Jurisprudence
Marques

Résiliation, aux torts du licencié, du contrat de licence conclu pour la conception de montres et leur commercialisation sous les marques « KAPORAL »

PIBD 1237-III-3
CA Paris, 2 octobre 2024

Contrat de licence de marques - Manquement aux obligations contractuelles par le licencié (oui) - Interprétation du contrat - Obligation d’obtenir la validation du concédant avant la commercialisation des produits - Obligation d’exécuter le contrat de bonne foi - Résiliation du contrat aux torts du licencié (oui) - Préjudice - Application de la clause pénale (oui) - Versement du minimum garanti

Texte

Une société, qui exerçait, avant sa liquidation judiciaire, une activité de conception et de commercialisation de vêtements et d’accessoires, est entrée en relation avec une société spécialisée dans l’horlogerie afin de mettre en place un partenariat pour la réalisation et la commercialisation de montres portant ses marques « KAPORAL ». Ces échanges ont abouti à la conclusion d’un contrat de licence de marques, définissant le processus de développement des produits. La société concédante a notifié à la société horlogère la résiliation du contrat de licence à ses torts, lui reprochant d’avoir manqué à ses obligations contractuelles en lançant, sans son autorisation, la commercialisation de produits de marques « KAPORAL » sur un site de vente en ligne. Elle a été assignée en retour par la société licenciée en résolution du contrat et en indemnisation des préjudices en résultant. À titre reconventionnel, la société concédante a demandé qu’il soit jugé que la licenciée est responsable des manquements contractuels allégués et que la résiliation est régulière et bien fondée.

Selon les dispositions du contrat de licence, telles qu’interprétées en vertu des articles 1188 et suivants du Code civil, la direction artistique de la création des montres était assumée par la société concédante, notamment pour garantir la cohérence de son identité de marque. A ce titre, la société licenciée devait obtenir l’accord préalable de la concédante, pour tout projet de création d’un produit, que ce soit pour la mise au point de son concept et de son design, le développement et le choix de son packaging ainsi que pour le choix de son nom. En outre, la licenciée était tenue, pour chaque produit, de soumettre à la validation de la concédante les dessins des modèles, les échantillons des matières et les prototypes. La concédante devait notifier à la licenciée son approbation ou son refus dans un délai de 20 jours courant à compter de la présentation de ces différents éléments, le silence conservé pendant cette durée valant acceptation tacite sauf persistance, pendant cette période, d'un manquement de la licenciée. Ainsi, l'acceptation tacite prévue par le contrat ne concerne que les cas soumis à validation par la concédante et non ceux qui requièrent son autorisation préalable.

Il est établi que, lors d’une réunion organisée entre la société concédante et la licenciée, les prototypes présentés par cette dernière étaient incomplets, certaines références manquant, et qu’ils n’avaient pas été validés, faute de comporter le logo choisi par la concédante qui a été transmis quelques jours plus tard. Aucune collection définitive n’avait donc été présentée à la concédante ce jour-là. À supposer même que ce fut le cas et que ces prototypes aient été tacitement validés, et en faisant abstraction du non-respect par la licenciée du calendrier prévu en raison de la crise sanitaire, la société licenciée devait obtenir l’accord de la société concédante avant le lancement de la commercialisation des produits. Cet accord était en effet indispensable, aux termes du contrat de licence, pour débuter les phases finales préalables à toute offre en vente (développement et choix du packaging, choix du nom du produit, conditionnement). De plus, dans le courriel adressé à la licenciée un mois après la réunion de présentation des prototypes, la concédante exigeait une amélioration de la qualité des produits et exprimait donc nécessairement un refus de commercialisation en l’état. La licenciée a donc manqué à ses obligations contractuelles en offrant à la vente des montres de marques KAPORAL sur le site showroomprivee.com et en promettant la fourniture de ces produits à trois distributeurs, malgré l’absence de validation de la collection définitive et d’autorisation de lancement des phases préalables à sa commercialisation.

Par ailleurs, la société licenciée a proposé les produits à des prix « barrés », correspondant à une réduction de 70 % en moyenne, sans qu’il soit possible, en l’absence de mise en vente antérieure, de vérifier la réalité et la loyauté du prix de référence, tel qu’il est indiqué sur le site. Il s’agit d’une pratique commerciale déloyale et trompeuse au sens des articles L. 121-1 et L. 121-2, 2°, c) du Code de la consommation. Si ces dispositions sont destinées à la protection du consommateur, elles peuvent néanmoins être invoquées par la société concédante. En effet, le manquement à une obligation légale de nature à jeter le discrédit sur des produits revêtus de la marque de la concédante et, par association, sur le comportement de cette dernière à l’égard de la clientèle, peut caractériser une faute contractuelle de la part de la société licenciée. Il importe peu que la commercialisation sur le site showroomprivee.com ait été expressément autorisée par le contrat de licence. De plus, les réductions proposées, qui sont de grande ampleur, induisent une illusoire montée en gamme des produits vendus. Elles sont ainsi de nature à modifier substantiellement le comportement économique du consommateur moyen, trompé par l’espérance d’une économique significative, en réalité inexistante, et sur la qualité du bien, très inférieure à celle attendue. Cette pratique commerciale déloyale et trompeuse caractérise une exécution de mauvaise foi du contrat, qui, par hypothèse, n’autorise que des utilisations licites de la marque. En effet, par l’effet du partenariat entre les parties, concrétisé par l’apposition, sur les produits de la société licenciée, des marques KAPORAL garantissant l’origine commerciale des produits, le consommateur associera directement la société concédante aux fautes de la licenciée.

Les manquements contractuels imputables à la société licenciée sont graves, la commercialisation de produits marqués sans l’autorisation de la société concédante touchant aux obligations essentielles de la licenciée et affectant inéluctablement la confiance mutuelle qui préside à l’exécution de tout contrat de licence. Ils sont ainsi suffisamment importants pour légitimer la rupture anticipée de la relation, telle que prévue au contrat. En conséquence, la résiliation aux torts de la licenciée, qui a été encadrée par un préavis conforme aux stipulations contractuelles, est formellement régulière et matériellement fondée.

Aussi, les demandes en résolution et en indemnisation présentées par la société licenciée sont intégralement rejetées. Les fautes commises par celle-ci ainsi que la rupture du contrat de licence sont susceptibles d’avoir causé un préjudice à la société concédante. En application de la clause pénale figurant au contrat, la licenciée est condamnée à lui verser une somme correspondant au minimum garanti qu’elle aurait dû payer jusqu’au terme stipulé au contrat.

Cour d'appel de Paris, pôle 5, 4e ch., 2 octobre 2024, 22/12581 (M20240245)
Kaporal Groupe SAS c. Montres Ambre SA, Les Mandataires SAS (en qualité de mandataire judiciaire de la Sté Kaporal Groupe, intervenante) et Me [B] [S] (en la même qualité)
(Infirmation partielle T. com. Marseille, 8 juin 2022, 2021F00062)