Contrefaçon de la marque de l’UE (non) - Risque de confusion - Similarité des produits - Droit de l'UE - Nature - Destination - Fonction - Complémentarité esthétique - Diversification
Concurrence déloyale et parasitaire (non) - Imitation de la marque - Risque de confusion - Volonté de profiter de la notoriété d'autrui - Pratiques commerciales trompeuses - Mention relative au distributeur
La commercialisation de parfums sous le signe « Rue Crémieux » ne constitue pas la contrefaçon de la marque de l'Union européenne CREMIEUX désignant des vêtements, chaussures et produits d’habillement, faute de similitude entre les produits.
La notion de similitude des produits ou services doit être interprétée à la lumière du risque de confusion, qui est la condition spécifique de la protection. La Cour de cassation a interprété cette notion dans plusieurs décisions [1] en concluant qu'une similitude existe si le consommateur peut attribuer une origine commune aux produits. Toutefois, une application trop rigide de ce critère ferait dépendre la similitude entre les produits ou services, de la possibilité d'un risque de confusion, ce qui reviendrait à vider de sa substance la condition tenant à la similitude, en faisant de cette notion non plus une condition nécessaire, mais uniquement l'un des critères du risque de confusion, ce qui irait à l'encontre de la lettre de l'article 9 du règlement n° 2017/1001.
En l’espèce, les parfums exploités sous le signe contesté et les vêtements désignés par la marque invoquée sont des produits de nature différente. Les premiers sont destinés à être diffusés pour leur odeur, et les seconds à être portés. Ils ne s'utilisent ensemble que dans la mesure où, en général, on exerce les activités quotidiennes en étant vêtu, et ne sont pas concurrents. Ils ne s'associent pas, un parfum étant choisi pour s'adapter à une personne, parfois à une saison, et non à une tenue vestimentaire. Ils ne sont habituellement pas vendus dans les mêmes magasins, les parfums disposant de filières spécialisées. S'ils ont en commun une fonction tenant à la mise en valeur de leur porteur, il ne s'agit que d'une partie de leurs fonctions respectives. En effet, les vêtements ont en premier lieu un but utilitaire (se couvrir), qui est étranger au parfum, lequel est plus précisément destiné à diffuser une odeur agréable, ce que le consommateur peut rechercher en soi, sans vouloir par ce biais se mettre spécialement en valeur. Ainsi ni leur destination et leur fonction faiblement communes, ni leur nature, ni leur utilisation non concurrente et à priori non complémentaire ne font des parfums et des vêtements en général des produits similaires.
Au-delà de la complémentarité fonctionnelle, la jurisprudence de la Cour de justice et du Tribunal de l’Union européenne admet la possibilité d'une complémentarité esthétique, qui consiste en un véritable besoin esthétique, en ce sens qu'un produit est indispensable ou important pour l'utilisation de l'autre, et que les consommateurs jugent habituel et normal d'utiliser les produits ensemble. Il faut en outre que les consommateurs considèrent comme courant que ces produits soient commercialisés sous la même marque, ce qui implique, normalement, qu'une grande partie des fabricants ou des distributeurs respectifs de ces produits soient les mêmes. Or, les parfums ne sont pas importants pour utiliser les vêtements, lesquels ne sont importants à l'usage des parfums que dans la mesure où ils le sont pour toutes les activités extérieures, ce qui empêche d'y voir un facteur pertinent.
En définitive, la pratique commerciale qui consiste en ce que les entreprises du domaine de la mode commercialisent des parfums sous leur marque peut être prise en compte, mais ne peut suffire à rendre similaires des produits qui n'ont aucun point commun pertinent par ailleurs. Si des cours d'appel [2], ont retenu que les parfums et les vêtements étaient similaires, c'est notamment en partie en raison d'une conclusion différente quant à l'existence de réseaux de distribution identiques, mais aussi et surtout en donnant à la fonction esthétique de ces produits une importance déterminante, alors qu’elle a une portée si vaste qu'elle ne peut constituer le facteur déterminant pour identifier des produits similaires au sens du droit des marques.
Tribunal judiciaire de Paris, 3e ch., 3e sect., 5 avril 2022, 20/12763 (M20220165)
Sun Consulting SARL et M. Y W c. H&M Hennes & Mauritz LP et H&M Hennes & Mauritz SARL
[1] Cass. com., 19 juin 2019, Huttopia SA c. Indigo Group, 17-26.469 (M20190177 ; PIBD 2019, 1121, III-381(brève)) ; Cass. com., 8 févr. 2017, Christian Lacroix SNC c. Christian L et al., 14-28.232 (M20170069 ; PIBD 2017, 1068, III-210 ; Propr. industr., avr. 2017, p. 37, note de P. Tréfigny ; D IP/IT, mars 2017, p. 129 ; JCP E, 8, 23 févr. 2017, p. 12 ; Gaz. Pal., 7, 14 févr. 2017, p. 37 ; L'Essentiel, avr. 2017, p. 5, note de F. Herpe ; RJDA, mai 2017, p. 428) ; Cass. com., 12 juill. 2005, Motarolles SA c. Cis Immobilier, 03-16.304 (M20050241 ; PIBD 2005, 816, III-585).
[2] La question de la similarité entre les parfums et les vêtements a été régulièrement soumise aux tribunaux. La jurisprudence n'est pas homogène sur ce sujet. Voir les décisions citées dans la note de Madeleine Bigoy sous : CA Aix-en-Provence, ch. 3-1, 23 sept. 2021, Catherine S c. INPI et al., 20/06088 (M20210209 ; PIBD 2022, 1171-III-3).