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OMPI

Retour sur la conclusion historique d’un traité sur la propriété intellectuelle relative aux ressources génétiques et aux savoirs traditionnels associés

PIBD 1228-IV-2
par Célia Benabou, chargée de missions au service juridique et international de l’INPI
Texte

Par Célia Benabou, chargée de missions au service juridique et international de l’INPI

Après plus de vingt ans de négociations, les États membres de l’OMPI ont finalement conclu, le 24 mai 2024, le Traité de l’OMPI sur la propriété intellectuelle relative aux ressources génétiques et aux savoirs traditionnels associés1. Il s'agit du premier traité de l’OMPI portant sur l’interaction entre la propriété intellectuelle, les ressources génétiques et les savoirs traditionnels associés. C'est également le premier traité de l’OMPI à inclure des dispositions spécifiques relatives aux peuples autochtones et aux communautés locales.

1. Éléments de contexte :

Le Comité intergouvernemental de la propriété intellectuelle relative aux ressources génétiques, aux savoirs traditionnels et au folklore (IGC-GRTKF) existe à l’OMPI depuis les années 2000. Il comporte deux volets distincts : d’une part, le comité consacré aux ressources génétiques et savoirs traditionnels associés aux ressources génétiques, qui a donné lieu au Traité de l’OMPI sur la propriété intellectuelle relative aux ressources génétiques et aux savoirs traditionnels associés et, d’autre part, un comité consacré aux expressions culturelles traditionnelles ou du folklore (prochaine session en novembre 2024).

En juillet 2022, l’Assemblée générale de l’OMPI a décidé de convoquer une Conférence diplomatique pour la conclusion d’un instrument juridique international portant sur la propriété intellectuelle relative aux ressources génétiques et aux savoirs traditionnels associés aux ressources génétiques.

La Conférence diplomatique, qui s’est tenue du 13 au 24 mai 2024 à Genève2, a abouti au succès tant attendu : l’approbation par consensus de ce traité historique par les États membres de l’OMPI.

Les ressources génétiques et autres ressources biologiques constituent un objet spécifique et font l’objet de nombreux débats quant à leur protection par la propriété intellectuelle depuis que les systèmes de propriété intellectuelle ont commencé à protéger l’innovation dans les sciences de la vie modernes, dès le milieu des années 70. Les ressources génétiques sont définies comme le « matériel génétique ayant une valeur effective ou potentielle »3 et comprennent, par exemple, les plantes, les graines, les microorganismes, les races animales, les séquences génétiques, etc. Les ressources génétiques, en tant que telles, ne sont pas brevetables dans la mesure où elles constituent des produits de la nature et ne sont donc pas des inventions. En revanche, les inventions qui se fondent sur ces ressources peuvent être protégées par un brevet.

Concernant les savoirs traditionnels associés aux ressources génétiques, aucune définition internationale n’est établie, mais le Code de l’environnement français les définit comme « les connaissances, les innovations et les pratiques relatives aux propriétés génétiques ou biochimiques de cette ressource, à son usage ou à ses caractéristiques, qui sont détenues de manière ancienne et continue par une ou plusieurs communautés d'habitants mentionnées, ainsi que les évolutions de ces connaissances et pratiques lorsqu'elles sont le fait de ces communautés d'habitants »4. Les exemples de savoirs traditionnels associés sont nombreux5. Parmi eux, le Jeevani, provenant d’Inde, développé à partir de la plante Arogyapaacha, grâce aux connaissances médicinales de la tribu des Kani, est reconnu pour ses propriétés anti-stress et anti-fatigue, ou encore la Marjala, plante bien connue des autochtones du clan Jarlmadangah Burru (nord-ouest de l’Australie) pour ses propriétés curatives et antalgiques. Les savoirs traditionnels au sens large recouvrent, quant à eux, les connaissances proprement dites ainsi que les expressions culturelles traditionnelles, y compris les signes distinctifs et les symboles associés aux savoirs traditionnels, pouvant aller de la médecine traditionnelle et des connaissances écologiques, à l’art, aux symboles, à la musique, etc.

