Jurisprudence
Marques

Contrefaçon de la marque LIGNE ROSET par la mise en vente d’un meuble d’occasion sur une place de marché en ligne - Épuisement des droits écarté en raison des modifications apportées au produit

PIBD 1229-III-3
TJ Paris, 25 avril 2024

Déchéance de la marque de l’UE (non) - Usage sérieux

Contrefaçon des marques françaises et de l’UE (oui) - 1°) Force probante du constat du commissaire de justice - Distinction de ses constatations et des déclarations des salariés du requérant (non) - 2°) Commercialisation d’un produit d’occasion - Épuisement des droits - Renversement de la charge de la preuve - Motif légitime (oui)

Responsabilité de l’exploitant de la place de marché en ligne (oui) - Droit de l’UE - Régime spécifique de responsabilité de l’hébergeur (non) - Responsabilité du vendeur (oui) - Garantie due par le vendeur (oui)

Protection au titre du droit d'auteur (oui) - Contrefaçon (non) - Épuisement du droit de distribution - Reproduction des caractéristiques (non) - Modification de l’œuvre - Caractère apparent - Représentation de l’œuvre sur une annonce - Produit d'occasion

Contrefaçon du modèle (non) - Impression visuelle d'ensemble différente - Caractère apparent

Concurrence parasitaire (non) - Vente d’un produit d’occasion

Dénigrement (oui) - Mise en garde adressée à la clientèle sur la contrefaçon

Texte
Marque n° 1 571 757 de la société Roset
Marque n° 98 757 593 de la société Roset
Marque n° 3 590 210 de la société Roset
Marque n° 016 691 537 de la société Roset
Modèle n° 112398-005 de la société Roset
Texte

La société demanderesse, qui a pour activité la commercialisation de meubles contemporains, est titulaire de la marque verbale française ROSET, des marques verbales française et de l’Union européenne LIGNE ROSET, de la marque française semi-figurative ligne roset et de la marque tridimensionnelle portant sur la forme d’un canapé, toutes déposées pour désigner notamment les meubles. Elle est également titulaire d'un modèle français portant sur un canapé et se prévaut de droits d’auteur sur un fauteuil dénommé « Togo ». Elle a assigné en contrefaçon de marques, de droit d'auteur et de modèle une société exploitant sur Internet une plateforme de vente de mobilier vintage entre professionnels et particuliers. Elle lui reproche en effet la vente, sur cette place de marché en ligne, d’un fauteuil « Togo » qui aurait subi des transformations.

La société défenderesse publie des offres à la vente de produits d’occasion qui ont été commercialisés parfois pour la première fois il y a plusieurs décennies, comme c’est le cas du fauteuil litigieux datant des années 1980. Elle oppose à la société demanderesse l’exception de l’épuisement des droits. Cependant, elle se heurte à la difficulté, voire à l’impossibilité, de rapporter la preuve de la chaîne de distribution constituée des différents opérateurs, qui lui permettrait de remonter jusqu’à la première mise dans le commerce du produit revêtu de la marque LIGNE ROSET dans l’Espace économique européen (EEE). La société demanderesse, qui ne conteste pas commercialiser ses produits via un réseau de distribution sélective, a sollicité des plateformes de seconde main la communication des noms de leurs fournisseurs. Il en résulte un risque de cloisonnement du marché qui justifie un renversement de la charge de la preuve. Or, la demanderesse n’établit pas que les produits ont été initialement mis dans le commerce par elle-même ou avec son consentement en dehors de l'EEE. Elle ne s’est pas préconstituée cette preuve en utilisant, par exemple, un système de marquage de la destination géographique des produits permettant de déterminer si l’exemplaire litigieux était ou non destiné au marché de l’EEE. Par conséquent, la présomption d’épuisement des droits s’applique au litige.

