Recevabilité de l’action en nullité de la marque (oui) - 1) Prescription (non) - Application de la loi dans le temps - 2) Forclusion par tolérance (non) - Point de départ du délai - Connaissance de l’usage
Validité de la marque semi-figurative (non) - Droit antérieur - Marque verbale de renommée - Produits et services différents - Similitude des signes - Élément verbal dominant et distinctif - Lien dans l’esprit du public pertinent - Profit indûment tiré du caractère distinctif ou de la renommée de la marque
C’est à raison que l’INPI a prononcé la nullité de la marque semi-figurative L’OCCITANE IMMOBILIER, visant les services immobiliers, en raison de l’atteinte portée à la marque verbale antérieure L’OCCITANE, renommée pour les cosmétiques.
1. Sur la recevabilité de l’action en nullité :
La décision attaquée a écarté à juste titre l’irrecevabilité de l’action en nullité, soulevée sur les fondements de la prescription et de la forclusion par tolérance.
L’article L. 716-2-6 du CPI, issu de l’ordonnance n° 2019-1169 du 13 novembre 2019 prise en application de la loi Pacte, a instauré l’imprescriptibilité de l’action ou de la demande en nullité de marque. Cet article n’a rendu imprescriptibles que les actions dont la prescription n’était pas encore acquise sous l’empire du droit ancien au jour de l’entrée en vigueur de l’ordonnance, le 11 décembre 2019[1].
En l’espèce, les parties étaient en désaccord sur le point de départ de la prescription, qui devait correspondre, selon la société titulaire de la marque contestée, à sa date de dépôt (8 septembre 2017), et, selon la demanderesse, à la date de publication de son enregistrement (9 mars 2018). Cependant, quel que soit le point de départ choisi, la prescription n’était pas acquise sous l’empire du droit ancien régi par l’article 2224 du Code civil, à la date de l’entrée en vigueur de l’ordonnance. Ainsi, les dispositions nouvelles ont vocation à s’appliquer, de sorte que la demande en nullité n’est pas prescrite, l’action étant devenue imprescriptible.
S’agissant de l’irrecevabilité de la demande en nullité en raison de la forclusion par tolérance, la titulaire de la marque L’OCCITANE IMMOBILIER se prévalait d’un usage du signe, notamment dans son nom de domaine, depuis 1999, qui aurait selon elle été porté à la connaissance de la demanderesse. Cependant, il résulte des dispositions de l’article L. 716-2-8 du CPI, issu de l’ordonnance n° 2019-1169, ainsi que de la jurisprudence antérieure à l’entrée en vigueur de cet article, que le point de départ du délai de forclusion par tolérance est l’enregistrement de la marque postérieure[2]. En outre, la titulaire de la marque contestée n’a pas démontré que l’usage de ce signe aurait été toléré par la demanderesse depuis plus de cinq ans, les justificatifs produits (articles de presse spécialisée, demandes d’opposition) ne suffisant pas à établir la mise en place par cette dernière d’un système actif de vigilance qui aurait nécessairement dû l’alerter de l’usage antérieur du signe litigieux.
La décision de l’INPI, qui a écarté toute forclusion par tolérance, en retenant que la titulaire de la marque contestée ne pouvait se prévaloir des dispositions de l’article L. 716-2-8 du CPI qu’à compter de l’enregistrement de sa marque et, qu’en tout état de cause, une connaissance antérieure de l’usage effectif du signe n’était pas démontrée, doit par conséquent être approuvée.
2. Sur la nullité de la marque :
L’article L. 713-5 al. 1 du CPI, dans sa version immédiatement antérieure à l’ordonnance de 2019, est applicable au litige[3]. Ses dispositions permettaient de retenir la responsabilité de l’auteur d’une atteinte à une marque de renommée, et d’écarter le principe de spécialité en cas de reproduction ou d’imitation d’une marque de renommée pour des services non similaires, de nature à porter préjudice ou constituant une exploitation injustifiée de la marque de renommée.
En outre, la jurisprudence[4] prise en application des articles L. 711-4 et L. 714-3 du CPI admettait, antérieurement à l’entrée en vigueur de la loi Pacte, que puisse être prononcée la nullité d’une marque portant atteinte à une marque de renommée antérieure, y compris pour des produits et services différents.
Une atteinte à la marque de renommée pouvait donc déjà être sanctionnée par la nullité, antérieurement à l'entrée en vigueur de la loi Pacte, en présence d'une marque identique ou similaire quels que soient les services concernés, dans l'hypothèse où l'usage de la marque postérieure tirerait indûment profit du caractère distinctif ou de renommée de la marque ou qu'il lui porterait préjudice.
En l’espèce, la renommée de la marque antérieure L’OCCITANE n’est pas véritablement contestée en matière de cosmétiques. Les éléments versés aux débats par la demanderesse attestent en effet de sa renommée dans la presse nationale où elle bénéficie d’une très forte visibilité (notamment pour ses produits précurseurs et son implication dans les questions sociales et de développement durable), de sa présence importante sur les réseaux sociaux ou encore de son classement en 2012 comme quatrième enseigne préférée des français.
