Jurisprudence
Marques

Nullité partielle de la marque LE CAPRICE DES ROIS en raison de l’atteinte à la renommée des marques antérieures CAPRICE DES DIEUX et MINI CAPRICE

PIBD 1214-III-6
Décision INPI, 12 juillet 2023

Nullité partielle de la marque (oui) - Droit antérieur - Marque de renommée - Portée de la renommée - Ressemblance d'ensemble des marques - Adjonction d’un mot d’attaque - Substitution du mot final - Similitude visuelle, phonétique et intellectuelle - Mot commun - Élément distinctif et dominant - Lien entre la marque renommée et la marque postérieure - Caractère distinctif intrinsèque de la marque antérieure - Différence des produits - Profit indûment tiré de la renommée de la marque antérieure - Préjudice à la renommée de la marque antérieure - Marque postérieure désignant des produits du tabac

Texte
Marque n° 1 564 363 de la société Savencia
Marque n° 97 681089  de la société Savencia
Marque n° 4 738 347 de la société Levest
Texte

La marque verbale contestée Le caprice des Rois, qui désigne notamment des aliments diététiques et pour bébés, des produits alimentaires et pour fumeurs (tabac et autres articles), est partiellement annulée en raison de l’atteinte portée à la renommée des marques antérieures françaises CAPRICE DES DIEUX et MINI CAPRICE.

L’atteinte à une marque de renommée suppose l’existence d’une renommée de la marque antérieure invoquée, qui correspond au seuil de connaissance qui n'est atteint que lorsque cette marque est connue d'une partie significative du public concerné par les produits ou services qu'elle désigne, l’existence d’un lien entre les signes dans l’esprit du public et la démonstration d’une atteinte à la renommée. Ces trois conditions sont cumulatives, de sorte que l’absence de l’une d’entre elles suffit à écarter l’atteinte.  

L’atteinte à la renommée est constituée par un usage, sans juste motif, de la marque contestée qui soit tire ou tirerait indûment profit du caractère distinctif ou de la renommée de la marque antérieure, soit porte ou porterait préjudice à son caractère distinctif, soit porte ou porterait préjudice à sa renommée.

En l’espèce, la marque verbale antérieure CAPRICE DES DIEUX jouit d’une grande renommée en France pour les « produits laitiers ».

Les pièces fournies démontrent que cette marque a fait l’objet d’un usage intensif et de longue durée, qu’elle est connue sur le marché pertinent français, où elle occupe une position solide parmi les marques leaders du marché des produits laitiers, et ce antérieurement au dépôt de la marque contestée. Elles démontrent notamment que la marque CAPRICE DES DIEUX a une position consolidée sur le marché du fait de sa croissance, de l’augmentation des chiffres de vente et des efforts marketing et publicitaires du demandeur dont elle a fait l’objet (première publicité télévisuelle en 1968 puis nombreuses publicités télévisuelles notamment avec la participation de célébrités).

Les signes en litige présentent des similitudes visuelles et phonétiques moyennes résultant de la séquence commune « CAPRICE DES » et de fortes similitudes conceptuelles dans la mesure où elles évoquent toutes deux le caprice d’êtres supérieurs, à savoir des êtres divins ou de droit divin. Ces ressemblances d’ensemble sont renforcées par la prise en compte de leurs éléments distinctifs et dominants, en l’occurrence l’élément « CAPRICE ».

Il existe un lien entre les produits de la marque contestée visés par la demande de nullité et les produits laitiers pour lesquels la marque antérieure est renommée.

Les « aliments diététiques à usage médical ; aliments pour bébés ; compléments alimentaires ; herbes médicinales ; tisanes médicinales ; Café ; thé ; cacao ; sucre ; riz ; tapioca ; farine ; préparations faites de céréales ; pain ; pâtisseries ; confiserie ; glaces alimentaires ; miel ; sirop d'agave (édulcorant naturel) ; levure ; sel ; moutarde ; vinaigre ; sauces (condiments) ; épices ; glace à rafraîchir ; sandwiches ; pizzas ; crêpes (alimentation) ; biscuits ; gâteaux ; biscottes ; sucreries ; chocolat ; boissons à base de cacao ; boissons à base de café ; boissons à base de thé » de la marque contestée et les « produits laitiers » de la marque antérieure appartiennent traditionnellement à des secteurs de marché distincts. Cependant, ils se chevauchent dans une certaine mesure, dès lors qu’il s’agit de produits pour la consommation humaine destinés à être ingérés, qui peuvent être proposés dans les mêmes lieux de vente.