La société demanderesse invoque un motif légitime justifiant qu’elle s’oppose à tout nouvel acte de commercialisation de ses produits après qu’ils ont été mis dans le commerce, comme supposé, dans l’EEE par elle ou avec son consentement. Selon l’article 15 du règlement (UE) 2017/1001 et l’article L. 713-4, al. 2, du CPI, le motif légitime peut notamment tenir à la modification ou à l’altération ultérieure de l’état des produits, sans que les contours de cette atteinte à l’état d’origine du produit ne soient davantage précisés par ces textes.

Il est acquis que les protections conférées par le droit des marques ne doivent pas conduire à interdire le marché légitime des biens d'occasion, en tenant compte également des besoins d’entretien et de réparation inhérents à l’écoulement du temps. Cependant, lorsque le produit vendu sous la marque d’origine a, postérieurement à sa mise sur le marché, été transformé au point que sa nature en a été changée, alors la fonction essentielle de garantie d’origine du produit est mise à mal. En effet, le consommateur risque d’être induit en erreur par la présence de la marque sur ce produit et d’imputer à son titulaire l’état modifié de ce produit, qui ne peut pourtant plus être considéré, compte-tenu des modifications essentielles dont il a été l’objet, comme celui dont la commercialisation a été autorisée licitement.

En l’espèce, le fauteuil « Togo » de la société demanderesse est décrit, dans la brochure réalisée pour ses 40 ans, comme étant un fauteuil singulier “tout mousse” avec un savoir-faire plusieurs fois récompensé. La combinaison particulière de la housse et des mousses, assemblées et cousues selon une technique singulière lui conférant son design, constitue l’essence même du fauteuil, lequel est dépourvu de toute structure rigide. L’exemplaire litigieux a non seulement été retapissé en Pologne, ce qui figure sur l’annonce à destination du consommateur, mais a également été regarni de manière importante puisque la mousse centrale et la mousse de confort ont été changées, ce qui n’est pas, au demeurant, mentionné dans l’annonce. Ces modifications ont impliqué de reprendre les boutons ainsi que les coutures du fauteuil, lesquels lui donnent son design si particulier. Dans la mesure où tant la housse, les mousses du fauteuil que leur assemblage ont été modifiés, avec en plus des finitions de mauvaise facture, le fauteuil litigieux a subi une modification essentielle ne respectant pas la configuration initiale du produit. N’ayant pas été intégralement portée à la connaissance du consommateur, cette modification conduit celui-ci à associer son résultat, un fauteuil de moindre qualité, au titulaire de la marque. La fonction essentielle de cette dernière est donc compromise. La société demanderesse justifie ainsi d’un motif légitime lui permettant de s’opposer à l’effet de l’épuisement des droits.

La contrefaçon de la marque ROSET est caractérisée, une étiquette avec cette marque étant cousue sur le fauteuil litigieux. De plus, la modification de l’apposition de la marque, qui a été nécessairement retirée pour être recousue différemment, ce qui apparaît sur les photographies annexées au procès-verbal de constat, constitue également une atteinte. La contrefaçon des marques LIGNE ROSET et de la marque tridimensionnelle est aussi caractérisée. En revanche, la contrefaçon ne saurait être étendue à l’ensemble des annonces de fauteuils d’occasion publiées sur la place de marché en ligne. Elle concerne uniquement l’exemplaire qui a fait l’objet du constat et dont la nature et l’ampleur des modifications ont été examinées. La simple mention d'un « retapissage » sur les autres fauteuils, sans qu’il soit possible d’examiner la transformation apportée, est insuffisante à cet égard.

