Action en contrefaçon sur le fondement du droit d'auteur - Recevabilité (non) - Protection au titre du droit d'auteur (non) - Originalité - Caractère fonctionnel - Combinaison d'éléments connus - Genre - Recherche esthétique - Effort de création - Attestation du créateur - Physionomie propre - Choix arbitraires - Empreinte de la personnalité de l'auteur
Validité du modèle (oui) - Nouveauté - Divulgation par le titulaire - Modèles antérieurs différents - Caractère propre - Observateur averti - Impression visuelle d'ensemble
Contrefaçon du modèle (non) - Caractère apparent - Pièce d’un produit complexe - Reprise de caractéristiques banales - Impression visuelle d'ensemble
Concurrence déloyale (non) - Relations d’affaires - Ancien fournisseur - Situation de concurrence - Produits différents - Copie servile - Risque de confusion - Apposition de la marque du défendeur - Vente à prix inférieur - Parasitisme (non) - Preuve des investissements - Moules de fabrication des produits
La société demanderesse est irrecevable en son action en contrefaçon de droits d'auteur, pour défaut d'originalité de l’œuvre. Elle revendique une semelle de chaussure, composée notamment d’une semelle d’usure au gabarit très asymétrique en aspect « gomme » de couleur miel foncé, d’un bonbout (dernière épaisseur du talon) faisant apparaitre cinq ronds creusés et des striures en diagonale et d’une lisse (face latérale qui constitue le pourtour de la semelle) arrondie.
La protection par le droit d’auteur suppose que l'auteur ait été animé, dans la conception de l'œuvre, du souci de lui donner une valeur nouvelle dans le domaine de l'agrément, et séparable du caractère fonctionnel de l'objet envisagé. Selon la Cour de justice de l’Union européenne[1], la circonstance qu'un modèle génère un effet esthétique ne permet pas, en soi, de déterminer si ce modèle constitue une création intellectuelle reflétant la liberté de choix et la personnalité de son auteur. Aussi, le fait que des modèles génèrent, au-delà de leur objectif utilitaire, un effet visuel propre et notable du point de vue esthétique n'est pas de nature à justifier qu'ils soient qualifiés d'œuvres protégeables au titre du droit d’auteur.
En l’espèce, la forme asymétrique de la semelle s'explique par celle de la voûte plantaire, et est ainsi imposée par la fonction du produit. Certaines caractéristiques revendiquées sont déjà présentes sur des modèles antérieurs, telles que les ronds creusés, imitation de clous et les striures apposées en diagonale sur le bonbout. D’autres relèvent du fonds commun de la chaussure, comme le rond creusé dans lequel est inscrite la pointure. Il en résulte qu'à l'exception du dessin, sous la partie avant du pied, composé de plusieurs lignes de signes géométriques et typographiques (&, €, $, £, §, % ...), les éléments constituant la semelle ne peuvent en eux-mêmes revendiquer une originalité. Cependant, cette superposition de signes ne traduit pas un parti pris esthétique ni ne révèle un effort créatif particulier.
La société demanderesse ne justifie pas plus d'un effort créatif quant à la combinaison des éléments constituant la semelle, dont elle ne peut se dispenser même si cette combinaison ne se retrouve pas à l'identique dans d'autres chaussures. Elle n'indique pas l'identité du créateur de la semelle, ne verse pas d’attestation décrivant la démarche qu'il a suivie pour parvenir à la créer et ne produit aucun croquis relevant de ce travail de création. L'association d’un aspect très fin de l’avant pied avec un talon de type bottine - courant dans sa disposition - n'apparaît pas révélatrice d'originalité, la société demanderesse ne pouvant la déduire de la forme de la chaussure légère à laquelle serait associée sa semelle, par opposition aux chaussures de type fermé auxquelles seraient destinées les autres semelles présentant certaines caractéristiques identiques. Il n'apparaît ainsi pas que la combinaison des éléments connus, combinés entre eux dans cette semelle lui confère une physionomie qui porte l'empreinte de la personnalité de son auteur et soit révélatrice de choix arbitraires manifestant l'expression de sa sensibilité.
