Jurisprudence
Marques

Absence d’atteinte à la marque de renommée ELLE, désignant les journaux et périodiques, par le signe « JAMAIS SANS ELLES » utilisé par une association pour promouvoir l’égalité femmes hommes

PIBD 1197-III-3
CA Paris, 18 novembre 2022

Demande en contrefaçon et pour atteinte aux marques de renommée - Recevabilité (oui) - Demande nouvelle en appel - Survenance ou révélation d'un fait - Nouveau signe contesté

Déchéance partielle de la marque de l'UE (oui) - Défaut d’usage sérieux

Atteinte aux marques de renommée française et de l’UE (non) - Application de la loi dans le temps - Renommée - Produits ou services concernés - Lien entre la marque renommée et les signes litigieux - Différence visuelle, phonétique et intellectuelle - Mot du langage courant - Pronom - Adjonction - Couleur - Pluriel - Mots d'attaque - Expression - Ensemble unitaire - Signification propre - Typographie, structure et disposition différentes

Contrefaçon des marques (non) - Risque de confusion ou d’association (non) - Substitution - Lettre finale - Adjonction - Partie figurative - Logo

Texte
Marque n° 1 538 354 de la société Hachette Filipacchi Presse
Logo utilisé par l’association #JamaisSansElles
Logo utilisé par l’association #JamaisSansElles
Texte

La demande de déchéance partielle de la marque de l’Union européenne ELLE pour les « services liés à une activité de promotion commerciale sous toutes ses formes notamment services de recommandation, de parrainage, de sponsoring et d'opérations de co-branding » est fondée. Ces services visent à augmenter la visibilité d'une marque et à influencer le comportement du consommateur, et relèvent donc de techniques de marketing. La société titulaire de la marque verse des extraits du magazine ELLE qu’elle éditait, qui font état d’associations avec des marques appartenant à des tiers et de partenariats avec différentes manifestations culturelles. Cependant, il s’agit d’opérations promotionnelles réalisées avec des partenaires dans le cadre de ses propres activités, à destination de ses propres consommateurs, et non pas réalisées pour le compte de tiers à qui seraient fournis de tels services.

Il n’est pas contesté que la marque française ELLE est renommée en France et dans l’Union européenne pour les « imprimés, journaux et périodiques, livres, catalogues, prospectus et édition de textes ». En revanche, la preuve de la renommée de cette marque ainsi que de la marque de l’Union européenne ELLE n'est pas rapportée en ce qui concerne, respectivement, les « conférences, organisation de conférences, forums, colloques » et les « salons et expositions, forums et rencontres ». Les nombreuses pièces fournies relatives à une trentaine d'événements organisés en France depuis 2005 par la société titulaire des marques, notamment le Festival du photojournalisme, le Club Sénat et les États généraux de la femme ou bien des forums et conférences organisés à partir de 2013, ne font que démontrer l'exploitation des marques ELLE pour les services considérés et, tout au plus, le succès commercial rencontré par ces événements, au demeurant pour la plupart organisés par des tiers. Ni le nombre de lecteurs ou lectrices du magazine, ni la promotion qui y est effectuée pour ces événements, ne sont de nature à établir que les marques invoquées sont connues d'une partie significative du public concerné par les services précités.

L’atteinte à la marque française de renommée ELLE n’est pas établie, le public n'étant pas amené à faire un lien entre cette marque et les deux signes contestés « jamais sans elles », qui sont utilisés comme logo par une association ayant pour objet la promotion de la mixité hommes femmes dans la vie publique. Ces signes, constitués de trois éléments verbaux, écrits dans des polices différentes pour le premier, avec trois couleurs (noire, bleue, rose) et dans une certaine disposition, présentent en effet peu de similitudes avec la marque invoquée, constituée d’un terme unique « elle » écrit en noir dans une seule police stylisée, et n’évoqueront pas celle-ci pour le consommateur normalement avisé.

Si les signes contestés ont en commun avec la marque le pronom « elle », au singulier pour celle-ci et au pluriel pour les premiers, ils diffèrent néanmoins par la présence des éléments « jamais » et « sans », placés en attaque, ainsi que par leur longueur et leur sonorité. De plus, le signe couvert par la marque se lit sur une seule ligne de manière horizontale et classique, tandis que les signes contestés se lisent sur trois lignes, de manière verticale. Conceptuellement, la marque ELLE utilise un terme du langage courant communément utilisé pour désigner le genre féminin et renvoie à la femme ou à la féminité, tandis que les signes contestés renvoient, dans une construction grammaticalement correcte, à un appel ou à un engagement précis, celui de ne pas exclure les femmes. La séquence d'attaque est déterminante dans l'ensemble ainsi créé « jamais sans elles », l'élément final « elles », qui se fond dans une expression à la signification propre, étant utilisé comme pronom personnel de la troisième personne du pluriel féminin pour désigner toutes les femmes.

En l'absence de risque de confusion, les marques française et de l’Union européenne ELLE ne sont pas non plus contrefaites par les deux signes incriminés, qui sont utilisés dans des activités (organisation de conférences et de colloques, diffusion d’une newsletter) identiques ou similaires à certains services visés par les marques.

Cour d'appel de Paris, pôle 5, 2e ch., 18 novembre 2022, 21/04769 (M20220307)
Association #JamaisSansElles c. Hachette Filipacchi Presse SA
(Infirmation partielle TJ Paris, 3e ch., 1re sect., 7 janv. 2021, 19/05904)