Jurisprudence
Dessins et modèles

Absence de protection par le droit d'auteur de faux billets de banque pour touristes représentant des monuments connus - Reproduction sanctionnée au titre de la concurrence déloyale

PIBD 1209-III-6
CA Paris, 29 mars 2023

Protection au titre du droit d'auteur (non) - Originalité - Combinaison - Inspiration de monuments connus - Savoir-faire - Empreinte de la personnalité de l'auteur

Validité des modèles (non) - Atteinte au droit d’auteur (non) - Nouveauté (oui) - Caractère propre (non) - Observateur averti - Impression visuelle d'ensemble

Validité de la marque de l'UE (oui) - Caractère distinctif (oui) - Caractère descriptif (non) - Désignation nécessaire, générique ou usuelle (non) - Combinaison - Termes du langage courant - Chiffre - Symbole monétaire

Contrefaçon de la marque de l'UE (non) - Différence visuelle, phonétique et intellectuelle - Élément descriptif - Combinaison - Caractère distinctif - Impression d'ensemble

Concurrence déloyale (oui) - Offre en vente sur le territoire français - Copie quasi-servile - Absence de droit privatif - Idée - Risque de confusion - Notoriété du produit - Parasitisme (oui) - Investissements réalisés - Préjudice moral - Absence de commercialisation du produit incriminé - Retenue en douane

Texte
Modèle n° 20165060-001 de la société Fonderie Saint Luc
Modèle n° 20165060-002 de la société Fonderie Saint Luc
Modèle n° 20165060-003 de la société Fonderie Saint Luc
Texte
Marque n° 013 048 954 de la société Euro Vending
Texte

Le billet de banque « souvenir » pour les touristes, invoqué par l'une des sociétés demanderesses, ne peut pas bénéficier de la protection au titre du droit d’auteur. Lorsque cette protection est contestée en défense, l'originalité de l’œuvre doit être explicitée par celui qui s'en prétend auteur, seul celui-ci étant à même d'identifier les éléments traduisant sa personnalité[1].

Selon la société demanderesse, le premier visuel invoqué (verso du billet) comporte à titre essentiel, au centre, la représentation de monuments européens (Big Ben ou la tour de Belem, le Colisée, la Sagrada Familia et la tour Eiffel) ainsi que douze étoiles disposées en cercle, sur la droite, une nuée d'étoiles de plus petite taille suivie d'un demi-visage puis d'une bande verticale sur toute la hauteur, en partie supérieure gauche, la mention « 0 € », le chiffre « » ayant un contour extérieur lui donnant un effet visuel de relief, en partie inférieure droite, ce même chiffre, dont le quart supérieur gauche et le quart inférieur droit sont colorisés, et la mention « EURO SOUVENIR » écrite sur trois lignes centrées verticalement et composées chacune de quatre caractères. Elle précise que les monuments ont été choisis arbitrairement et qu’ils n'illustrent pas les six villes les plus visitées en Europe, ni les monuments les plus visités dans les pays où ils se situent. Elle ajoute qu’ils sont représentés dans un enchevêtrement arbitraire, pris dans des angles spécifiques et sans respect de leurs proportions respectives, pour former un ensemble élancé vers le haut.

La combinaison des éléments visuels ainsi mis en avant par la société demanderesse correspond à une description précise et détaillée mais purement objective d'éléments disposés sur un billet de banque émis dans la zone euro, attestant certes d'un savoir-faire nécessaire à la conception de ce type de produit, quoiqu'en partie inspiré des modèles existants, mais ne permettant pas de révéler l'empreinte de la personnalité de son auteur. Il en est de même pour le recto du billet, deuxième visuel invoqué. Celui-ci est décrit comme comportant douze étoiles en cercle au centre, une à deux bandes verticales hachurées sur les bords latéraux, le drapeau européen, le chiffre « » avec un contour extérieur lui donnant un effet visuel de relief, une nuée d’étoiles de plus petite taille, le même chiffre, dont le quart supérieur gauche et le quart inférieur droit sont colorisés, et enfin la mention « EURO SOUVENIR » écrite sur trois lignes centrées verticalement et composées chacune de quatre caractères. La plupart de ces éléments correspondent, en outre, aux détails usuels pour sécuriser la monnaie contre la circulation de faux billets ou pour décrire la valeur monétaire, comme ceux figurant sur le billet de 20 euros dans son ancienne version notamment. Quant au troisième visuel invoqué, il correspond au recto du billet sur lequel a été ajoutée une représentation du château de Carcassonne. La description qui en est faite ne permet pas non plus de caractériser son originalité. En effet, l'apposition d'une gravure de monument dans un style graphique ancien est usuelle en matière de billets de banque.