En revanche, le modèle de semelle déposé est protégeable au titre du droit des dessins et modèles. Le modèle déposé antérieur de la société demanderesse ne constitue pas une auto-divulgation de ce modèle, avec lequel il présente des différences notables (motifs décoratifs différents sous la partie avant, absence de tranche plus claire dans l’épaisseur du talon, lisse moins arrondie). Le modèle d’une société tierce présente également des différences très visibles (talon plus épais, rectangle en partie centrale) et n’est pas destructeur de la nouveauté du modèle invoqué. En ce qui concerne le caractère propre, la société défenderesse fait état d'antériorités prises globalement, sans procéder à la comparaison détaillée de chacune de ces pièces avec le modèle en cause. La combinaison des différents éléments constituant le modèle produira sur l'observateur averti (professionnel de la chaussure ou connaisseur du marché de la chaussure) une impression d'ensemble différente.
Les semelles incorporées dans les sandales commercialisées par la société défenderesse ne constituent pas la contrefaçon de ce modèle. Les motifs fantaisistes présents sur la partie supérieure du modèle invoqué ne figurent pas sur celle des semelles arguées de contrefaçon, marquées par des marbrures avec au centre un quadrillage irrégulier. Or, ces motifs restent visibles après avoir été incorporés dans le produit plus complexe qu'est la chaussure et vont être regardés par l'observateur averti, qui retournera notamment les chaussures pour les examiner. Au vu de la place importante occupée par ces signes, l’observateur averti aura une impression visuelle d'ensemble différente des deux semelles.
Par ailleurs, il n'accorde qu'une attention limitée aux éléments qui sont totalement banals et communs à tous les exemples du type de produit en cause et se concentre sur les caractéristiques qui sont arbitraires ou qui diffèrent par la forme. Or, la plupart des éléments dont la reprise est dénoncée sont répandus dans le domaine de la semelle de chaussure (rond creusé portant en relief la pointure de la chaussure, forme ovale située en dessous au centre, talon « bottier » composé de striures et de petits cercles, avec un empiècement de cuir). Du fait de leur emprunt au fond commun de la maroquinerie, leur reprise ne suffit pas à caractériser la contrefaçon.
La société demanderesse est également déboutée de ses demandes au titre de la concurrence déloyale. Les deux sociétés ne s'adressent pas à la même clientèle et n'utilisent pas les mêmes réseaux de distribution. En effet, la société demanderesse fabrique des semelles qu’elle vend à des distributeurs, alors que la société défenderesse commercialise des chaussures et accessoires.
Les semelles sont visibles au moment de l'acte d'achat, l'utilisateur final pouvant retourner les chaussures pour les examiner, et apprécier l'aspect général qu'elles contribuent à donner à la chaussure, comme le confort et la souplesse qu'elles apportent. En l’espèce les semelles des chaussures commercialisées par la société défenderesse ne reproduisent pas les motifs particuliers figurant sur la moitié supérieure de la semelle invoquée, et les autres éléments dont la société demanderesse dénonce la reprise font partie du fond commun de la semelle, de sorte que le risque de confusion n'est pas suffisamment établi. De plus, il ne peut être reproché à la société défenderesse d'avoir recherché des semelles à des prix inférieurs à ceux proposé par la société demanderesse, son ancien fournisseur.
Cour d’appel de Versailles, 12e ch., 30 mars 2023, 21/03995 (D20230019)
Vêtir SAS c. La Semelle Moderne SAS
(Confirmation partielle TJ Nanterre, 1re ch., 18 mars 2021, 18/09460)
■ Protection des semelles de chaussures par le droit d’auteur et/ou le droit des dessins et modèles
Sur le sujet, voir notamment les décisions suivantes :
- CA Nancy, 1re ch. civ., 6 mai 2019, Einstein Shoes BV et al. c. Chaussea SAS et al., 17/02479 (D20190020) (protection d’une semelle de basket au titre du droit d’auteur) :
« […] il apparaît que cette conception de semelle est peu répandue en tant que telle ; en effet, si certains modèles de semelles comportent également un ou deux pivots à des endroits sensiblement voisins de ceux du dessin de Ron Janssens, que d'autres comportent également des parties quadrillées voire une semelle intégralement quadrillée, aucune de celles présentées comme éléments de comparaison, ne comporte une grille en diagonale, dont les sommets de formes comportent un point, ce qui lui donne un caractère différent ; enfin et surtout, la semelle est divisée en plusieurs zones (trois à l'exception des côtés) dont la répartition est novatrice et dont la dernière zone (talon) se divise en formes triangulaires disposées en 'queue de paon' ; il en résulte la preuve du caractère original de cette œuvre de l'esprit, ce qui permet d'en solliciter la protection » ;
- CA Paris, pôle 5, 2e ch., 20 janv. 2017, Shoes Unlimited BV c. Compagnie européenne de la chaussure SA, 16/00220 (D20170006) (absence de validité d’un modèle communautaire portant sur une semelle utilisée pour un bottillon) :
« Considérant qu'il résulte de ces éléments, que le dessin du dessous de la semelle revendiqué est exclusivement imposé par ses fonctions techniques et que l'impression globale produite par la tranche de la semelle revendiquée ne diffère pas de celle produite par la tranche de la semelle des modèles antérieurs étant précisé que l'ajout d'un contrefort incurvé sur l'arrière de la semelle de la société Shoes Unlimited, dont la fonction au demeurant est en considération de son appellation par l'appelante elle-même également technique, et qui n'est nullement déterminant de l'apparence de la tranche de la semelle dont il s'agit, n'est pas susceptible de faire varier cette impression globale produite sur l'utilisateur averti, soit en l'espèce sur le grand public s'agissant de semelles de chaussures » ;
- CA Paris, pôle 5, 1re ch., 21 mai 2014, Pataugas c. Celtat et al., 12/22080 (D20140115 ; Propr. intell., 53, oct. 2014, p. 443 et 450, note de P. de Candé) (protection d’une semelle de botte « Ride » à titre de modèle et au titre du droit d’auteur) :
« Sur la protection au titre du droit des dessins et modèle
[...]
