Opposition justifiée (oui) - Maintien du brevet sous une forme modifiée
Revendication 1 - Nouveauté (non) - Contenu de l’état de la technique - Accessibilité au public
1re requête subsidiaire - Requête tardive - Principe du contradictoire - Modification du brevet - Revendication 1 - Extension de l’objet au-delà du contenu de la demande initiale (oui)
2e requête subsidiaire - Modification du brevet - Revendications 1 à 11 - Nouveauté (oui) - Activité inventive (oui)
L’opposition formée à l’encontre du brevet français intitulé « Dispositif de tri pour produits agricoles, et procédé correspondant » est reconnue justifiée et le brevet est maintenu sous une forme modifiée.
Le brevet décrit un dispositif de tri conçu pour trier des produits agricoles comprenant plusieurs unités d’acquisition et de traitement d’images, de décision, de séparation et d’acheminement de ces produits agricoles sous forme de flux en vrac.
L’opposant a demandé la révocation totale du brevet sur les fondements de l’absence de nouveauté et d’activité inventive.
Le titulaire du brevet a contesté l’opposabilité des documents D1 à D4 de l’art antérieur, en soulevant notamment des arguments relatifs à leur accessibilité avant la date de dépôt du brevet et à leur contenu.
Le document D1 consiste en l’enregistrement, effectué postérieurement au dépôt du brevet, d’une vidéo diffusée sur la plateforme YouTube à une date antérieure au dépôt du brevet, et décrivant le fonctionnement d’une machine de tri, dénommée « OCULUS », d’une autre société. Le document D2 est une brochure d’une machine de tri dénommée « OCULUS » censée représenter le même dispositif que celui de D1, sur laquelle n’est indiquée aucune date de publication. Le document D3b est une impression d’écran, datée postérieurement au dépôt du brevet, montrant les liens internet d’accès à la vidéo D1 et à la brochure D2 à une date antérieure au dépôt du brevet. Le document D4 constitue lui aussi l’enregistrement, postérieur au dépôt du brevet, d’une vidéo YouTube mise en ligne à une date antérieure au dépôt du brevet, décrivant le fonctionnement d’une machine de tri nommé « SMART GRADER ».
S’agissant du contenu des vidéos opposées, conformément à la documentation du centre d’aide de la plateforme YouTube, iI n’est pas possible de « remplacer une vidéo car une nouvelle URL est attribuée à toute vidéo mise en ligne sur YouTube ». Des modifications peuvent en revanche être apportées, telles que couper la vidéo ou ajouter des fiches ou modifier le titre de la description. Toutefois, le titulaire n’apporte aucun élément à l’appui de son argumentation, selon laquelle l’opposant n’apporterait pas la preuve que le contenu des vidéos D1 et D4, tel que communiqué avec le mémoire d’opposition, correspondrait à celui mis en ligne initialement.
En ce qui concerne l’accessibilité au public des vidéos opposées, le document D3b, qui consiste en une impression d’écran, permet de prouver qu’un référencement de la vidéo D1 a été réalisé le 12 mai 2022, date à laquelle l’impression d’écran a été réalisée, soit postérieurement au dépôt du brevet. Le titulaire du brevet, afin d’écarter la vidéo litigieuse, soutient que l’opposant n’apporte pas la preuve que le contenu des vidéos était accessible en pratique, c’est-à-dire que le public était conscient de l’existence d’une telle vidéo et y avait accès avant la date de dépôt du brevet contesté le 30 août 2019. Cependant, aucune preuve permettant d’étayer ces allégations n’est apportée. En outre, la seule référence aux nombres de vues et/ou de mentions « j’aime » ne suffit pas à démontrer une absence de référencement des documents D1 et D4 avant la date de dépôt du brevet.
Dès lors, les documents D1 et D4 sont considérés comme opposables au brevet contesté.
Le document D3a, qui consiste en une impression d'écran en date du 12 mai 2022, montrant les propriétés du fichier PDF du document D2 et notamment sa date de création au 2 janvier 2018, ne fournit pas d’indication concernant sa publication et ne permet donc pas de prouver qu’il était accessible avant la date de dépôt du brevet contesté. En effet, aucun élément n’indique à quelle date il a été rendu disponible sur ce lien URL. Par conséquent, il existe un doute substantiel quant à la date de publication de ce document D2 qui, dès lors, ne fait pas partie de l’état de la technique opposable au brevet contesté.
Le document D1 divulgue l’ensemble des caractéristiques techniques de l’objet de la revendication n° 1. Par conséquent, l’objet de cette revendication n’est pas nouveau par rapport au document D1.
Le brevet ne pouvant être maintenu tel que le délivré, la requête principale du titulaire est rejetée.
Le titulaire du brevet a déposé de nouvelles requêtes subsidiaires considérées comme tardives puisqu’elles ont été déposées 13 jours avant la phase orale. L’INPI observe néanmoins que le débat contradictoire entre les parties a pu avoir lieu et qu’il peut fonder sa décision sur ces éléments, conformément à l’article R.613-44-7 du CPI. En outre, les modifications matérielles envisagées par le titulaire, discutées en phase orale, ont déjà été présentées à travers les requêtes déposées durant la phase écrite. La requête 1’’ proposée par le titulaire est donc admissible.
Au cours de la procédure d’opposition, le titulaire peut modifier les revendications du brevet, sous réserve, notamment, que les modifications apportées répondent à un des motifs d’opposition (art L.613-23-3 I 2° du CPI).
En l’espèce, la revendication n°1 de la requête 1’’ constitue un mode de réalisation qui n’est pas couvert par la demande telle que déposée. Elle couvre un mode de réalisation permettant un tri en deux catégories des produits agricoles, et prévoyant la possibilité de dévier ces produits avec une impulsion. La déviation des produits agricoles par impulsion n’est quant à elle prévue dans la description que pour permettre un tri en trois catégories. En effet, la description ne décrit que deux modes de réalisation. Le premier consiste en un tri en deux catégories, mais qui se fait soit en laissant les doigts dans la position rétractée, soit en déplaçant les doigts dans la position déployée avant le passage des produits afin de les dévier sans impulsion. Le second est décrit comme un tri en trois catégories qui se fait avec ces deux positions des doigts, et ajoute la possibilité de déplacer les doigts afin de dévier les produits, avec une impulsion. Il en découle que le mode de réalisation permettant un tri en deux catégories des produits agricoles, avec la possibilité de dévier lesdits produits par une impulsion, tel que décrit par l’objet de la revendication n°1 de la requête 1’’, n’est pas prévu dans la demande telle que déposée.
Les modifications apportées étendent donc l’objet du brevet au-delà du contenu de la demande telle qu’elle a été déposée. De ce fait, la requête n’est pas conforme à l’article L. 613-23-3 I 2° du CPI.
En revanche, les modifications apportées par la nouvelle requête subsidiaire 2’’ n’étendent pas l’objet du brevet au-delà du contenu de la demande telle qu’elle a été déposée. L’objet des revendications est ainsi nouveau et présente une activité inventive.
Par conséquent, la nouvelle requête 2’’ est conforme à l’article L. 613-23-3 du CPI et le brevet est maintenu sous forme modifiée selon cette requête.
Décision INPI, 9 février 2024, OPP 22-0015 (OB20220015)
Dewaele-Briche Manutention c. Établissements Dubrulle et Bilberry SAS