à son axe de révolution et que la distance entre son extrémité axiale inférieure et sa paroi plane inférieure soit supérieure à 25 % du rayon du cercle de révolution de la chambre toroïdale. Or, il résulte du procès-verbal de saisie-contrefaçon que le coussin litigieux a une forme cubique et des parois bombées et que la mesure de la distance entre la paroi inférieure et l’extrémité inférieure de la chambre gonflable en est affectée. Le moyen tiré de la contrefaçon des revendications dépendantes du brevet européen, du fait de la seule reproduction des caractéristiques de la revendication 1, est donc inopérant.

Tribunal judiciaire de Paris, 3e ch., 3e sect., 14 juin 2023, 19/10207 (B20230029)
Waff SAS et Dominique S c. Decathlon SE et Decathlon France SAS