Procédure - Recours contre décision INPI - Rejet d'une demande de CCP - Effet dévolutif - Production d'une pièce nouvelle
Rejet d’une demande de CCP pour un médicament - Droit de l’UE - 1°) Pluralité de CCP pour un même produit (oui) - Pluralité de brevets de base - Copropriété - 2°) Protection du produit par le brevet de base (non) - Identification du principe actif - Définition fonctionnelle - Produit spécifiquement identifiable (non)
La demande de certificat complémentaire de protection (CCP) portant sur l’anticorps monoclonal nivolumab, présentée pour la spécialité pharmaceutique « Opdivo-Nivolumab » destinée au traitement du cancer par immunothérapie, a été déposée conjointement par une société pharmaceutique et un professeur, chercheur en médecine. Elle a été rejetée par l’INPI au motif que la société requérante avait déjà obtenu un CCP pour ce même produit et que ce dernier n’était pas protégé par le brevet de base.
1) Motif de rejet fondé sur l’article 3, c), du règlement (CE) n° 469/2009 :
Selon l'article 3, c), du règlement (CE) n° 469/2009, pour qu’un CCP soit délivré, le produit ne doit pas avoir déjà fait l’objet d’un certificat. Il résulte cependant de cette disposition, telle qu’interprétée par la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE)[1] au regard de l'article 3, § 2, du règlement (CE) n° 1610/96 concernant la création d'un CCP pour les produits phytopharmaceutiques, que plusieurs CCP peuvent être délivrés pour un même produit sur le fondement de différents brevets de base, à la condition que ces CCP soient délivrés à des titulaires distincts des brevets de base, afin de leur permettre d'être chacun récompensé pour les recherches qu'ils ont menées séparément et qui ont conduit à des innovations brevetées.
En l’espèce, la société pharmaceutique et le chercheur, qui ont demandé conjointement la délivrance du CCP en cause, sont cotitulaires du brevet de base. La société a déjà obtenu, avec une autre société pharmaceutique, un CCP pour le nivolumab sur la base d’un autre brevet déposé ultérieurement et dont ces sociétés sont cotitulaires. Ceci constitue un obstacle à l’obtention, par la société requérante, d’un second CCP pour le même produit.
La circonstance tirée du fait que l’indivision formée par les deux sociétés pharmaceutiques est différente de celle constituée entre les requérants est inopérante, le régime de droit commun de l'indivision résultant du Code civil n'étant pas applicable à la copropriété de brevet, qui est régie par les articles L. 613-29 à L. 613-32 du CPI.
La société requérante, qui peut exploiter seule les deux brevets dont elle est cotitulaire dans les conditions prévues par l’article L. 613-29 du CPI, est bien « titulaire » de ces brevets au sens de l’article 3, § 2, du règlement (CE) n° 1610/96 précité. L’INPI a d’ailleurs indiqué que le CCP aurait pu être délivré au chercheur pour le récompenser de ses propres dépenses d'investissement, sans contrevenir aux dispositions de l'article 3, c), du règlement (CE) n° 469/2009.
En conséquence, le recours doit être rejeté sur ce point.
2) Motif de rejet fondé sur l’article 3, a), du règlement (CE) n° 469/2009 :
Selon l'article 3, a), du règlement (CE) n° 469/2009, pour qu’un CCP soit délivré, le produit doit être protégé par un brevet de base en vigueur. Dans ses arrêts Eli Lilly[2], Teva[3] et Royalty Pharma[4], la CJUE a défini la portée de la protection du produit par un brevet de base en vigueur. Dans ce dernier arrêt, elle a dit pour droit qu’un produit est protégé par un brevet de base en vigueur, au sens de l'article 3, a), précité, lorsqu’il répond à une définition fonctionnelle générale employée par l’une des revendications et relève nécessairement de l’invention couverte par ce brevet, sans pour autant être individualisé en tant que mode concret de réalisation, dès lors qu’il est, à la lumière de l’ensemble des éléments divulgués par le brevet, spécifiquement identifiable par l’homme du métier sur la base de ses connaissances générales dans le domaine considéré et de l’état de la technique à la date de dépôt du brevet.
En l’espèce, le brevet de base invoqué par les requérants au soutien de leur demande de CCP pour le nivolumab est un brevet européen déposé sous priorité de deux brevets japonais. La revendication 1 de ce brevet couvre l’ « Utilisation d'un anticorps anti-PD-1 qui inhibe le signal immunosuppresseur de PD-1 pour la préparation d'un médicament destiné au traitement du cancer » et la revendication 3 un « Anticorps anti-PD-1 qui inhibe le signal immunosuppresseur de PD-1 pour son utilisation dans le traitement du cancer ». Le paragraphe 19 de la description du brevet évoque des « procédés bien connus » concernant des anticorps polyclonaux alors que le nivolumab concerne des anticorps monoclonaux. Le paragraphe 29 évoque une « procédé de routine » et autres techniques déjà connues en citant des références bibliographiques, sans pour autant expliquer les techniques en question, ni en quoi elles étaient connues à la date de priorité ou à la date du dépôt du brevet.
