Jurisprudence
Dessins et modèles

Contrefaçon d’un modèle communautaire de scooter de plongée et des brevets relatifs à cet engin - Validité de la saisie-contrefaçon réalisée dans un salon professionnel et du constat d’huissier sur le démontage de l’engin saisi

PIBD 1209-III-7
TJ Paris, 25 mai 2023

Validité du modèle communautaire (oui) - Nouveauté (oui) - Antériorité de toutes pièces - Divulgation par le titulaire - Produit commercialisé antérieurement - Brevets étrangers - Caractère individuel (oui) - Impression globale - Utilisateur averti - Caractère fonctionnel - Recherche esthétique et ornementale

Validité de la saisie-contrefaçon (oui) - Saisie-contrefaçon dans un salon professionnel - Personne assistant l’huissier - Conseil en propriété industrielle - Saisie-réelle - Prototype - Secret industriel - Requête - Traduction des brevets -  Validité du constat d’huissier (oui) - Démontage du produit saisi - Lieu du constat - Personnes accompagnant l’huissier - Salariés du requérant - Saisie-contrefaçon déguisée (non) - Expertise

Contrefaçon du modèle communautaire (oui) - Actes commis en France - Transit - Importation - Salon professionnel - Reproduction des caractéristiques - Preuve - Saisie-contrefaçon - Impression visuelle globale

Contrefaçon des brevets européens (oui) - Preuve - Saisie-contrefaçon - Constat d'huissier - Essais - Reproduction des caractéristiques des revendications - Actes commis en France - Importation - Offre en vente - Prototype - Salon professionnel - Réseau social

Préjudice économique - Manque à gagner - Bénéfices tirés des actes incriminés - Préjudice moral - Prix inférieur - Banalisation de la technologie et du modèle - Provision - Droit d'information - Interdiction - Rappel des circuits commerciaux - Publication de la décision de justice - Succès du salon professionnel

Texte
Modèle n° 002077206-4 de la société Cayago Tec
Texte
Brevet n° EP 2 945 856 de la société Cayago Tec
Texte
Produit "Stingray" de la société Actividad Nautica Balear
Produit "Stingray" de la société Actividad Nautica Balear
Texte
Produit "Divejet" de la société Actividad Nautica Balear
Produit "Divejet" de la société Actividad Nautica Balear
Texte

Le modèle communautaire revendiqué porte sur un appareil de sport nautique présentant une conception plate, avec une proue entièrement arrondie évoquant la pointe d’une navette spatiale, les poignées étant intégrées dans la forme carénée de la proue.

La société poursuivie en contrefaçon soutient que ce modèle est dépourvu de nouveauté dans la mesure où la société demanderesse, cessionnaire du modèle, aurait elle-même divulgué, sept ans avant la date de dépôt, un appareil de sport identique, comme cela ressortirait de son catalogue de vente de l’époque. Or, ce produit diffère du modèle invoqué non seulement s’agissant de la forme de la partie supérieure, mais encore s’agissant des poignées de commande (poignées verticales évoquant des manettes de jeu vidéo sur le modèle antérieur ; poignées arrondies intégrées à la coque, dont le modèle invoqué épouse la forme incurvée). Ces différences ne sont ni insignifiantes ni imperceptibles. L’appareil opposé ne constitue donc pas une antériorité de toutes pièces destructrice de nouveauté. Il en est de même de deux autres antériorités succinctement évoquées, à savoir un brevet américain et une demande de brevet allemand, qui ne divulguent que des figures en 2D et des coupes internes qui ne permettent pas d’établir, avec la précision requise pour l’analyse, l’existence d’antériorités de toutes pièces.

Le modèle communautaire revendiqué présente également un caractère individuel. L'utilisateur averti s’entend, en l'espèce, d’un consommateur qui pratique des sports nautiques, utilise et a de l’intérêt pour les appareils permettant la pratique de cette discipline. Il est doté d’un certain degré de connaissance et son attention est assez élevée, étant sensible aux détails du produit et à son aspect hydrodynamique. La société défenderesse se prévaut de la même antériorité que celle présentée dans le cadre de l’examen de la nouveauté, à savoir l’engin nautique commercialisé antérieurement par la société demanderesse. Or, ainsi qu’il a été précédemment souligné, l’examen des deux produits en cause conduit à relever des différences importantes de nature à créer chez l’utilisateur averti une impression visuelle d’ensemble distincte. Cela tient, en premier lieu, à la ligne générale des deux produits dont les profils sont différents. En outre, les poignées, dont il a été souligné précédemment la grande différence, n’ont pas une forme exclusivement dictée par leur fonction technique. Si elles doivent permettre à l’utilisateur d’avoir une bonne prise en main du produit pour le manœuvrer, leur forme, qui s’apparente à celle d’une manette de jeu vidéo dans le produit antérieur et qui suit les lignes arrondies du carénage dans le modèle invoqué, répondent bien à une préoccupation au moins partiellement esthétique et ornementale.

