Validité du brevet européen (non) - Nouveauté (non) - Divulgation par le déposant
La partie française du brevet européen portant sur un appareil de mise en portion et de découpe de saucisses est annulée pour défaut de nouveauté. L'ensemble des caractéristiques du brevet a été divulgué par la société titulaire avant la date de dépôt de la demande de brevet prioritaire. Ainsi, il est établi que la machine, présentée dans le laboratoire boucherie d’un hypermarché et mise gratuitement, à l’issue des essais, à disposition de ce magasin en contrepartie de la fourniture de boyaux naturels, est celle mettant en œuvre le brevet, peu important le fait qu’au début celle-ci nécessitait encore des essais. Par ailleurs, la machine a été montrée à au moins deux personnes – le responsable du rayon boucherie et le directeur du magasin – dont il n’est pas établi qu’elles étaient tenues à une obligation de confidentialité. Celle-ci, d'interprétation stricte, ne saurait résulter implicitement du fait que la machine était un prototype qui ne restait jamais sur place, ni n’était, lors des essais, dans son état définitif. Enfin, la machine était accessible au personnel du magasin, mais également aux différents fournisseurs de matériel qui se sont présentés dans l’atelier boucherie pour proposer leurs machines. Par conséquent, les essais du prototype dans le laboratoire du magasin sont des essais publics, constitutifs d’une divulgation.
TJ Paris, 3e ch., 1re sect., 30 mai 2024, System B SAS c. Tekner SAS et al., 22/10947 (B20240036)
Atteinte à la marque de renommée - Lien entre la marque renommée et les signes litigieux - Contrefaçon des marques - Risque de confusion
Est confirmé l’arrêt de la cour d’appel en ce qu’il a considéré, en premier lieu, que l’usage des signes « Jamais sans elles » par une association ayant pour activité la promotion de la mixité hommes-femmes ne porte pas atteinte à la marque semi-figurative française ELLE, bénéficiant d’une renommée pour les journaux et périodiques. L’arrêt a notamment retenu que, si les signes contestés et la marque ont en commun le pronom « elle », au singulier pour la marque et au pluriel pour les signes, ces derniers diffèrent de la marque par la présence des éléments « jamais » et « sans » formant une séquence d’attaque déterminante, ainsi que par leur longueur et leur sonorité. La marque ELLE, qui est constituée d’un terme du langage courant communément utilisé pour désigner le genre féminin, diffère également conceptuellement des signes litigieux qui renvoient à un appel ou à un engagement à ne pas exclure les femmes. L’arrêt a par ailleurs relevé une absence d’identité et de similitude des produits et services concernés. Il a ainsi considéré, à juste titre, que nonobstant la renommée de la marque dont il a reconnu l’intensité, aucun lien n’était susceptible de s’établir dans l’esprit du public pertinent entre la marque et les signes litigieux. L’arrêt d’appel a considéré, en second lieu, que l’usage des signes incriminés ne constituait pas davantage une contrefaçon des marques française et de l’Union européenne ELLE. Il a notamment estimé que, dans les signes incriminés, le terme « elles » n’était pas prépondérant, se fondait dans une expression à la signification propre, et que le public pertinent ne serait pas amené à croire que les produits et services fournis par la demanderesse proviennent de la même origine que les services fournis par l'association. L’arrêt attaqué, qui a exclu tout risque de confusion, a par conséquent légalement justifié sa décision en faisant ressortir que l’identité des services proposés sous les signes et les marques (organisation de conférences, colloques, diffusion d’une newsletter) ne contrebalançait pas la faible similitude des signes opposés.