Les deux modèles de billets souvenirs déposés par la société défenderesse, représentant, l’un, le château de Carcassonne, l’autre, la tour Eiffel, la Sagrada Familia, le Colisée, la porte de Brandebourg et la tour de Bélem, doivent être annulés. Si la société demanderesse ne peut pas invoquer, en application de l’article L. 512-4, d), du CPI, l’atteinte aux droits d’auteur sur les créations ci-dessus décrites, elle peut opposer celles-ci à titre d’antériorités dans le cadre de l’appréciation du caractère propre. L'utilisateur averti est, en l'espèce, le client final qui achètera les billets souvenirs, le plus souvent un touriste, ou le professionnel susceptible de les commercialiser. Ces billets ayant l'apparence d'un billet de banque, le degré de liberté de leur concepteur doit être considéré comme moyen, au regard des codes imposés pour ce genre de réalisation, mais également de la liberté possible en matière d'illustration notamment.

Le premier modèle déposé est une imitation d'un billet de banque de la zone euro, comprenant les codes habituels, soit la valeur fiduciaire, une zone hachurée et un filigrane, ainsi qu'une vue du château de Carcassonne et la marque BILLET ROYAL de la société défenderesse, le tout décliné dans une gamme de ton gris vert. Il produit, compte tenu du degré d'attention de l'utilisateur averti, la même impression d'ensemble que le visuel de la société demanderesse invoqué plus haut, représentant également le château de Carcassonne, dans une gamme de ton rosé, puisque s'y retrouvent les mêmes mentions à la même place, le même agencement entre la gravure et le reste des mentions du billet, ainsi que le même type de gravure du château, la vue ne différant que par des détails mineurs. Le second modèle déposé a lui aussi la même structure qu’un billet de banque avec sa valeur fiduciaire, des bandes sur les côtés et un fil de sécurité, et comporte un portrait sur le côté droit en filigrane et une représentation de cinq monuments. Il produit la même impression d'ensemble qu’une autre antériorité opposée, puisque s'y retrouvent l'essentiel des mêmes mentions et dessins à la même place (valeur fiduciaire en bas à droite, visage en filigrane sur le côté droit, fil de sécurité), mais aussi la même combinaison de monuments européens célèbres, positionnés de manière centrale, dans le même agencement avec un effet de contreplongée et une ignorance des proportions réelles pour aboutir au même enchevêtrement élancé vers le haut, ainsi que douze étoiles en filigrane.

En revanche, le troisième modèle déposé incriminé, qui est composé des mêmes éléments que ceux du modèle « Carcassonne », mais qui représente un ancien bateau à voile voguant en mer avec, au premier plan, un homme le désignant et un drapeau, le tout accompagné de la marque BILLET ROYAL, d'un blason et de la mention « Saint Malo », est valable. Le deuxième visuel sur lequel la société demanderesse revendiquait des droits d’auteur ne peut pas détruire le caractère propre de ce modèle dans la mesure où ce dernier ne produit pas la même impression d'ensemble, l'attention de l'utilisateur averti étant immédiatement attirée par la représentation du galion à voile occupant près des deux tiers du billet, les douze étoiles étant très peu visibles et le choix des coloris étant complètement différent.

La marque verbale de l’Union européenne 0 €uro Souvenir invoquée par une autre société demanderesse, désignant notamment les distributeurs de billets, les objets d'art en métaux précieux, les médailles, monnaies et les produits de l'imprimerie et articles de papeterie, est valable. Considérée dans son ensemble, elle n'est pas descriptive des produits visés, ne se référant ni à leurs caractéristiques, ni à leur valeur. Elle ne constitue pas davantage, pour le public pertinent, soit le consommateur d'attention moyenne, la dénomination générique ou habituelle des produits, de sorte que celui-ci peut les rattacher à une entreprise déterminée. De plus, si la marque combine les termes « 0 €uro » et « Souvenir » qui sont des termes du langage courant, l'expression « 0 €uro » reprenant certes une valeur monétaire, leur association et leur juxtaposition dans cet ordre permettent d'écarter tout risque de monopolisation de termes nécessaires ou usuels.

