Concurrence déloyale (non) - Dénigrement - Mise en garde adressée par le titulaire du brevet à des revendeurs - Mise en connaissance de cause
Contrefaçon du brevet européen (oui) - Reproduction des caractéristiques - Brevet postérieur du contrefacteur - Brevet dépendant - Brevet de perfectionnement
La jurisprudence[1] considère, en principe, qu'est déloyal le fait de mettre en garde la clientèle sur l’existence d'un risque de contrefaçon dès lors que cette information ne repose sur aucune décision de justice, a fortiori lorsque qu'aucune action en contrefaçon n'a été introduite. À l’inverse, il ressort d’un arrêt de la Cour de cassation[2] que l’envoi d’une lettre adressée à des distributeurs, se bornant à un rappel à la loi général et préventif des droits d’un breveté aux fins de les préserver et ne contenant aucune accusation ou dénigrement ne saurait être considéré comme fautif. Il en va différemment de l’envoi aux clients d’une société d’une lettre exclusivement centrée sur la question du programme de licences mis en œuvre par le titulaire de brevets et rédigée en termes comminatoires, sans aucune explication sur les éléments prétendument constitutifs de l’atteinte alléguée[3]. Ce courrier ne se limite pas à une simple mise en connaissance de cause des vendeurs, au sens de l'article L. 615-1, al. 3, du CPI, sur un risque de contrefaçon de brevets en cas de poursuite de la commercialisation des produits, mais constitue un acte de dénigrement caractérisant la concurrence déloyale en ce qu’il met en cause la loyauté du supposé contrefacteur et de son fournisseur dans la fabrication et la commercialisation de ceux-ci.
En l’espèce, la demande principale en concurrence déloyale, fondée sur le dénigrement qui résulterait de l’envoi de courriers adressés par les conseils en propriété industrielle de la société défenderesse, titulaire d’un brevet, à des distributeurs de la société demanderesse, est rejetée. Ces lettres se bornent à exposer les droits de brevet de la société poursuivie (le fascicule de brevet étant joint et pour partie reproduit dans la lettre), à décrire le dispositif breveté et à le comparer avec la scie litigieuse avant de conclure à l’existence d’une « possible contrefaçon ». Elles rappellent ensuite de façon neutre les dispositions de l’article L. 615-1 du CPI et invitent leurs destinataires à vérifier par eux-mêmes si la scie litigieuse contrevient aux droits du breveté et, dans l’affirmative, à cesser la commercialisation de ce produit. Ces lettres, qui ne comportent aucun terme dépréciatif à l’égard de la société demanderesse, se limitent à une simple mise en connaissance de cause de vendeurs quant à un risque de contrefaçon, au sens de l’alinéa 3 de l’article précité. Il importe peu qu’aucune action en contrefaçon n’ait été engagée immédiatement après leur envoi, ce texte ne l’exigeant nullement.
La scie litigieuse reproduit l’éjecteur télescopique protégé par la revendication principale du brevet européen opposé. La contrefaçon est établie alors même que le produit litigieux met en œuvre les enseignements d’un brevet italien postérieur, détenu par la société poursuivie en contrefaçon et dont la validité n’a pas été contestée. En effet, il résulte des dispositions de l’article L. 613-15 du CPI que le titulaire d’un brevet portant atteinte à un brevet antérieur ne peut l’exploiter sans l’accord du titulaire de ce dernier. Ce consentement n’ayant pas été accordé en l’espèce, la société poursuivie ne peut pas exploiter son brevet, à supposer même qu’il puisse être regardé comme un brevet de perfectionnement.
Tribunal judiciaire de Paris, 3e ch., 3e sect., 25 janvier 2022, 20/04666 (B20220027)
Iross Srl c. AMR SASU
[1] V. à propos de la revendication de droits sur un modèle ou sur une marque et une base de données : Cass. com., 20 sept. 2016, Trolem SA c. Boston Golf Europe SARL, 15-10.939 (D20160148 ; PIBD 2016, 1059, III-861 ; Propr. intellec., 63, avr. 2017, p. 116, note de P. de Candé) ; Cass. civ., 19 juin 2013, Philippe L et al. c. Thierry C et al., 12-18.623 (M20130305).
[2] Cass. com., 12 févr. 2013, ENS SAS et al. c. Maison Apollinaire SARL, 12-13.808 (M20130071 ; PIBD 2013, 980, III-1076 ; Propr. industr., avr. 2013, p. 24, note de P. Tréfigny).
[3] Cass. com., 27 mai 2015, Technicolor SA et al. c. Vestel Elektronik Sanayi Ve Ticaret AS et al., 14-10.800 (B20150042 ; PIBD 2015, 1031, III-481 ; Contrats conc. consom., août-sept. 2015, p. 32, note de M. Malaurie-Vigal ; Propr. industr., sept. 2015, p. 42, note de J. Larrieu ; L'Essentiel, 8, sept. 2015, p. 5, note S. Chatry).