Action en contrefaçon de droits d’auteur - Recevabilité - Qualité à agir - 1°) Au titre du droit moral - Gérant de la personne morale - Présomption de la qualité d’auteur (non) - Divulgation sous son nom - Preuves - 2°) Au titre des droits patrimoniaux - Personne morale - Présomption de titularité des droits (oui) - Exploitation sous son nom
Protection au titre du droit d'auteur (non) - Originalité - Genre - Caractère fonctionnel - Effet esthétique - Savoir-faire - Effort de création - Empreinte de la personnalité de l'auteur - Modèles déposés antérieurs
Concurrence déloyale (non) - Imitation du produit - Qualité inférieure - Vente à prix inférieur - Risque de confusion - Circuits de distribution identiques - Détournement de clientèle
Parasitisme (non) - Volonté de s’inscrire dans le sillage d’autrui - Appropriation de l’effort d’autrui et de son savoir-faire - Notoriété du produit - Imitation de la publicité
Concurrence déloyale (non) - Mise en garde de la clientèle - Désorganisation de l'entreprise
Le demandeur, qui se présente comme styliste et gérant de la société demanderesse, est irrecevable à agir en contrefaçon, faute de prouver sa qualité d’auteur du maillot de bain une pièce sur lequel il revendique un droit moral. Les fiches techniques du maillot ne comportent aucun nom permettant d'identifier son auteur. Une attestation dactylographiée signée par le demandeur en qualité de « gérant et créateur », relative au processus de création de la société, fait état de l'existence d'un bureau de style sans indiquer qu'il y participe ou qu'il en est à la tête. Dans une interview accordée à un magazine, il fait état de « nos stylistes », sans évoquer son propre rôle de créateur. Le témoignage figurant dans l’attestation d’une styliste, indiquant qu'elle n'est pas la créatrice du modèle, doit être apprécié avec circonspection, compte tenu du lien de subordination dans lequel elle se trouve par rapport à la société demanderesse et son gérant. Si son témoignage incline à penser qu'elle n'est pas la créatrice du maillot, puisqu'elle indique travailler pour la société demanderesse depuis une date postérieure à la date de création du maillot, il ne peut suffire à démontrer que le demandeur en est personnellement l'auteur.
La société demanderesse est, quant à elle, recevable en son action en contrefaçon de droits d’auteur. Elle peut bénéficier de la présomption prétorienne de titularité en l’absence de revendication par le demandeur, qui se prétend auteur, des droits patrimoniaux sur le maillot. Les pièces fournies (fiches techniques, catalogues, contrat de licence de marque …), prises dans leur ensemble, établissent qu’elle commercialise en France des maillots de bain reprenant les caractéristiques revendiquées, sous son nom et la marque DNUD qui lui a été concédée.
Le maillot de bain invoqué ne peut pas bénéficier de la protection par le droit d'auteur, faute d’originalité. Si la notion d’antériorité est indifférente en droit d’auteur, l’originalité doit toutefois être appréciée au regard d'œuvres déjà connues afin de déterminer si la création revendiquée s'en dégage d'une manière suffisamment nette et significative, et si ces différences résultent d'un effort de création, marquant l'œuvre invoquée de l'empreinte de la personnalité de son auteur. En l’espèce, la société demanderesse revendique un maillot de bain une pièce ayant l'esprit de la gaine, comportant de cinq à sept biais (ou bandes) surpiqués, placés de façon horizontale et situés au niveau des côtes, sous les seins, le maillot étant à la fois confortable et esthétique, « moderne et classique, chic et sport ». En admettant que ces biais surpiqués n'aient pas un caractère au moins partiellement technique et fonctionnel en recherchant notamment un amincissement de la taille, et tendent seulement à un effet esthétique, le fait d'apposer sur un maillot de bain une pièce de tels biais, ton sur ton, selon de mêmes espacements, en dessous de la poitrine, traduit un incontestable savoir-faire mais ne peut suffire à caractériser un parti pris créatif traduisant l'empreinte de la personnalité d'un auteur.
De plus, il est établi qu’une autre société a déposé, antérieurement à la date de création revendiquée, deux modèles de maillot de bain une pièce présentant cinq bandes horizontales sur l'abdomen, sous la poitrine, au-dessus de la taille. Un de ces modèles, qui reprend les caractéristiques revendiquées du maillot invoqué, à l'exception d'un col rond et non en « V » et de biais plus larges, est toujours commercialisé. Par ailleurs, cette société met en avant, dans sa communication, le caractère en partie fonctionnel des bandes.
Les demandes en concurrence déloyale sont rejetées. La qualité inférieure des maillots de bain incriminés, du fait d'une quantité légèrement moins grande d'élasthanne, n'est pas démontrée. De plus, ces maillots se situent dans la même gamme de prix. Par conséquent, la société demanderesse ne peut arguer d'une banalisation ou d'une dépréciation de ses maillots du fait des maillots concurrents, la mise sur le marché de produits de moindre qualité à des prix inférieurs relevant, du reste, de la liberté du commerce et de la concurrence. La recherche fautive d'un risque de confusion ou d’un détournement d'une clientèle ne peut pas plus résulter de la présence des maillots litigieux dans des grands magasins tels que les Galeries Lafayette ou des places de marché comme La Redoute, qui représentent des canaux de distributions incontournables pour toutes les marques.
Les demandes fondées sur le parasitisme sont également rejetées. La société demanderesse ne démontre pas que son maillot de bain représente pour elle une valeur économique individualisée, ni a fortiori la notoriété de ce maillot, que la société défenderesse aurait frauduleusement détournées en se plaçant dans son sillage, d’autant qu’il est très largement inspiré d’un modèle déposé antérieurement par une autre société. Ainsi, la revue de presse produite, qui montre que le maillot a fait l’objet d’encarts publicitaires dans la presse féminine ou de décoration et a été porté par deux personnalités du spectacle dans un film, ne révèle pas une représentation très large du produit dans la presse. De plus, les catalogues et les plans de collections présentés, ainsi que les pièces comptables, ne concernent pas seulement ce modèle. Le suivisme de la société défenderesse, qui consisterait à reprendre les caractéristiques de plusieurs modèles de la demanderesse, n'est par ailleurs pas démontré, au vu d’autres modèles de maillots une pièce qu’elle propose, dont le nombre, la taille et les couleurs des rayures sont différents. Enfin, il ne peut lui être reproché la reprise de codes de communication similaires [1] (femme seule, debout devant une piscine à débordement dans un cadre marin méditerranéen), compte tenu de la grande banalité d'un tel cadre pour présenter et promouvoir des maillots de bain.
Cour d’appel de Paris, pôle 5, 1re ch., 1er mars 2023, 21/04180 (D20230008)
M. [T] [R] et DNUD SARL c. MC Company SAM et SAM Digital Distribution Company
(Confirmation partielle TJ Paris, 3e ch., 3e sect., 15 janv. 2021, 19/10442)
[1] Sur le grief relatif à la reprise des mêmes codes de communication publicitaire, voir la note de Cécile Martin parue au PIBD 2023, 1204, III-4.