Jurisprudence
Dessins et modèles

Contrefaçon d'un modèle communautaire de terminal de point de vente - Appréciation de l'impression visuelle d'ensemble, après avoir écarté les caractéristiques déterminées exclusivement par la fonction technique du produit

PIBD 1215-III-6
TJ Paris, 2 juin 2023

Validité de la saisie-contrefaçon (oui) - Mission de l'huissier - Questions posées au saisi - Pouvoirs outrepassés (non)

Contrefaçon du modèle communautaire (non) - Droit de l’UE - Étendue de la protection - Identification des caractéristiques exclusivement imposées par la fonction technique - Éléments de détail - Couleur - Dimensions - Disposition - Liberté laissée au créateur - Impression visuelle d'ensemble différente

Texte
Modèle n° 005772563-0001 de la société Aurès Technologie
Texte

La saisie-contrefaçon est valable. Cette mesure vise à rapporter la preuve matérielle de la contrefaçon et de son étendue, et non l'aveu du contrefacteur suspecté. Cela peut certes passer par l'obtention d'informations, éventuellement orales, de la part des personnes présentes, utiles à la recherche et la compréhension des preuves matérielles susceptibles d'être trouvées sur les lieux de la saisie, ou utiles à la recherche d'autres preuves, éventuellement auprès d'autres personnes impliquées dans la contrefaçon, mais pas par le détournement de la contrainte associée à la saisie-contrefaçon pour mener un interrogatoire. Ainsi, ne peuvent pas être autorisées les questions qui visent à obtenir une preuve verbale de la contrefaçon ou de son étendue de la part des personnes présentes. Le moment où est posée une question est un élément d'appréciation de son lien avec la mesure autorisée (une question posée après la découverte d'un objet contrefaisant étant plus susceptible de se rattacher à la description de cet objet et à l'étendue de la contrefaçon), mais n'est pas déterminant.

En l’espèce, la question concernant le lancement d’une nouvelle gamme d’un produit, qui a été posée après l'obtention de l'état des stocks et des bons de livraison des produits vendus ou prêtés, ne vise qu'à éclairer le contexte de la commercialisation du produit objet de la mesure. Elle est pertinente pour l'analyse des pièces demandées et est susceptible de conduire à découvrir l'existence et constater d'autres preuves matérielles sur cette origine et sur l'étendue de la commercialisation. Elle n'excède donc pas le cadre de la mission de l’huissier. Par ailleurs, les autres questions visent à éclairer, et non démontrer par elles-mêmes, l'origine et le circuit commercial du produit après sa remise à l’huissier.

La demande en contrefaçon du modèle communautaire portant sur un terminal de point de vente est rejetée. Le titulaire contestait notamment le fait que les caractéristiques qu'il mettait en avant pour établir la similarité des modèles en cause étaient imposées par la fonction technique du produit.

Selon l’article 8, § 1 du règlement 6/2002, un dessin ou modèle communautaire ne confère pas de droits sur les caractéristiques de l'apparence d'un produit qui sont exclusivement imposées par sa fonction technique. Interprétant cette disposition, la Cour de justice, dans son arrêt Doceram[1], a dit que, pour apprécier si les caractéristiques sont exclusivement imposées par la fonction technique du produit, il y a lieu d'établir que cette fonction est le seul facteur ayant déterminé ces caractéristiques, ce qui doit être fait au regard de toutes les circonstances objectives pertinentes de chaque cas d'espèce, sans se fonder sur la perception d'un "observateur objectif", et sans que l'existence de dessins ou modèles alternatifs soit déterminante.

L’article 8, § 1 précité concerne la fonction technique du produit, et non la fonction technique d’une caractéristique prise isolément. Toutefois, pour apprécier la fonction technique du produit, il ne faut pas se limiter à une approche générique de la catégorie de produit pour laquelle le modèle est enregistré.