S’agissant d’une atteinte à une marque de renommée, il n’est pas utile de rechercher un possible risque de confusion dans l’esprit du public pertinent, mais uniquement si un lien ou rapprochement peut être opéré par ce même public entre les marques.
En l’espèce, compte tenu de la très large notoriété de la marque L’OCCITANE, le public pertinent n’est pas uniquement un public concerné par les cosmétiques. Le public concerné par la marque L'OCCITANE est le grand public, de la même manière que celui concerné par la marque L'OCCITANE IMMOBILIER et ces deux publics peuvent tout à fait se chevaucher.
Il ressort de l’appréciation globale des signes en conflit que l’élément visuel dominant de la marque semi-figurative litigieuse gardé en mémoire par le public est le signe « L'OCCITANE », qui présente une forte similitude avec la marque verbale antérieure.
En effet, le dessin de l'olivier n’est pas déterminant, dès lors qu’il n’est pas distinctif pour désigner l’« Occitane », qui renvoie à la Provence, et qu’il n’est pas verbalement prononcé. Le signe « immobilier » n’a, quant à lui, aucune distinctivité pour désigner les services visés par la marque.
Le signe « L’OCCITANE » est en revanche particulièrement distinctif pour désigner les services immobiliers, tout comme il l’est pour désigner les cosmétiques. Il attire ainsi d’autant plus l’attention du public pertinent, qui est inéluctablement amené à opérer un rapprochement, un lien, entre la marque litigieuse et la marque de cosmétiques.
Il s'en déduit que la marque de renommée L'OCCITANE est protégée de l’utilisation de la marque L'OCCITANE IMMOBILIER y compris pour des services non similaires.
Par ailleurs, il est en l’espèce justifié d'investissements promotionnels très importants (de l’ordre de huit millions d’euros depuis 2014) entrepris par la demanderesse. La titulaire de la marque contestée, qui n'allègue pas de juste motif à l'utilisation du signe « L’OCCITANE » à titre de marque, tire dès lors indûment profit du caractère distinctif ou de la renommée de la marque L’OCCITANE.
En effet, un simple risque de profit est suffisant, celui-ci étant caractérisé ici dès lors qu'il existe un risque que la marque de renommée, ou les caractéristiques auxquelles elle renvoie ou qu'elle projette soient transférées aux produits désignés par la marque postérieure dont la commercialisation serait facilitée du fait de l'association à la marque.
Cour d’appel de Bordeaux, 1re ch. civ., 8 octobre 2024, Agence Immobilière L’Occitane SARL c. INPI et Laboratoire M&L SA, 23/03455 (M20240241)[5]
(Confirmation décision INPI, 19 juin 2023, NL 22-0166 ; NL20220166)
[1] La Cour d’appel de Bordeaux retient, à l’instar de la Cour d’appel de Paris dans un arrêt récent (CA Paris, pôle 5, 1re ch., 29 nov. 2023, Mme [J] [K] [P] [T] [N] [Y] - Princesse [J] [F] et al. c. Dopff & Irion SA, 21/18088 ; M20230246 ; PIBD 2024, 1221-III-5), la date d’ entrée en vigueur de l’Ordonnance n° 2019-1169, le 11 décembre 2019, pour déterminer si la prescription était acquise sous l’empire de l’ancienne loi. D’autres arrêts antérieurs avaient cependant retenu une date différente, à savoir celle d’entrée en vigueur de la Loi Pacte, le 24 mai 2019 (CA Paris, pôle 5, 1re ch., 19 avr. 2023, L'Institut des Arts Martiaux Vietnamiens Viet Vodao et al. c. Fédération Française de Karaté et Disciplines Associées, 21/12725, M20230104 ; CA Bordeaux, 1re ch. civ., 25 oct. 2022, Stéphane E c. Vignobles Eymas et Fils EARL et al., 21/04291, M20220279).
[2] Sur la question du point de départ du délai de forclusion par tolérance, la Cour de cassation a considéré, dans un arrêt récent, qu’il ne pouvait être antérieur à la date d’enregistrement du signe litigieux à titre de marque (Cass. com., 6 déc. 2023, Free SAS c. Free-Sbe SAS et al., 22-15.341 ; M20230237; PIBD 2024, 1220, III-2 avec une note de M. Bigoy et C. Martin).
[3] Les dispositions de l’article L 713-3 du CPI issu de l’ordonnance du 13 novembre 2019 viennent désormais s’appliquer en cas d’atteinte à une marque de renommée.
[4] Cf. arrêt cité par la Cour d’appel : Cass. com., 7 juin 2016, Ior LTD c. Visa International Service Association, 14-16.885 (M20160293 ; PIBD 2016, 1054, III-629 ; Propr. intell., 61, oct. 2016, p. 478, A. Bouvel).
[5] La Cour d’appel de Bordeaux a rendu à la même date un arrêt très similaire impliquant les mêmes parties, portant sur la demande en nullité d’une autre marque semi-figurative L’OCCITANE IMMOBILIER (CA Bordeaux, 1re ch. civ., 8 oct. 2024, Agence Immobilière l’Occitane SARL c. INPI et al., 23/03449).