Action en contrefaçon du brevet européen - Actes incriminés commis hors de France dans l’UE - Compétence internationale de la juridiction française (oui) - Droit de l’UE - Prorogation de compétence - Pluralité de défendeurs - Lieu du domicile d’un des défendeurs - Lien de connexité entre les demandes
Une société française a assigné devant le tribunal judiciaire de Paris une société anglaise et son fournisseur sud-africain, ainsi que deux sociétés françaises distributrices qui revendent ses produits, en invoquant des actes de contrefaçon de son brevet européen portant sur une roue de véhicule avec système de gonflage, qui auraient été commis en France, en Grande-Bretagne et en Allemagne.
Le juge de la mise en état a dit que la juridiction française était incompétente pour connaître des faits prétendument commis par les sociétés anglaise et sud-africaine en Grande-Bretagne et en Allemagne, et a renvoyé la société demanderesse à mieux se pourvoir s'agissant des actes de contrefaçon des parties anglaise et allemande de son brevet européen.
La Cour de cassation a cassé l’arrêt confirmatif de la cour d’appel sur ces points, pour violation de l’article 8, 1) du règlement (UE) n° 1215/2012 (concernant les actes de la société anglaise) et de l'article 14 du Code civil (concernant les actes de la société sud-africaine).
Compte tenu du désistement intervenu en faveur de la société sud-africaine, la saisine de la cour de renvoi est réduite à la question de la compétence de la juridiction française pour connaître des actes allégués de contrefaçon commis par la société anglaise en dehors du territoire français.
Selon l’article 8, 1) du règlement précité, une personne domiciliée sur le territoire d'un État membre de l’Union européenne peut aussi être attraite, s'il y a plusieurs défendeurs, devant la juridiction du domicile de l'un d'eux, à condition que les demandes soient liées entre elles par un rapport si étroit qu'il y a intérêt à les instruire et à les juger en même temps afin d'éviter des solutions qui pourraient être inconciliables si les causes étaient jugées séparément[1].
Cette règle de compétence spéciale doit être interprétée à la lumière de la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne rendue sur le fondement de l’article 6, 1) du règlement (CE) n° 44/2001, devenu l'article 8, 1) dans le règlement (UE) n° 1215/2012.
Dans son arrêt Solvay[2], la Cour de justice a énoncé que c’est à la juridiction nationale qu'il appartient d'apprécier l'existence du lien de connexité entre les différentes demandes portées devant elle, c'est-à-dire du risque de décisions inconciliables si les demandes étaient jugées séparément. Elle a ensuite dit que, pour que des décisions soient considérées comme risquant d'être inconciliables, il ne suffit pas qu'il existe une divergence dans la solution du litige, mais il faut que cette divergence s'inscrive dans le cadre d'une même situation de fait et de droit.
Selon la Cour de justice, il ne saurait être conclu à l'existence d'une même situation de fait dès lors que les défendeurs sont différents et que les actes de contrefaçon qui leur sont reprochés, mis en œuvre dans des États contractants différents, ne sont pas les mêmes. Et il ne saurait être conclu à l'existence d'une même situation de droit lorsque plusieurs juridictions de différents États contractants sont saisies d'actions en contrefaçon d'un brevet européen délivré dans chacun de ces États et que ces actions sont engagées à l'encontre de défendeurs domiciliés dans ces États pour des faits prétendument commis sur leur territoire. En effet, selon la Convention sur le brevet européen, ce brevet demeure régi par la règlementation nationale de chacun des États contractants pour lequel il a été délivré. Pour apprécier le risque de décisions inconciliables, la juridiction nationale devra donc prendre en compte la double circonstance selon laquelle, d'une part, les défenderesses sont accusées, chacune séparément, des mêmes actes de contrefaçon à l'égard des mêmes produits et, d'autre part, de tels actes de contrefaçon ont été commis dans les mêmes États membres, de sorte qu'ils portent atteinte aux mêmes parties nationales du brevet européen en cause.
En l’espèce, lors d’un salon professionnel se déroulant en France, la société demanderesse a fait pratiquer une saisie-contrefaçon qui a révélé la présence, sur le stand de la société anglaise, d’une jante référencée 1990 qui contreferait les revendications de son brevet européen. Elle a fait assigner cette société anglaise, ainsi que les sociétés sud-africaine et françaises précitées, en contrefaçon, au visa des articles L. 613-1 à 4 et L. 615-1 du CPI, des sections 9 et 10 de la loi allemande sur les brevets et de l'article 60 1° et 2° de la loi du Royaume-Uni sur les brevets, au titre de l'offre, la mise dans le commerce, l'utilisation, l'importation, l'exportation, la détention ainsi que l'offre de livraison de jantes en France, en Allemagne et en Grande-Bretagne.