Les requérants n’établissent pas que les procédés de fabrication des anticorps monoclonaux étaient bien connus de l'homme du métier à la date du dépôt de la demande du brevet de base ou à la première date de priorité.
Ils développent les étapes censées permettre l’obtention d’un anticorps spécifique humain anti-PD1 qui inhibe le signal immunosuppresseur de PD1, tel que le nivolumab. Néanmoins seuls sont cités des passages de la description, sans aucune analyse ou explication technique. Les références bibliographiques visées ne sont ni produites ni explicitées de sorte que, à la simple lecture de la description, le criblage des anticorps concernés pour identifier ceux qui remplissent la fonction de l'invention, à savoir ceux qui inhibent « le signal immunosuppresseur de PD-1 », n’est pas caractérisé.
Les requérants n’établissent donc pas que l'homme du métier pouvait, à la lecture du brevet et grâce à ses connaissances générales, obtenir, par une opération de routine, tous les anticorps remplissant la fonction visée par le brevet, y compris le nivolumab.
Par conséquent, le nivolumab ne peut être regardé comme un « produit protégé par un brevet de base en vigueur » et les requérants ne peuvent dès lors prétendre à l’octroi d’un CCP pour ce produit sur la base du brevet de base invoqué dans leur demande.
Le recours formé à l’encontre de la décision de l’INPI qui a rejeté la demande de CCP portant sur le nivolumab est en conséquence rejeté. En l’absence de doute raisonnable quant à l’interprétation du droit de l’Union européenne sur les questions soulevées, il n’y a pas lieu de saisir la CJUE de questions préjudicielles.
Cour d’appel de Paris, pôle 5, 2e ch., 27 septembre 2024, 23/08707 (B20240047)[5]
Ono Pharmaceutical Co. Ltd et M. H c. INPI
(Rejet recours c. décision INPI, 2 mars 2018 ; sur renvoi après cassation CA Paris, pôle 5, 1re ch., 19 janv. 2021, 18/10540, B20210003, PIBD 2021, 1154, III-1 avec une note de V. Landais ; Cass. com., 1er févr. 2023, 21-13.664, B20230010, PIBD 2023, 1201, III-1)
[1] CJCE, 3e ch., 3 sept. 2009, AHP Manufacturing, C-482/07 (B20090169 ; PIBD 2009, 907, III-1497).
[2] CJUE, 3e ch., 12 déc. 2013, Eli Lilly and Co., C-493/12 (B20130284 ; Propr. industr., mars 2019, p. 53, M. Gabriel).
[3] CJUE, gr. ch. 25 juill. 2018, Teva, C-121/17 (B20180064 ; PIBD 2018, 1100, III-528 ; LEPI, 9, oct. 2018, p. 5, P. Langlais ; Europe, oct. 2018, p. 54, L. Idot ; Propr. industr., nov. 2018, p. 23, F. Macrez et E. Py ; D. IP/IT, janv. 2019, p. 47, É. Enderlin ; Propr. industr., mars 2019, p. 55, M. Gabriel ; Propr. industr., juill.-août 2019, p. 22, H. Gaumont).
[4] CJUE, 4e ch., 30 avr. 2020, Royalty Pharma Collection Trust, C-650/17 (B20200016 ; PIBD 2020, 1140, III-1 ; Europe, juin 2020, comm. 211, L. Idot).
[5] La cour d’appel de Paris a rendu, le même jour, un arrêt similaire à propos du rejet d’une demande de CCP portant sur un autre produit, le pembrolizumab, présentée par la société Ono Pharmaceutical Co. et M. H sur la base du même brevet que celui objet du présent litige (CA Paris, pôle 5, 2e ch., 27 sept. 2024, Ono Pharmaceutical Co. Ltd et M. H c. INPI, 23/08706 ; B20240048 ; arrêt rendu sur renvoi après cassation CA Paris, pôle 5, 1re ch., 19 janv. 2021, 18/10522, B20210007 ; Cass. com., 1er févr. 2023, 21-13.663, B20230009). Dans cette affaire cependant, la question relative à l’application de l'article 3, c), du règlement (CE) n° 469/2009 ne se posait pas, le brevet ultérieur invoqué, qui portait expressément sur le pembrolizumab, ayant pour seule titulaire la société Merck Sharp & Dohme.