Le modèle communautaire est déclaré valable si bien que l’ordonnance autorisant la saisie-contrefaçon sur son fondement, ainsi que sur la base de deux brevets européens, dont la validité n'est pas contestée, ne peut être remise en cause de ce seul fait.

Selon la société défenderesse, l’ordonnance de saisie-contrefaçon n’autorisait pas l’huissier de justice à procéder au démontage des produits allégués de contrefaçon sur le lieu de la saisie, si bien que le procès-verbal de constat d’huissier et le rapport d’expertise consécutif devaient être annulés. Selon elle, l’huissier de justice, ainsi que le conseil en propriété industrielle l’assistant, auraient outrepassé leur mission en démontant l’appareil dans un lieu différent du stand et dans la continuité des opérations de saisie-contrefaçon, alors que l’ordonnance ayant autorisé les opérations ne mentionnait que des manipulations et des prises de vues. Elle arguait ainsi d’un détournement de la procédure de saisie-contrefaçon, les constatations effectuées par la suite sur l’appareil à l’étude de l’huissier se rattachant nécessairement aux opérations de saisie et constituant ainsi un second procès-verbal de saisie-contrefaçon.

Si l’ordonnance de saisie-contrefaçon n’a pas mentionné qu’elle autorisait l’huissier de justice à procéder aux découpes/montage et démontage des produits allégués de contrefaçon sur le lieu de la saisie, s’agissant d’un salon exposé à la vue du public, cela n’est pas de nature à priver la société requérante de la possibilité d’y procéder en dehors de ce contexte précis et sous réserve que toutes les garanties soient prises pour assurer la traçabilité du produit. En effet, un raisonnement contraire priverait la requérante de la possibilité de rapporter une preuve de la contrefaçon qui peut être rapportée par tout moyen. Par ailleurs, la requête, à laquelle il a été fait droit, précisait que la saisie réelle devait justement permettre à la requérante d’accéder aux parties non visibles de l’appareil. La société demanderesse pouvait sans requérir d’autorisation judiciaire supplémentaire, soumettre à analyse les produits régulièrement appréhendés dont un exemplaire, mis sous scellé, lui a été remis, à condition, pour préserver la force probante de cette analyse, de garantir l’intégrité du produit en procédant au démontage en présence constante de l’huissier chargé de briser puis de reconstituer les scellés. Le procès-verbal de constat dressé par l’huissier, n’est donc pas une saisie-contrefaçon déguisée et demeure distinct de celui de la saisie-contrefaçon dont les opérations se sont déroulées en un lieu et à un horaire différents. La société demanderesse était également en droit de faire procéder à une expertise amiable du produit saisi, sous réserve de prendre toutes les mesures pour assurer la traçabilité et préserver la valeur probante de l’analyse. En l’espèce, l’huissier de justice est intervenu pour constater l’intégrité des scellés, les briser et les apposer à nouveau à l’issue des opérations d’expertise, et en a dressé procès-verbal. Aucune atteinte à l’intégrité du produit n’est démontrée.

En outre, il ressort du procès-verbal de saisie-contrefaçon que certains produits saisis par l’huissier étaient présents sur le salon et exposés au public, la société défenderesse ayant par ailleurs, avant l’ouverture des portes de l’évènement, annoncé la commercialisation à venir des produits en France et ouvert des précommandes sur Facebook. Il ne s’agit donc pas de prototypes couverts par le secret industriel. Enfin, en vertu des dispositions de l’article L. 614-7 du CPI, c’est le texte du brevet européen rédigé dans la langue de procédure devant OEB qui fait foi, sa traduction en français ne devant être fournie qu’à la demande du prétendu contrefacteur ou de la juridiction saisie. Dès lors, la société défenderesse ne peut utilement invoquer ce défaut de communication spontanée de la traduction avant les opérations de saisie-contrefaçon, étant souligné qu’elle n’a pas engagé de référé-rétractation à l’encontre de l’ordonnance ayant autorisé la saisie-contrefaçon et n’invoque aucun grief.

L’un des scooters sous-marins saisis constitue la contrefaçon du modèle communautaire revendiqué. S’il ressort du procès-verbal de saisie-contrefaçon que cet engin nautique n’a pas été exposé sur le stand, à la vue du public, il était néanmoins bien présent sur le salon. Or, la société défenderesse n’établit pas qu’il avait vocation à être livré à Monaco et ne justifie nullement avoir régularisé une déclaration douanière de produit en transit. L’importation du produit en France est donc caractérisée.