En ce qui concerne les « Tabac ; articles pour fumeurs ; allumettes ; cigares ; cigarettes ; papier à cigarettes ; pipes ; briquets pour fumeurs ; boîtes à cigares ; étuis à cigares ; boîtes à cigarettes ; étuis à cigarettes ; cendriers pour fumeurs ; cigarettes électroniques ; solutions liquides pour cigarettes électroniques » de la marque contestée, quand bien même ces produits relèvent de secteurs différents, le risque d’association avec la marque antérieure CAPRICE DES DIEUX demeure possible, compte tenu du degré de renommée particulièrement élevé de celle-ci et du degré de similitude élevé avec la marque contestée.

Par conséquent, compte tenu de la proximité des signes, du caractère intrinsèquement distinctif et de la grande renommée de la marque antérieure, lorsqu’ils rencontreront la marque contestée en relation avec les produits précités, les consommateurs concernés pourront faire un lien avec la marque antérieure.

L’usage de la marque contestée pour l’ensemble des produits visés par la demande de nullité est susceptible de tirer indûment profit de la renommée de la marque antérieure.

Comme précédemment relevé, il existe un risque que les consommateurs – en l’espèce le grand public – établissent une association entre les signes en conflit et projettent les caractéristiques de la marque antérieure sur la marque contestée. Ce transfert de l’image positive de la marque antérieure pourrait faciliter la mise sur le marché des produits de la marque contestée, réduisant ainsi la nécessité d'investir dans la publicité, et permettrait alors au titulaire de cette dernière de bénéficier, sans contrepartie, des efforts commerciaux déployés par le demandeur pour créer et entretenir l’image de sa marque.

Par ailleurs, l’usage de la marque contestée pour les produits du tabac est également susceptible de porter préjudice à la renommée de la marque antérieure.

En effet, ces produits sont universellement considérés comme présentant de graves dangers pour la santé et, de ce fait, sont susceptibles d’engendrer un préjudice à la marque antérieure renommée pour la vente de produits alimentaires qui jouent un rôle essentiel pour être en bonne santé. Véhiculant une image en contradiction avec les produits de la marque antérieure, ils sont susceptibles de nuire à son image.

La marque semi-figurative antérieure MINI CAPRICE jouit d’une renommée en France pour les « fromage, produits laitiers ».

Outre les constatations similaires à celles effectuées pour la marque antérieure CAPRICE DES DIEUX, il ressort des pièces versées que la marque MINI CAPRICE désigne la version miniature du fromage fabriqué et commercialisé sous la marque CAPRICE DES DIEUX qui bénéficie, comme précédemment démontré, d’une grande renommée en raison de sa forte exposition médiatique et de son succès commercial. 

Les signes en litige présentent de faibles similitudes visuelles et phonétiques résultant de la présence commune du terme « CAPRICE » et des similitudes conceptuelles moyennes dans la mesure où elles évoquent toutes deux un caprice. Ces ressemblances d’ensemble, même faibles, sont renforcées par la prise en compte de leurs éléments distinctifs et dominants, en l’occurrence l’élément « CAPRICE ».

Comme pour la marque CAPRICE DES DIEUX, lorsqu’ils rencontreront la marque Le caprice des Rois en relation avec les produits contestés, les consommateurs concernés pourront faire un lien avec la marque antérieure MINI CAPRICE.

De même, l’usage de la marque contestée pour l’ensemble des produits visés par la demande de nullité est susceptible de tirer indûment profit de la renommée de la marque MINI CAPRICE, et, s’agissant des produits du tabac, de porter préjudice à sa renommée.

Décision INPI, 12 juillet 2023, NL 23-0007 (NL20230007)
Savencia SA c. Levest SARL