Les demandes au titre de la contrefaçon de marque sont rejetées. Il résulte de la comparaison globale et objective de la marque 0 €uro Souvenir et du signe contesté semi-figuratif « 0 ZERO EURO » qu'ils ne présentent pas la même impression d'ensemble, leurs différences visuelles, phonétiques et conceptuelles étant prépondérantes et excluant tout risque de confusion pour le consommateur concerné. Sur le plan conceptuel notamment, la marque évoque, par l’association des termes utilisés, un souvenir à 0 euro, alors que le signe contesté décrit une valeur faciale nulle pour distinguer le produit d'un véritable billet de banque. Cette analyse est renforcée par la prise en compte des éléments distinctifs et dominants des signes opposés. Le signe contesté ne reprend pas l'association des termes « 0 €uro » et « Souvenir » qui permet à la marque de présenter un caractère distinctif, le seul terme « 0 €uro » étant purement descriptif d'une valeur monétaire et le terme « Souvenir » tendant à rappeler que le billet n'est pas une monnaie fiduciaire.

En revanche, les agissements de concurrence déloyale reprochés sont caractérisés à l’égard des sociétés demanderesses qui ont conçu et commercialisé le billet invoqué, même si elles ne peuvent pas revendiquer un monopole sur l'exploitation de billets souvenirs à l'aspect fiduciaire, les idées étant de libre parcours. En effet, s'agissant du billet incriminé « Carcassonne » et du verso du billet « Saint Malo », indépendamment des caractéristiques techniques propres à un billet revendiquant l'apparence d'un vrai billet de banque, la société défenderesse, concurrente directe, a repris, sans que cela soit justifié par une quelconque nécessité technique, les caractéristiques du billet invoqué, s'agissant du positionnement des diverses mentions, du graphisme, du choix des illustrations, quasiment identiques, intégrées et positionnées de la même manière, et de la numérotation des séries. Cette reprise quasi à l'identique des caractéristiques techniques et esthétiques du billet souvenir, même si elles ne sont pas protégeables par le droit d'auteur, génère un risque évident de confusion dans ce marché de niche, nonobstant le choix d'un code couleur différent et l'apposition de la marque BILLET ROYAL, d'autant que le produit copié a eu du succès dans certaines communes touristiques. Par ailleurs, sont également caractérisés des agissements de concurrence parasitaire à l’égard de la société qui a commercialisé le billet invoqué. Il est démontré que la conception et le lancement de ce billet sont le fruit d'un savoir-faire et d'investissements caractérisant une valeur économique individualisée, dont la société défenderesse a tenté de tirer profit de manière indue.

En ce qui concerne le préjudice subi, il doit être tenu compte de l'absence de commercialisation des billets incriminés sur le territoire français, du fait d'une retenue en douane, bien que ces produits, en provenance de Chine, aient été proposés à la vente et fait l'objet de commandes. Les sociétés demanderesses ne peuvent donc revendiquer aucun préjudice commercial, mais seulement un préjudice moral.

Cour d'appel de Paris, pôle 5, 1re ch., 29 mars 2023, 20/17992 (D20230017)
Oberthur Fiduciaire SAS, Euro Vending Company SARL et Euro Banknote Memory SAS c. Fonderie Saint Luc depuis 1886 SAS
(Confirmation partielle TJ Paris, 3e ch. , 2e sect., 4 sept. 2020, 18/01381, 21/00955)

[1] Une proposition de loi portant réforme de la preuve de l’originalité de l’œuvre a été récemment présentée par plusieurs sénateurs (proposition de loi n° 860, enregistrée au Sénat le 6 juillet 2023). Son article unique modifie l’article L. 112-1 du CPI de la manière suivante : « Les dispositions du présent code protègent les droits des auteurs sur toutes les œuvres de l’esprit originales, quels qu’en soient le genre, la forme d’expression, le mérite ou la destination » et ajoute un second alinéa : « Il appartient à celui qui conteste l’originalité d’une œuvre d’établir que son existence est affectée d’un doute sérieux et, en présence d’une contestation ainsi motivée, à celui qui revendique des droits sur l’œuvre d’identifier ce qui la caractérise. ». L’objectif est de rééquilibrer le partage de la charge probatoire lorsque l'originalité d'une œuvre est contestée en justice. Pour plus de développements, se reporter au présent PIBD à la page I-3.