Or, cet appareil nautique reproduit les caractéristiques du modèle communautaire revendiqué, tant en ce qui concerne la forme assez plate avec un élargissement de la proue, une forme montante de la partie supérieure et un tracé plutôt rectiligne des lignes, la présence de trois orifices à la poupe avec une hélice, que la forme des poignées, intégrées dans la proue et de forme arrondie. Les différents modèles qui ont pu être examinés dans le cadre de la présente affaire et la variété de lignes retenues démontrent que le profil de ces engins n’est pas imposé par des contraintes fonctionnelles telles qu’elles rendraient nécessaire, pour de bonnes conditions hydrodynamiques, d’adopter très exactement la ligne générale suivie par le modèle invoqué. La différence, alléguée, de tracé des lignes - en V allant de la partie supérieure de la machine à la poupe sur l’engin saisi, plus parallèle sur le modèle invoqué -  n’apparaît pas de nature, à la supposer établie, à modifier l’impression globale d’ensemble que peut avoir l’utilisateur averti. La bande, les logos et les couleurs qui viennent agrémenter le produit fini pour le personnaliser sont indifférents, les ressemblances soulignées étant de nature à produire sur l’utilisateur averti une impression visuelle similaire.

L’autre scooter sous-marin saisi reproduit les caractéristiques des revendications principales des deux brevets européens dont la société demanderesse est titulaire et en constitue la contrefaçon. Les inventions couvertes par ces brevets sont relatives à des véhicules nautiques composés d’une coque qui présente un canal d'écoulement dans lequel un dispositif d'accélération d'eau commandé par un moteur, en particulier une hélice, est associé. Le premier brevet invoqué entend améliorer les systèmes antérieurs en proposant un engin offrant une dynamique de conduite élevée tout en permettant un fonctionnement sûr, grâce à la présence, dans la coque, d’un espace de mise en eau en communication avec l'environnement par le biais d'ouvertures de passage d'eau, en particulier d'ouvertures d'entrée et de sortie d'eau. Le second brevet porte sur un véhicule nautique du même type mais qui se caractérise par un haut niveau de confort de l’utilisateur. Ce but est atteint en installant deux accumulateurs d’énergie dans la coque, des deux côtés du plan longitudinal médian. 

Selon les termes du procès-verbal de saisie-contrefaçon, l’engin incriminé comporte bien une coque composée d’une partie supérieure et d’une partie inférieure ainsi que deux poignées de commande permettant de le manœuvrer. Cette description permet également d’établir l’existence d’un canal d’écoulement, ce qui est corroboré par le procès-verbal de démontage du produit. Le procès-verbal de saisie-contrefaçon, ainsi que les photographies en annexe, permettent ainsi de retenir la présence d’un dispositif d’accélération d’eau associé à ce canal, par l’existence d’une hélice et d’un moteur relié à des batteries. Enfin, la délimitation de deux zones partielles, l’une contre l’autre par sections, dans l’espace de mise en eau, délimitées par le canal d’écoulement, apparaît clairement sur les photographies, ce qui est conforté par le procès-verbal de démontage qui fait état de la présence de deux cylindres de couleur verte situés de part et d’autre du canal d’écoulement jusqu’à hauteur du moteur.

La société défenderesse ne peut être suivie lorsqu’elle estime que l’existence d’un courant d’eau à l’intérieur de la coque, circulant entre les ouvertures avant et arrière et servant notamment à refroidir les éléments électriques de l’engin, n’est pas démontrée. Il y a lieu de rappeler que la contrefaçon pouvant être prouvée par tout moyen, un rapport d’expertise amiable peut valoir à titre de preuve dès lors qu’il est soumis à la libre discussion des parties, ce qui est le cas en l’espèce. Or, il résulte des constatations faites par l’expert à la suite des différents tests qu’il a réalisés, que l’eau ressort par le bas de l’engin et par les ouvertures latérales lorsqu’elle est injectée par les ouvertures situées vers l’avant, par les ouvertures avant lorsque l’eau est injectée par les ouvertures arrières, et par l’arrière, autour du tunnel de propulsion et en deux endroits par l’avant, lorsque l’eau est injectée par les ouvertures avant en position horizontale. Les vidéos prises au cours de ces essais permettent de constater l’abondance de l’écoulement de l’eau dans ces diverses hypothèses. L’absence de cloisonnement étanche entre l’avant et l’arrière de l’engin est également confirmée par le démontage du produit. Quant aux revendications dépendantes des deux brevets invoqués, qui ne font pas formellement l’objet de discussions, elles sont également reproduites.

Enfin, il ressort du procès-verbal de saisie-contrefaçon que l’engin litigieux a été présenté au public sur le stand tenu par la société défenderesse lors d’un salon professionnel sur le yachting. Par ailleurs, plusieurs captures d’écran de la page Facebook de cette société indiquent la possibilité de précommander le produit incriminé et de récupérer la commande en France, et invitent les consommateurs, en faisant référence au salon, à se renseigner sur les offres spéciales de lancement en Europe, une page du catalogue avec la photographie du produit et son prix étant également publiée. Ces différentes publications contredisent les dires de la société défenderesse sur le caractère de prototype, non commercialisé, de son produit. Il est donc établi qu’elle a commis, en France, des actes d’importation, d’offre, de mise dans le commerce et de vente de produits contrefaisants.

Tribunal judiciaire de Paris, 3e ch., 1re sect., 25 mai 2023, 20/00140 (D20230021)
Cayago Tec GmbH c. Actividad Nautica Balear SL