Jurisprudence
Dessins et modèles

Absence de contrefaçon d’un motif de carreau de ciment protégé au titre du droit d’auteur et des dessins et modèles

PIBD 1187-III-9
CA Paris, 30 mars 2022

Protection au titre du droit d'auteur (oui) - Originalité - Dessin - Combinaison - Disposition - Proportion - Recherche esthétique - Effort de création - Empreinte de la personnalité de l'auteur

Contrefaçon des droits d'auteur (non) - Antériorité de l’usage - Reproduction des caractéristiques protégeables - Dimensions - Couleur

Action en contrefaçon sur le fondement du droit des dessins et modèles - Recevabilité du licencié exclusif (oui) - Absence d’inscription du contrat de licence ou de mise en demeure du titulaire

Validité du modèle (oui) - Nouveauté - Antériorités - Détails insignifiants - Caractère propre - Observateur averti - Impression visuelle d'ensemble - Liberté laissée au créateur - Genre

Contrefaçon de modèle (non) - Reproduction des caractéristiques essentielles

Texte
Modèle n° 20140873-008 de Mme P
Texte

Le motif de carreau de ciment revendiqué représentant la combinaison de demi-disques et d’une double bordure de couleurs contrastantes est protégeable par le droit d’auteur. Les dessins antérieurs de type « écailles » fournis par la société poursuivie ne présentent pas les caractéristiques originales revendiquées. Notamment, les mosaïques du XIème siècle extraites d’un ouvrage d’art, comme les motifs de céramiques japonaises du XIXème siècle, ne font pas apparaître l'agencement revendiqué des demi-disques. Le motif Renaissance invoqué comporte un fin trait noir délimitant les figures, absent du motif revendiqué, et le carreau de ciment comprimé de 1923 n'a pas de double bordure contrastante. Par ailleurs, le motif « écaille » déposé par la société Guerlain présente une triple bordure et des rapports d'échelle différents de ceux du motif revendiqué. Par conséquent, ce motif traduit, dans sa composition et son agencement, une recherche esthétique personnelle et créatrice, révélatrice de l'empreinte de la personnalité de son auteur, qui lui confère une originalité.

Le motif de carreau revendiqué est également protégeable sur le fondement du droit des dessins et modèles. Il est nouveau. En effet, aucune des antériorités examinées pour l’originalité ne reprend, selon les proportions ou l'agencement revendiqués, la combinaison de demi-disques et de la double bordure contrastante, ainsi que l'effet épuré du modèle. Il présente également un caractère propre. L'observateur averti (en l’espèce le professionnel de la décoration d'intérieur mais également le particulier), qui utilise le produit dans lequel est incorporé le dessin ou modèle, connaît les différents dessins ou modèles existant dans le secteur concerné, dispose d'un certain degré de connaissances quant aux éléments que ces dessins ou modèles comportent normalement, et fait preuve, du fait de son intérêt pour les produits concernés, d'un degré d'attention relativement élevé lorsqu'il les utilise. Les carreaux de ciment, sur lesquels le motif est appliqué, sont des produits haut de gamme onéreux faisant l'objet de publications dans des revues de décoration, de sorte que l'observateur averti prêtera une grande attention aux détails des produits et ce d’autant plus que la liberté de création en matière de motifs de carreaux de ciment est relativement élevée. L'appartenance à un fonds commun ou à une tendance, en l'occurrence celle des motifs de type « écaille » ou « art déco » dans la sphère du design, ne peut, à elle seule, faire obstacle à la reconnaissance du caractère propre. Ainsi, aucune des antériorités opposées ne produit la même impression visuelle d'ensemble que celle dégagée par le motif revendiqué, compte tenu du niveau d'attention élevé de l'observateur de référence.

Le motif utilisé par la société poursuivie pour présenter ses chocolats et confiseries ne contrefait pas les droits d’auteur sur le motif revendiqué, faute de reproduction de ses caractéristiques originales. Ainsi, les deux bordures du motif litigieux ne sont pas de largeur quasi égale comme sur le motif revendiqué, la bordure extérieure étant au contraire beaucoup plus fine. En outre, le motif litigieux est proposé dans des couleurs douces (gris, blanc, rose pâle, vert amande) qui ne font aucunement ressortir le « contraste » revendiqué. La contrefaçon au titre du droit des dessins et modèles n’est dès lors pas davantage constituée.

Cour d’appel de Paris, pôle 5, 1re ch., 30 mars 2022, 20/03113 (D20220026)
Aurélia P et Beauregard SAS c. De Neuville SAS
(Infirmation partielle TGI Paris, 3e ch., 3e sect., 20 déc. 2019, 17/11533)