La société demanderesse reproche aux deux sociétés françaises d'avoir offert à la vente la jante référencée 1990 tant en France qu'en Angleterre. La compétence du juge français pour connaître de ces faits est acquise.
La société demanderesse reproche à la société anglaise, outre d’avoir exposé la jante 1990 sur son stand en France, d’avoir offert à la vente d'autres jantes, sous d’autres références, en Angleterre et en Allemagne par le biais de son site internet.
Il s'agit de faits identiques provenant d'une même chaîne d'approvisionnement, dès lors que chacune des jantes incriminées a été importée en Grande-Bretagne par la société anglaise et que les jantes 1990 sont offertes par la société anglaise et les sociétés françaises sur le site anglais de la première.
Pour les jantes importées en Grande-Bretagne par la société anglaise, il est reproché à celle-ci la contrefaçon de la partie anglaise du brevet européen en cause selon la loi anglaise. Pour la jante référencée 1990 importée et exposée en France, il lui est reproché la contrefaçon de la partie française du brevet selon la loi française. S'agissant de la jante offerte à partir de son site internet, sont alléguées la contrefaçon de la partie anglaise du brevet selon la loi anglaise et la contrefaçon de la partie française du même brevet selon la loi française. Enfin, est alléguée la contrefaçon, selon la loi allemande, de la partie allemande du brevet résultant de l'offre de la même jante en Allemagne.
Il en résulte que la société demanderesse invoque des atteintes portées par les sociétés françaises et la société anglaise, en France, en Grande-Bretagne et en Allemagne, aux mêmes parties nationales de son brevet européen, concernant les mêmes produits. Ses demandes sont donc liées entre elles par un rapport si étroit qu'il y a intérêt à les instruire et à les juger en même temps afin d'éviter des solutions qui pourraient être inconciliables si les causes étaient jugées séparément. Cette situation n'empêche pas la société anglaise de solliciter la nullité du brevet qu'on lui oppose devant les juges respectivement compétents.
En conséquence, l'ordonnance du juge de la mise en état est infirmée en ce qu’elle a dit que le tribunal saisi était incompétent pour connaître des faits prétendument commis par la société anglaise en Grande-Bretagne et en Allemagne.
Cour d’appel de Paris, pôle 5, 2e ch., 11 octobre 2024, 22/16203 (B20240060)
Hutchinson SA c. Tyron Runflat Ltd, Dal SAS (anciennement Tyron France) et L.A. VI SARL
(Infirmation TJ Paris, 3e ch., 1re sect., ord. juge de la mise en état, 27 févr. 2020, 18/08284, B20200036, PIBD 2020, 1146, III-1 ; arrêt rendu sur renvoi après cassation partielle CA Paris, pôle 5, 1re ch., 24 nov. 2020, 20/04780, B20200062, PIBD 2020, 1156, III-1, avec une note, Propr. industr., mars 2021, p. 5, étude de A.-C. Chariny ; Cass. 1re ch. civ., 29 juin 2022, 21-11.085, B20220060, PIBD 2024, 1189-III-1, Propr. industr., déc. 2022, p. 9, étude de A.-C. Chiariny, Propr. industr., janv. 2023, p. 13, J. Raynard et L. Teyssèdre, RTD Com., juill.-sept. 2022, p. 513, J-C Galloux, Rev. crit. DIP 2023, p. 395, L. Usunier)
L’arrêt de renvoi ci-dessus publié consacre la compétence internationale du juge français pour statuer sur des faits de contrefaçon des parties non françaises d’un brevet européen commis hors de France par une société domiciliée dans l’Union européenne[4].
À l’origine, la question qui se posait dans cette affaire était de savoir si le tribunal judiciaire de Paris était compétent pour juger les actes de contrefaçon du brevet européen en cause prétendument commis dans l’Union européenne (en Angleterre et en Allemagne) par une société établie dans l’Union européenne (Grande-Bretagne) et une société établie hors de l’Union (Afrique du Sud).