La Convention sur la diversité biologique (CDB) est un traité international juridiquement contraignant, signé en 1992, qui a pour objectifs la conservation et l’utilisation durable de la diversité biologique, ainsi que le partage juste et équitable des avantages découlant de l’utilisation des ressources génétiques. Cette convention a donné lieu au protocole de Nagoya qui traite uniquement des questions d'accès et de partage des avantages liés aux ressources génétiques. La convention et le protocole fixent les règles générales pour l'accès aux ressources génétiques et aux connaissances traditionnelles associées.

2. Principales dispositions du Traité de l’OMPI sur la propriété intellectuelle relative aux ressources génétiques et aux savoirs traditionnels associés, approuvées lors de la Conférence diplomatique à Genève :

Objectifs (article 1)

Le Traité de l’OMPI a pour objectifs, d’une part, de favoriser l’efficacité, la transparence et la qualité du système des brevets en ce qui concerne les ressources génétiques et leurs savoirs traditionnels associés, sur lesquels se fondent des inventions brevetées et, d’autre part, de prévenir la délivrance de brevets indus pour des inventions qui ne seraient pas nouvelles ou n’impliqueraient pas d’activité inventive au regard des ressources génétiques et de leurs savoirs traditionnels associés.

Exigence de divulgation (article 3)

Afin de répondre aux objectifs du Traité, l’une des dispositions centrales est consacrée par l’article 3 qui introduit, pour les déposants de brevets, une exigence de divulgation relative à l’origine ou à la source des ressources génétiques et/ou des savoirs traditionnels associés lors du dépôt des demandes de brevets, lorsque l’invention revendiquée est « fondée sur » ces ressources génétiques et/ou savoirs traditionnels associés.

  • Déclencheur de la divulgation (article 2 - Liste de termes)

Cette exigence de divulgation, qui est une mesure de transparence, s’appliquera aux dépôts de brevets effectués dans les États qui ratifieront le Traité, uniquement lorsque l’invention revendiquée sera « fondée sur » des ressources génétiques et/ou sur des savoirs traditionnels associés.

On entend par « fondée sur » que les ressources génétiques et/ou savoirs traditionnels associés aux ressources génétiques doivent s'être avérés nécessaires pour l’invention revendiquée, et que l’invention revendiquée doit dépendre des propriétés spécifiques de ces ressources et /ou savoirs traditionnels associés.

  • Contenu de la divulgation (article 3.1 et 3.2)

Lorsqu’une invention revendiquée dans une demande de brevet sera « fondée sur » des ressources génétiques, le déposant devra divulguer le pays d’origine de la ressource (entendu comme le pays dans lequel le déposant a obtenu la ressource, ce pays possédant la ressource dans des « conditions in situ »6). Si le déposant ne connaît pas le pays d’origine c’est-à-dire si le déposant a eu accès à la ressource génétique via une source dite ex situ7, ou si cela ne s’applique pas (par exemple ressources génétiques provenant de lieux ne relevant pas de la juridiction nationale, comme la haute mer), le déposant devra alors divulguer la source de la ressource (entendue comme, par exemple, un centre de recherche, une banque de gènes ou encore un jardin botanique).

Lorsqu’une invention revendiquée dans une demande de brevet sera « fondée sur » des savoirs traditionnels associés à des ressources génétiques, le déposant devra divulguer le peuple autochtone ou la communauté locale qui lui a fourni ces savoirs associés. Si le déposant ne connaît pas le peuple autochtone ou la communauté locale, ou si cela ne s’applique pas, c’est-à-dire si le déposant n’a pas eu accès aux savoirs traditionnels associés aux ressources génétiques via un peuple autochtone ou une communauté locale, celui-ci devra divulguer la source des savoirs traditionnels associés (entendue comme par exemple la littérature scientifique, les bases de données accessibles au public, ou encore les demandes et documents de brevet).

  • Cas où le déposant n’a aucune information (article 3.3)

Si le déposant ne connaît aucune des informations requises aux paragraphes 3.1 et/ou 3.2, il devra faire une déclaration à cet effet, affirmant qu’à sa meilleure connaissance, le contenu de cette déclaration est vrai et correct.

