Recevabilité de la demande en parasitisme de la titulaire des marques (non) - Demande nouvelle en appel - Demande tendant aux mêmes fins que la demande initiale en contrefaçon de marque (non)
Parasitisme (non) - Volonté de s'inscrire dans le sillage d'autrui - Notoriété du produit - Investissements réalisés - Luxe
Validité du modèle (non) - Nouveauté (oui) - Caractère propre (non)
Responsabilité (oui) - Fermeture du compte Instagram et suppression des publications Facebook - Procédure administrative de retrait de contenus illicites
La société titulaire des marques semi-figuratives PANERAI représentant le cadran de la montre Radiomir et la société qui distribue les montres en France et les commercialise sur Internet ont agi en contrefaçon des marques et en parasitisme à l’encontre de la société qui fabrique et commercialise la montre incriminée. Elles ont également assigné en intervention forcée le déposant du modèle français représentant le boîtier et le cadran de cette montre, dont elles demandent l’annulation. Les marques ont été annulées en première instance pour défaut de caractère distinctif, ce chef du jugement n’étant pas critiqué en appel.
La demande en parasitisme présentée par la société qui commercialise les montres Radiomir est rejetée.
Cette montre, créée dans les années 30, est caractérisée par la combinaison d'un boîtier en forme de coussin, associé à un cadran noir avec de grands chiffres arabes à la forme arrondie à 3, 6, 9 et 12 heures, comportant des index allongés aux huit autres points. Il est établi qu’elle a acquis une notoriété certaine chez les amateurs et connaisseurs de montres de luxe, les experts en haute horlogerie et la presse spécialisée, étant qualifiée de montre « iconique, mythique ou emblématique ». Cette notoriété, caractérisée notamment par l'existence d'une communauté spontanée d'amateurs active dans le monde et en France, est également associée à un savoir-faire ancien en matière d'horlogerie de luxe. Elle est entretenue par des campagnes publicitaires dans le monde entier mais aussi en France dans certains journaux et magazines (ex.: Le Figaro, Le Point), des opérations promotionnelles et la mise en vente de collections spéciales en exemplaires limités.
La montre Radiomir constitue donc une valeur économique individualisée, fruit d’un savoir-faire et d’investissements.
Cependant, s'il doit être relevé l'existence de similitudes dans l'aspect général de ce modèle de montre et de celui incriminé, tenant notamment à la combinaison du boîtier en forme de coussin associé au cadran frappé de grands chiffres arabes, ces caractéristiques ne font pas l'objet de droits privatifs et sont, au demeurant, considérées par certains amateurs de montres comme faisant désormais partie du fond commun de l'horlogerie, d'autres modèles à l'apparence proche ayant été commercialisés.
Par ailleurs, il n'est pas démontré que la société défenderesse ait capté « l'intégralité » ni même une partie de l’argumentaire de vente, des codes publicitaires ou axes de communication de la société demanderesse, fondés sur le rappel des origines historiques et militaires de la montre et sur des références à l'esprit marin, aventurier et à l'univers du luxe.
Ainsi, bien que sur une page du site internet de la défenderesse il soit fait mention des origines anciennes de la forme coussin du boîtier de la montre, il est en revanche rappelé la genèse de la société portée par son créateur et sa date de création récente, la montre incriminée étant présentée comme un produit qui « vit au tempo de la mode », « se métamorphosant en un clin d'œil pour s'accorder à un look sportif, chic décontracté […] », sans rapport avec l'univers revendiqué pour la montre Radiomir.
En outre, cette dernière, par son prix élevé (prix de base à 5 000 euros) s'inscrit dans le marché de niche de l'horlogerie de luxe, destiné à un public de connaisseurs aisés nécessairement très restreint, amateurs de montres destinées à l'origine à des militaires, d'aspect imposant, à la différence de la montre incriminée qui se présente davantage comme une montre de fantaisie déclinée en 63 couleurs différentes, vendue pour un prix moyen de 149 euros.
Ainsi, la valeur économique individualisée bâtie sur la montre Radiomir, présentée comme un produit de haute horlogerie et s'inscrivant dans l'univers du luxe, n'est nullement reprise par la défenderesse. Celle-ci commercialise, au contraire, une montre plus fantaisie, destinée au grand public, dans un segment de marché totalement distinct, sans qu’aucune référence explicite ou implicite ne soit jamais faite à la montre Radiomir ou aux sociétés demanderesses. Aucun de ces éléments, même analysés globalement, ne permet donc de caractériser la volonté de la société poursuivie de se placer dans le sillage de la société demanderesse.
Le modèle français déposé par le dirigeant de la société défenderesse, qui représente le boîtier et le cadran de la montre incriminée, encourt la nullité. Il n’est pas dépourvu de nouveauté au regard de la montre Radiomir divulguée antérieurement. En effet, nonobstant de réelles similitudes entre les modèles, il existe des différences qui ne peuvent être considérées comme insignifiantes, s'agissant des boucles des chiffres 6 et 9, de la forme du chiffre 3, du dessin figurant sur le cadran du modèle litigieux et des éléments verbaux (Radiomir Panerai / Augarde).
En revanche, le modèle ne présente pas de caractère propre. Il procure chez l'observateur averti, amateur de montres, une impression visuelle d'ensemble qui ne diffère pas de celle produite par la montre Radiomir. En effet, est reprise à l'identique la combinaison d’un boîtier en forme de coussin, de chiffres arabes imposants immédiatement lisibles à la typographie arrondie placés aux quatre coins cardinaux, d'index des heures représentés par des lignes de taille identique aux chiffres, d'aiguilles à bâtonnets en forme de glaives pour les heures et les minutes dont le bout est légèrement pointu, de larges cornes de forme trapézoïdale en haut et en bas de la montre permettant de relier le boîtier au bracelet, et le même poussoir rond et strié représentant en son centre le logo utilisé. Or, il existe une liberté certaine pour le créateur de montre, nonobstant la fonction utilitaire de l'objet.
Par ailleurs, il est fait droit à la demande reconventionnelle en dommages-intérêts. Les sociétés demanderesses, qui avaient fait fermer le compte Instagram et supprimé des publications Facebook de la défenderesse en anticipant une décision de justice à leurs risques et périls, ont été déboutées de l'ensemble de leurs demandes sur le fondement de la contrefaçon des marques et de la concurrence parasitaire. Ces agissements étaient fautifs et ont causé à la défenderesse un préjudice tenant à une moindre visibilité sur Internet.
Cour d’appel de Paris, pôle 5, 1re ch., 5 juin 2024, 22/06786 (D20240034)
Officine Panerai AG et Cartier SAS c. M. [G] [M] et TISM SAS (exerçant sous le nom commercial Augarde)
(Confirmation partielle TJ Paris, 3e ch., 2e sect., 18 mars 2022, 20/03727)