En première instance, le juge de la mise en état avait jugé que la juridiction française n’était pas compétente pour connaitre des faits prétendument commis par les sociétés anglaise et sud-africaine en dehors du territoire national.
Dans son premier arrêt, la cour d’appel de Paris a confirmé cette ordonnance. Concernant les actes reprochés à la société anglaise, elle a également jugé que la prorogation de compétence prévue par l'article 8, 1) du règlement (UE) n° 1215/2012 n'était pas applicable en l’espèce. S’agissant des actes reprochés à la société sud-africaine, elle a statué au regard, non pas de cette disposition comme en première instance, mais de l’article 14 du Code civil.
En appel, était également soulevée la question de la compétence du juge français pour les actes commis par les sociétés françaises en dehors du territoire français. La cour d’appel dans son premier arrêt a jugé qu’en application de l’article 4 du règlement (UE) n° 1215/2012, qui consacre le principe de la compétence des tribunaux de l'État membre où le défendeur a son domicile ou son siège social, le juge français était compétent pour connaître des faits litigieux qui auraient été effectués, en Grande-Bretagne et Allemagne, par les sociétés défenderesses, dont le siège social est en France. Elle a ajouté qu’en application de l’arrêt Fiona Shevill de la Cour de justice de l’Union européenne[6], le tribunal du lieu d'établissement du défendeur est compétent pour connaître de l'action en réparation de l'intégralité du préjudice. L’arrêt n’a pas fait l’objet d’un pourvoi en cassation sur ce point.
Un pourvoi en cassation a en revanche été formé par la société demanderesse contre l’arrêt de la cour d’appel sur la question de la compétence de la juridiction française à l’égard des sociétés anglaise et sud-africaine. La Cour de cassation a cassé l’arrêt pour violation de l’article 8, 1) du règlement (UE) n° 1215/2012 et de l’article 14 du Code civil.
1. Compétence du juge français pour statuer sur les faits de contrefaçon commis par la société sud-africaine en dehors du territoire français :
S’agissant de la compétence du juge français pour statuer sur les faits de contrefaçon commis par la société sud-africaine en dehors du territoire français, la société demanderesse avait invoqué l’article 14 du Code civil, et non le règlement (UE) n° 1215/2012, la société défenderesse étant domiciliée hors de l’Union européenne[4]. Cet article, aussi appelé privilège de juridiction, est fondé sur la nationalité française du demandeur. Il dispose : « L'étranger, même non résidant en France, pourra être cité devant les tribunaux français, pour l'exécution des obligations par lui contractées en France avec un Français ; il pourra être traduit devant les tribunaux de France, pour les obligations par lui contractées en pays étranger envers des Français ».
Le juge de la mise en état avait estimé que ces dispositions, qui concernent l'exécution des obligations contractées en France avec un français par une personne étrangère, n’étaient pas applicables en l’espèce, car le litige était de nature délictuelle[5].
La cour d’appel a au contraire jugé, dans son premier arrêt, que cet article, qui a une portée générale, peut s'appliquer en matière délictuelle. Elle a dit que cette règle de compétence dérogatoire ne vise pas à donner une compétence universelle au juge français mais s'applique en l'absence de critère ordinaire de compétence territoriale, lorsqu'il est justifié d'un rattachement de l'instance au territoire français selon les exigences d'une bonne administration de la justice. Mais, elle n’a pas retenu, en l’espèce, la compétence du juge français, estimant non rapportée la preuve d’un rattachement avec l'instance, dans la mesure où le juge français n’était pas compétent pour les faits prétendument commis à l'étranger par la société anglaise dont la société sud-africaine est le fournisseur. De plus, les juridictions anglaise et allemande étaient compétentes pour juger des prétendus actes de contrefaçon de la partie nationale du brevet européen en cause commis sur leurs territoires respectifs.
La Cour de cassation a énoncé qu’il résulte de l’article 14 du Code civil que le demandeur français, dès lors qu'aucun critère ordinaire de compétence n'est réalisé en France, peut valablement saisir le tribunal français qu'il choisit en raison d'un lien de rattachement de l'instance au territoire français, ou, à défaut, selon les exigences d'une bonne administration de la justice. Elle a donc cassé l’arrêt, la cour d’appel ayant statué par des motifs impropres à faire échec à la compétence des juridictions françaises, qui était fondée sur la nationalité française de la société demanderesse. Ainsi, la cour d’appel ne pouvait refuser de reconnaitre la compétence fondée sur la nationalité française du demandeur, même en l’absence d’autres liens avec la France.