La responsabilité de la société défenderesse qui exploite la place de marché en ligne est établie, en sa qualité d’éditrice du site internet. Elle a en effet joué un rôle actif, caractérisant sa participation à la commercialisation du produit litigieux, dès lors qu’elle avait connaissance des données stockées et qu’elle proposait différents services dépassant le simple stockage, notamment un service d’authentification des produits. Elle ne peut donc pas se prévaloir du régime de responsabilité limitée prévue pour les hébergeurs par l’article 6 I.2 de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 (LCEN) et l’article 14 de la directive 2000/31/CE. En ce qui concerne la société qui a vendu le fauteuil litigieux sur la place de marché et qui a été assignée par la société défenderesse en intervention forcée, sa responsabilité est également engagée en qualité de vendeuse. Elle sera condamnée à garantir la défenderesse de toutes condamnations prononcées à son encontre. Elle a en effet manqué à un certain nombre d’obligations découlant du contrat de partenariat qui la lie à l’exploitante de la plateforme, notamment celle de garantir l’authenticité des produits offerts à la vente.

La société demanderesse se prévaut, par ailleurs, de droits d’auteur sur un fauteuil dénommé « Togo ». Pour démontrer l’originalité de son œuvre, elle revendique une combinaison de plusieurs caractéristiques dont une forme comme « un tube de dentifrice replié sur lui-même comme un tuyau de poêle et fermé aux deux bouts », une structure sans piètement, la découpe des mousses en biseau sur le haut du dossier donnant au fauteuil sa physionomie particulière, une confection en bourrelets plus resserrés à l'angle entre le dossier et l'assise, les piqûres et surpiqûres de la housse donnant au modèle son aspect moelleux. Cette combinaison porte bien l’empreinte de la personnalité de l’auteur.

Concernant la contrefaçon de droit d’auteur, comme il a été souligné pour le droit des marques, la société demanderesse n’établit pas que les produits litigieux, qui sont authentiques, ont été initialement mis dans le commerce par elle-même ou avec son consentement en dehors de l'EEE. Dès lors, la règle de l’épuisement du droit de distribution a vocation à s’appliquer conformément à l’article L. 122-3-1 du CPI. Cependant, cette règle ne concerne pas les autres prérogatives patrimoniales de l’auteur. De ce fait, le titulaire des droits d’auteur n’est pas privé de la possibilité de faire valoir le droit de reproduction.

Si la transformation d’une œuvre peut être sanctionnée au titre de la contrefaçon comme étant une nouvelle reproduction, portant ainsi atteinte aux droits patrimoniaux, encore faut-il que le titulaire explique en quoi les caractéristiques protégées ont été transformées. S’agissant de la structure interne et non visible de l’œuvre, qui a une importance centrale en l’espèce, il convient d’établir en quoi elle a un lien direct avec la forme externe de l’œuvre. Or, la société demanderesse reprend le raisonnement tenu en matière de droit des marques, arguant de ce que les sociétés défenderesses proposent à la vente des fauteuils regarnis et retapissés, voire copiés, sans procéder à une comparaison précise des caractéristiques des produits incriminés par rapport à l’œuvre. En outre, la seule représentation de l’image du fauteuil, dans le cadre d’annonces destinées au commerce d’occasion, dont le caractère illicite n’est pas établi, n’est pas une contrefaçon. Dès lors, la contrefaçon de droit d’auteur n’est pas caractérisée.

La société demanderesse invoque, enfin, un modèle français portant sur un canapé deux places qui présente une structure sans piètement posée à même le sol et qui comporte  des plis et des bourrelets. Les caractéristiques internes du produit, non visibles, relatives à l’existence de mousses de densités différentes et à leur découpe particulière, ne concernent pas l’apparence du produit, ses lignes, ses contours, sa forme, sa texture, ses matériaux, seuls protégés au titre du modèle déposé. Le fauteuil litigieux est un fauteuil une place qui, dès lors, produit sur l’utilisateur averti une impression visuelle d’ensemble différente de celle du modèle de canapé, quand bien même d’autres caractéristiques s’y retrouveraient. Cette différence entre le modèle déposé et le produit litigieux n’est pas insignifiante. La contrefaçon n’est donc pas caractérisée.

Tribunal judiciaire de Paris, 3e ch., 1re sect., 25 avril 2024, 21/14571 (M20240110)
Roset SAS c. Design Market SAS et This.sign