Cass. com., 5 juin 2024, Hachette Filipacchi Presse SA c. Association #JamaisSansElles, 22-24.852 (M20240139)
(Rejet pourvoi c. CA Paris, pôle 5, 2e ch., 18 nov. 2022, 21/04769 ; M20220307 ; PIBD 2023, 1197, III-3 ; Les MÀJ Irpi, 44, janv. 2023, p. 10, G. de Feydeau)
Déchéance de la marque semi-figurative exploitée sous une forme modifiée - Usage de l’élément verbal distinctif
Est légalement justifié l’arrêt d’appel qui a rejeté la demande de déchéance des droits sur la marque semi-figurative Cornet d’Amour comportant la photographie de cornets, exploitée sous une forme modifiée n’en altérant pas le caractère distinctif. Dans son arrêt Rintisch1, la CJUE, interprétant l'article 10, § 2, a) de la directive 89/104/CEE, a rappelé que le caractère distinctif d'une marque, au sens des dispositions de cette directive, signifie que cette marque permet d'identifier le produit pour lequel l'enregistrement est demandé comme provenant d'une entreprise déterminée. Elle a ajouté que cet article a pour finalité, en évitant d'exiger une conformité stricte entre la forme utilisée dans le commerce et celle sous laquelle la marque a été enregistrée, de permettre au titulaire de cette dernière d'apporter au signe, à l'occasion de son exploitation commerciale, les variations qui, sans en modifier le caractère distinctif, permettent de mieux l'adapter aux exigences de commercialisation et de promotion des produits ou des services concernés. La cour d’appel a retenu que la marque semi-figurative litigieuse est exploitée sans son élément figuratif qui n’est qu'une simple reproduction des produits désignés à l'enregistrement (crème glacée et biscuits) sans particularité ni stylisation ni couleur singulière. Elle a ajouté que l’élément verbal, qui constitue l’élément distinctif de la marque, est par ailleurs exploité au sein d’un logo également déposé à titre de marque, dans lequel il est mis en avant de manière significative. Par une appréciation globale de la marque semi-figurative et en se fondant sur les qualités intrinsèques de chacun des éléments composant celle-ci, la cour d’appel a fait ressortir que l'élément verbal « cornet d'amour » en constituait l'élément distinctif et que son usage, seul ou dans le cadre du logo, n'avait pas modifié le caractère distinctif de la marque.
Cass. com., 15 mai 2024, M. [H] [X] et al. c. M. [R] [L] et al., 23-11.592 (M20240121)
(Rejet pourvoi c. CA Douai, 1re ch., 2e sect., 15 déc. 2022, 21/02923 ; M20220327 ; PIBD 2023, 1201, III-5 ; LEPI, févr. 2023, p. 7, J.-P. Clavier)
1 CJUE, 3e ch., 25 oct. 2012, C-553/11 (M20120525 ; PIBD 2012, 973, III-779 ; Propr. industr., déc. 2012, p. 23, A. Folliard-Monguiral ; Europe, déc. 2012, p. 33, L. Idot ; Comm. com. électr., déc. 2012, p. 22, C. Caron ; RLDA, 78, janv. 2013, p. 23, J. de Romanet ; Propr. industr, janv. 2014, p. 8, J. Passa)
Validité de la marque (oui) - Caractère distinctif (oui) - Caractère descriptif (non) - Désignation nécessaire, générique ou usuelle (non)
La demande d’annulation de la partie française de la marque internationale semi-figurative The Modernist visant les services en lien avec l’hôtellerie, la restauration et le bar, introduite par une société exploitant un hôtel dénommé « Moderniste Hôtel Paris Convention », est rejetée1. Les vocables de langue anglaise « the » et « modernist » seront certes aisément compris par le public français. Cependant, loin de se réduire à un synonyme de l'adjectif « moderne », le terme « modernist » recouvre tout à la fois le nom désignant un courant artistique, l'artiste ou l'architecte qui travaille dans le style du modernisme et l'adjectif désignant l'œuvre réalisée dans ce style. Ce terme est impropre à décrire concrètement les caractéristiques des services d’hôtellerie et de restauration, car il renvoie à un courant artistique dans lequel s’inscrit le style du lieu où ces services sont susceptibles d’être rendus, et ne les désigne donc pas directement. De surcroît, le signe contesté ne contient aucun terme faisant référence à la notion d'hôtel, contrairement à la demande d’enregistrement de la marque HOTEL MODERNISTE qui a été présentée par la demanderesse et rejetée par l’INPI. En l’espèce, le caractère arbitraire du vocable « modernist » est renforcé par l'usage du déterminant « the » et de la partie figurative du signe qui influence, par sa taille et sa position en attaque, la perception d'ensemble du consommateur en attirant son attention, nonobstant sa stylisation minimaliste. En conséquence, le public pertinent ne peut établir d'emblée aucun lien direct et concret entre le signe et les services d'hôtellerie et de restauration visés à l'enregistrement. Le signe pris dans son ensemble est donc distinctif.
TJ Paris, 3e ch., 1re sect., 16 mai 2024, Lutèce-Hôtel SAS c. M. [R] [D], 22/08740 (M20240127)