La cour d’appel de renvoi n’était pas saisie de cette question, la société demanderesse s’étant désistée de son action envers la société sud-africaine.
2. Compétence du juge français pour statuer sur les faits de contrefaçon commis par la société anglaise en dehors du territoire français :
Concernant les actes reprochés à la société anglaise en Grande-Bretagne et en Allemagne, le premier arrêt de la cour d’appel de Paris a fait application du règlement (UE) n°1215/2012[4].
Lorsqu’il y a plusieurs défendeurs, l’article 8, 1) de ce règlement énonce une règle de compétence spéciale en vertu de laquelle ce défendeur peut être attrait devant la juridiction du domicile de l’un d’eux « à condition que les demandes soient liées entre elles par un rapport si étroit qu’il y a intérêt à les instruire et à les juger en même temps afin d’éviter des solutions qui pourraient être inconciliables si les causes étaient jugées séparément ».
La Cour de justice a apporté des précisions sur la façon dont les juridictions nationales doivent apprécier le risque de décisions inconciliables, au sens de ces dernières dispositions, et donc l’existence d’un lien de connexité entre les demandes en contrefaçon visant plusieurs défendeurs domiciliés dans différents États membres.
Dans son arrêt Roche, elle a précisé qu’il ne suffisait pas qu’il existe une divergence dans la solution du litige, mais qu’il fallait que cette divergence s’inscrive dans le cadre d’une même situation de fait et de droit. Dans l’affaire au principal, deux particuliers domiciliés aux États-Unis avaient assigné en contrefaçon de leur brevet européen, devant une juridiction néerlandaise, une société établie aux Pays-Bas, ainsi que huit autres sociétés du même groupe domiciliées dans l’Union européenne, aux États-Unis et en Suisse. Chaque société défenderesse était accusée pour des faits de contrefaçon commis dans l’Etat de son siège.
La Cour de justice a jugé que, dans une telle hypothèse, il ne saurait être conclu à l’existence d’une même situation de fait dès lors que les défenderesses sont différentes et que les actes de contrefaçon qui leur sont reprochés, mis en œuvre dans des États contractants différents, ne sont pas les mêmes. Elle a ajouté qu’il ne saurait être conclu à l'existence d'une même situation de droit lorsque plusieurs juridictions de différents États contractants sont saisies d'actions en contrefaçon d'un brevet européen délivré dans chacun de ces États et que ces actions sont engagées à l'encontre de défendeurs domiciliés dans ces États pour des faits prétendument commis sur leur territoire. En effet, selon la Convention sur le brevet européen, ce brevet demeure régi par la règlementation nationale de chacun des États contractants pour lequel il a été délivré.
Dans la présente affaire, se référant à cette jurisprudence ainsi qu’à l’arrêt Solvay, la cour d’appel de Paris a retenu, dans son premier arrêt, que les atteintes prétendument portées en Grande-Bretagne et en Allemagne par la société anglaise aux parties anglaise et allemande du brevet européen ne relevaient pas de la même situation de droit que les atteintes portées à la partie française du brevet et qu’il n’y avait pas non plus une situation de fait identique, les produits incriminés en France et à l'étranger n'étant pas les mêmes. Il n'y avait donc pas, selon elle, une identité de situation de droit et de fait pour les demandes portant, respectivement, sur des actes de contrefaçon commis sur le territoire français et sur des actes commis en dehors de ce territoire, les décisions de justice relatives aux demandes risquant alors d'être divergentes mais pas inconciliables.
La Cour de cassation a pris appui, elle aussi, sur l’arrêt Solvay, dont les faits étaient proches de ceux soumis aux juridictions françaises dans la présente affaire. Une société belge avait assigné en contrefaçon de son brevet européen, devant une juridiction néerlandaise, une société américaine qui fabriquerait un produit identique à celui couvert par son brevet ainsi que trois filiales de cette société, l’une établie aux Pays-Bas et les deux autres en Belgique qui distribuait ce produit dans une dizaines d’Etats-membres.
La Cour de justice a admis qu’il était possible dans ce cas qu’il existe un lien de connexité entre les demandes en contrefaçon du brevet européen, celles-ci ayant été formées, devant la même juridiction d’un État membre, à l’encontre de plusieurs sociétés établies dans des États membres différents et pour des faits de contrefaçon visant la même partie nationale d'un brevet européen et concernant le même produit.
