Contrefaçon de marque - Atteinte à la marque de renommée (oui) - Marque semi-figurative de l’UE - Logo - 1°) Preuve de la renommée - Intensité et durée de l’usage - Importance des investissements promotionnels - Étendue géographique - 2°) Existence d’un lien entre les signes - Forte similitude - Produits et services différents - Public pertinent - Préjudice porté au caractère distinctif et à la renommée de la marque - Usage à titre d’enseigne - Usage sur les réseaux sociaux
Préjudice - Non-cumul des postes de préjudice - Droit de l’UE - Dilution de la marque - Atteinte à la valeur patrimoniale - Caractère limité des actes incriminés - Absence de préjudice commercial ou moral
L’action en contrefaçon pour atteinte à la renommée de la marque semi-figurative « RR » de l’Union européenne, désignant les « automobiles et leurs pièces », qui a été formée par une société anglaise ayant pour activité la fabrication et la vente de véhicules de luxe, est bien fondée.
En premier lieu, s'agissant de la renommée, la société demanderesse établit l'usage de sa marque par son apposition, de manière très visible, sur l'extérieur avant des voitures, sur les jantes et sur le volant. La marque est également exploitée sur le site internet de la demanderesse.
Les premières voitures de luxe ont été exposées par cette entreprise, sous le nom « Rolls Royce », dès 1904. Bien que le dépôt de la marque « RR » effectué en 2003 soit relativement récent, le monogramme composé de deux « R » majuscules entrelacés, correspondant aux initiales des fondateurs de l’entreprise, est utilisé intensément depuis 1906. Son graphisme a peu évolué dans le temps, utilisant successivement les couleurs rouge, noire et bleue. Il apparaît ainsi que ce monogramme est associé au nom « Rolls Royce » depuis la fondation de l'entreprise au début du XXe siècle.
La liste des concessionnaires agréés, versée aux débats, établit l'exploitation de la marque « RR » dans divers pays de l'Union européenne, dont l'Allemagne, la République tchèque, la Belgique, les Pays Bas, mais aussi aux États Unis, en Russie, à Dubaï ou en Chine. Il est également établi que les véhicules « Rolls-Royce » sont référencés dans la presse, apparaissent dans des films, dont certains très célèbres, et ont fait l'objet, pour le véhicule baptisé « Phantom Oribe », d'un partenariat avec la marque de luxe Hermès. La société demanderesse a par ailleurs développé des programmes lui donnant une présence dans le monde de l'art par le soutien d'artistes et la collaboration avec des musées de renom.
La demanderesse dispose, en outre, de très nombreux abonnés sur les réseaux sociaux (Instagram, Facebook, Twitter et YouTube). Bien que la marque « RR » n'apparaisse pas au premier plan sur ces pages, la société ayant choisi de mettre en avant le logo présentant de manière stylisée sa mascotte « Esprit d'extase », ces comptes participent au développement de la renommée de la marque du fait de son association au nom « Rolls-Royce ». Enfin, il apparaît qu'en 2021, la société demanderesse a enregistré son meilleur chiffre de vente depuis 117 ans avec une hausse de 49 % par rapport à l'année 2020.
En conséquence, par l’usage ancien et intensif dont elle a fait l’objet et en raison d’investissements promotionnels importants, la marque jouit d'une renommée certaine au sein de l'Union européenne, en particulier auprès du public français. Cette renommée s'étend au-delà du public concerné par les produits pour lesquels la marque a été enregistrée, permettant à la société demanderesse d'invoquer la protection définie à l'article 9, § 2, c, du règlement (UE) 2017/1001.
En second lieu, s'agissant de l'atteinte à la renommée de la marque « RR », il existe une forte similitude entre celle-ci et le logo constitué d’un double « R » entrelacé qui est utilisé par la société défenderesse pour l'enseigne du bar à chicha qu’elle exploite, ainsi que sur ses pages Instagram et Facebook. Les différences entre les monogrammes en présence, tenant à la couleur de la police employée et au fond, sont compensées par la forte similitude de la typographie.
Il n'existe pas, en revanche, d'identité ou de similarité entre les produits désignés dans la marque invoquée et les services de restauration exploités par la société défenderesse. Le public concerné par les produits pour lesquels la marque a été enregistrée, composé d'amateurs de véhicules de luxe, se distingue de celui concerné par les services de bar à chicha, constitué de consommateurs de chicha. Le fait que la société demanderesse propose à la vente, sous sa marque, des articles pour fumeurs et consommateurs d'alcool ne permet pas de conclure à un chevauchement des publics concernés, dans la mesure où il s'agit manifestement d'une activité accessoire et que ces produits ne sont pas compris dans la classification pour laquelle la marque a été enregistrée.
Ceci étant, la demanderesse, qui établit que sa marque a acquis une renommée s’étendant au-delà du public concerné par les produits pour lesquels elle a été enregistrée, démontre que le public concerné par les services proposés par la société défenderesse fera un lien entre le logo incriminé et la marque invoquée. L'usage de ce logo par la défenderesse vise à bénéficier de l'image de luxe, de prestige et d'exclusivité associée à la marque. Il en découle un préjudice porté à la renommée de cette dernière, ainsi qu'un préjudice porté à son caractère distinctif.
En conséquence, en faisant usage, sans juste motif, d'un logo similaire à la marque « RR », à titre d'enseigne pour son bar à chicha ainsi que sur les réseaux sociaux, la société défenderesse a porté atteinte à la renommée de la marque.
Tribunal judiciaire de Paris, 3e ch., 1re sect., 11 mai 2023, 22/14248 (M20230129)
Rolls-Royce Motor Cars Ltd c. EBHD SASU