Rôle des offices de brevet (article 3.4 et 3.5)

Les offices de brevets devront donner des précisions aux déposants afin de leur permettre de se conformer à l’exigence de divulgation. Ils n’auront cependant pas l’obligation de vérifier l’authenticité de la divulgation fournie.

Sanctions (article 5)

Le non-respect de l’exigence de divulgation pourra être sanctionné de manière appropriée, efficace et proportionnée. Cependant, les sanctions affectant les droits conférés par le brevet (notamment la révocation, l’invalidité) sont exclues en cas de simple manquement à l’exigence de divulgation (article 5.3). En cas d’intention frauduleuse, il pourra être dérogé à ce principe, celle-ci pouvant être sanctionnée, à l’appréciation de chaque partie contractante, en vertu de sa législation nationale (article 5.4).

Les déposants de brevet bénéficieront toutefois de la possibilité de rectifier tout défaut de communication des informations requises en phase de pré-délivrance (article 3.4), ainsi qu’après la délivrance du brevet, avant que toute sanction ou mesure corrective ne leur soit imposée (article 5.2). La possibilité de rectification après la délivrance du brevet peut être exclue par les parties contractantes qui le souhaitent, dans les cas de comportement ou d’intention frauduleuse, en vertu de chaque législation nationale (article 5.2 bis). 

Systèmes d’information (article 6)

Le Traité contient des dispositions relatives à un système d’information (base de données) qui pourrait être mis en place, afin de permettre aux offices de propriété intellectuelle d’accéder aux informations relatives aux ressources génétiques et savoirs traditionnels associés, notamment à des fins de recherche et d’examen.

Non-rétroactivité du Traité (article 4) et entrée en vigueur (article 17)

Les obligations du Traité ne s’appliqueront que dans les pays qui ratifieront le Traité et pour les demandes de brevets déposées à compter de la date de son entrée en vigueur dans le pays en question.

Le Traité entrera en vigueur trois mois après la ratification du Traité par quinze États.

Relation avec d’autres accords internationaux (article 7)

Le Traité doit être mis en œuvre d’une manière complémentaire par rapport aux autres accords internationaux pertinents à son égard, sans pour autant déroger aux dispositions d’un autre accord international, ni les modifier.

La mise en œuvre d’une exigence de divulgation dans les demandes de brevets devrait permettre aux États ayant ratifié le protocole de Nagoya de contrôler plus facilement le respect des obligations contenues dans ce protocole concernant l’accès et le partage des avantages découlant de l’utilisation des ressources génétiques et des savoirs traditionnels associées.

Si cette exigence de divulgation existe déjà dans un certain nombre de législations nationales à l’heure actuelle, l’entrée en vigueur de ce Traité aura pour effet d’augmenter le nombre d’États appliquant une telle exigence.

1 Cf. PIBD 2024, 1227, IV-3.
2 Cf. PIBD 2024, 1225, IV-4.
3 Article 2 de la Convention sur la diversité biologique (CDB) et article 2 du Traité de l’OMPI sur la propriété intellectuelle relative aux ressources génétiques et aux savoirs traditionnels associés (document GRATK/DC/7).
4 Article L412-4 5° du Code de l’environnement
5 Pour en savoir plus : https://www.wipo.int/edocs/pubdocs/fr/wipo_pub_1047_19.pdf.
6 L’article 2 de la Convention sur la diversité biologique (CDB) et l’article 2 du Traité de l’OMPI sur la propriété intellectuelle relative aux ressources génétiques et aux savoirs traditionnels associés (document GRATK/DC/7) définissent les « conditions in situ » comme « les conditions caractérisées par l’existence de ressources génétiques au sein d’écosystèmes et d’habitats naturels et, dans le cas des espèces domestiquées ou cultivées, dans le milieu où se sont développés leurs caractères distinctifs ».
7 L’article 2 de la Convention sur la diversité biologique (CDB) définit la conservation ex situ comme « la conservation d’éléments constitutifs de la diversité biologique en dehors de leur milieu naturel ».