La Cour de cassation a relevé dans la présente affaire que la société demanderesse invoquait les atteintes portées par les sociétés françaises et la société anglaise, en France, en Allemagne et en Grande Bretagne, aux mêmes parties nationales de son brevet européen, concernant le même produit et a reproché à la cour d’appel de Paris de ne pas avoir recherché si en l’espèce, le fait de juger séparément les actions en contrefaçon n'était pas susceptible de conduire à des solutions inconciliables. Elle a donc cassé l’arrêt pour violation de l’article 8, 1) du règlement (UE) n°1215/2012 et a renvoyé l’affaire devant la cour d’appel de Pris, autrement composée.
La cour de renvoi constate que les atteintes reprochées aux sociétés françaises et à la société anglaise sont des faits identiques provenant d’une même chaîne d’approvisionnement. La contrefaçon alléguée reposait en effet sur l’importation au Royaume-Uni par la société anglaise des jantes fabriquées par de la société sud-africaine, puis sur la revente par la société britannique elle-même et par ses distributeurs français des jantes en France, en Grande-Bretagne et en Allemagne. Ainsi, les sociétés défenderesses étaient accusées, chacune séparément, des mêmes actes de contrefaçon à l'égard des mêmes produits et ces actes étaient commis dans les mêmes États membres, de sorte qu'ils portaient atteinte aux mêmes parties nationales du brevet européen en cause. Le litige s’inscrivait donc dans une même situation de fait et de droit et il existait, selon la cour de renvoi, un risque que le juge français ne rende une décision sur les actes de contrefaçon reprochés aux sociétés françaises en Grande-Bretagne et en Allemagne inconciliable avec celles susceptibles d’être prononcées par les juges anglais et allemand concernant les actes de contrefaçon reprochés dans ces mêmes États à la société anglaise.
Cette affaire nous montre que des litiges parallèles en contrefaçon d’un même brevet européen dans plusieurs États membres de l’Union européenne sont susceptibles d'aboutir à des décisions divergentes et donc à une insécurité juridique pour les titulaires de droits. L'Accord relatif à une juridiction unifiée du brevet (AJUB), signé le 19 février 2013, a vocation à remédier à ce problème par la mise en place de la Juridiction Unifiée des Brevets (JUB), entrée en vigueur le 1er juin 2023. Celle-ci a compétence exclusive pour connaître des litiges portant aussi bien sur les brevets européens, dits « classiques », que sur les brevets unitaires. La présente décision de la cour d’appel de renvoi offre néanmoins de nouvelles perspectives pour les titulaires de brevets européens classiques, qui pourront continuer à engager des actions devant les juridictions nationales des États contractants en choisissant de déroger à la compétence de la JUB (« opt out ») pendant une période transitoire de sept ans, qui est susceptible d’être prolongée de sept années supplémentaires.
Madeleine Bigoy
Rédactrice au PIBD
[1] Sur la question de la compétence des juridictions françaises pour statuer sur une action en contrefaçon en matière de propriété intellectuelle, qui a été intentée à l’encontre de plusieurs défendeurs domiciliés dans différents État membres de l’Union européenne, et l’application, dans cette hypothèse, de l’article 6, 1) du règlement (CE) n° 44/2001 ou de l’article 8, 1) du règlement (UE) n° 1215/2012, voir les décisions citées sous le premier arrêt de la cour d’appel de Paris dans cette affaire : CA Paris, pôle 5, 1re ch., 24 nov. 2020, 20/04780, B20200062, PIBD 2020, 1156, III-1. Voir également : TJ Paris, 3e ch., 2e sect., ord. JME, 13 mai 2022, Pascal F et al. c. Pierc Srl, et al., 21/07899 (B20220089 ; PIBD 2023, 1198-III-2).
[2] CJUE, 3e ch., 12 juill. 2012, Solvay SA, C‑616/10.
[3] CJUE, 1re ch., 13 juill. 2006, Roche Nederland BV e.a., C-539/03 (point 26).
[4] L’action en contrefaçon a été intentée avant le Brexit.
[5] Il a été précédemment jugé que les dispositions de l’article 14 du Code civil n’étaient pas applicables en matière de responsabilité délictuelle (TGI Paris, 3e ch., 1re sect., ord. du JME , 22 sept. 2009, Tour de France SAS et al., 08/00051 ; M20090548).
[6] CJUE, 7 mars 1995, Fiona Shevill, C-68/93.
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