En l’espèce, la fonction technique du terminal de point de vente inclut la possibilité de le plier ou le déplier en orientant son écran. Il s’agit d’une fonction utile du produit, avant d'être une caractéristique visuelle. Cette fonction dépend d'une certaine modalité de construction, un produit ne pouvant être plié ou déformé que si sa construction le permet, selon des contraintes mécaniques, et plus généralement physiques. Il s'agit donc d'un effet technique, qui fait partie de la fonction technique du produit.

Le bras articulé, qui relie l’écran et la base, permet de plier le produit et d’orienter l’écran. La fonction technique du produit est donc le seul facteur ayant déterminé sa présence. Il en va de même de la caractéristique tenant à la présence d'un écran plat, rectangulaire, avec une partie plus épaisse à l'arrière et un élément plus épais servant de fixation au bras articulé. Dans le modèle en cause, la base contient des composants informatiques, comme le révèle la présence de prises sur le côté, ce qui n'est pas nécessairement le fruit d'un choix fonctionnel. De même, elle comprend une partie plus épaisse à l’arrière au niveau où est fixé le bras articulé. Le fait que l’ensemble soit de deux épaisseurs différentes ne résulte pas exclusivement d’un motif purement technique. En revanche, le fait que la base soit fine obéit à un objectif de gain de place qui est en soi un effet technique faisant partie de la fonction technique du produit. Ainsi, est exclusivement imposée par la fonction technique du produit la caractéristique tenant à la présence d'une base fine dont une partie permet de fixer le bras articulé.

Les caractéristiques écartées car purement techniques sont visuellement les plus marquantes dans le modèle en cause car elles conditionnent son aspect général (un écran plat articulé à un socle). À l'inverse, les caractéristiques sur lesquelles la protection peut être accordée (la couleur, la forme du bras, du socle et des éléments de fixation, la taille de tous les éléments, l'emplacement des éléments techniques) relèvent du détail, et c'est donc de ce détail que dépend l'impression visuelle produite sur l'utilisateur averti.

En outre, la liberté du créateur est encadrée par des contraintes de stabilité et de robustesse qui limitent la liberté quant à la taille et la forme du socle, du bras articulé et des éléments de fixation, et par des contraintes de confort d'utilisation, qui limitent la liberté du créateur quant à la taille de l'écran et l'amplitude que permet celle du bras articulé.

Dans ce cadre, l'utilisateur averti, dont par définition l'attention est élevée, remarquera les différences dans la façon dont les parties sont assemblées, fera attention au produit tant en position pliée que dépliée, et il remarquera l'aspect de l'ensemble du produit en comparant, lorsque c'est possible, directement les produits côte à côte.

En conséquence, après avoir fait abstraction des caractéristiques déterminées exclusivement par la fonction technique du produit, et en tenant compte du degré de liberté de création du créateur, le modèle en cause et les produits litigieux ont peu de points communs et se distinguent par plusieurs éléments (épaisseur de la base, de l’élément de fixation du bras et du produit replié). Certes ceux-ci pouvaient passer de prime abord pour des détails, mais s'avèrent les seuls à pouvoir déterminer l'impression d'ensemble et se révèlent déterminants dans ce cadre. Les produits litigieux produisent donc sur l'utilisateur averti une impression visuelle d'ensemble différente de celle du modèle invoqué.

Tribunal judiciaire de Paris, 3e ch., 2e sect., 2 juin 2023, 21/09331 (D20230038)
Aurès Technologies SA c. Perimatic SE, Senor Tech Co Ltd et Senor Tech BV

[1] CJUE, 2e ch., 8 mars 2018, Doceram, C-395/16 ; D20180019 ; PIBD 2018, 1092, III-286 ; Propr. industr., mai 2018, p. 53, P. Greffe ; Propr. intell., 67, avr. 2018, p. 124, P. de Candé ; Europe, mai 2018, p. 37, L. Idot ; L'Essentiel, mai 2018, p. 4, A.-E. Kahn ; Comm. com. électr., juin 2018, p. 27, C. Caron ; Propr. industr., nov. 2018, p. 21, P. Greffe ; Propr. industr., oct. 2020, chron. 8, F. Glaize.