Qu'il sera rappelé que les premiers juges ont exactement retenu que l'observateur averti est un utilisateur doté d'une vigilance particulière ; qu'il s'agit en la cause de toute personne susceptible d'acheter habituellement des chaussures prêtant attention à leurs semelles et qui possède ainsi une bonne connaissance des semelles de chaussures ;
Considérant que le modèle revendiqué présentant à la fois le dessous, y compris en perspective, et les côtés de la semelle seuls les pièces antérieures au dépôt permettant d'apprécier suffisamment cette apparence extérieure d'ensemble sont pertinentes, et il importe peu que toutes les caractéristiques du modèle représentées prises individuellement soient déjà connues dès lors qu'elles sont combinées ou agencées entre elles d'une manière différente de ce que révèlent les modèles antérieurs ;
Que si des semelles crantées ou présentant des stries sur les débords, des sillons sur le dessous, ou des formes dites de baignoire apparaissaient connues lors du dépôt, aucun des modèles opposés par les intimées ne montrent ces trois caractéristiques de manière combinée, les modèles présentés dans leurs conclusions dissociant en particulier ainsi que le relève l'appelant les semelles à débords des dessous de semelle, et il ressort de l'examen des pièces produites qu'aucune semelle antérieure ne présente la même physionomie ;
Qu'en réalité, l'impression visuelle d'ensemble du modèle présente un caractère propre, permettant de le distinguer des semelles antérieures, les documents versés aux débats montrant la diversité des formes de semelles possibles, avec débords striés ou dessous à stries parallèles horizontales, et d'effets pouvant être produits au plan visuel sur un utilisateur averti ; que le jugement entrepris sera, en conséquence, confirmé en ce qu'il a rejeté la demande en nullité du modèle de semelle RIDE ;
Sur la protection au titre du droit d'auteur
[...]
Mais considérant qu'il ressort de l'examen auquel la cour s'est livrée des pièces opposées par les intimées que non seulement la semelle RIDE présente une physionomie propre, comme ci-dessus retenu, mais qu'elle traduit également un parti pris esthétique par ses choix d'apposition d'une ornementation fantaisie, contrastant avec un aspect plus masculin comme invoqué par l'appelante, d'une forme en baignoire, de débords évoquant une symétrie et de compartiments géométriques pour le dessous, qui relèvent incontestablement d'un effort créatif empreint de la personnalité de son auteur » ;
- TGI Paris, 3e ch., 2e sect., 11 oct. 2013, Pataugas SA c. Selection Shoes et al., 12/04938 (D20130241) (absence de validité d’un modèle de semelle de chaussure « Boost ») :
« Or, les cinq reproductions du modèle se trouvant sur la notice n° 07/3967 versée aux débats, si elles permettent effectivement de vérifier qu'il s'agit d'une semelle en gomme qui déborde sur l'avant avec une coque en caoutchouc cousue par une surpiqûre et dont le dessus est crêpé, ne montrent clairement ni le nombre de stries, ni leur hauteur, ni la dimension de l'arc de cercle que la base de la semelle est censée former.
De surcroît, les exemples produits par la société SELECTION SHOES reproduisent les uns et les autres des caractéristiques, sinon semblables, du moins similaires à celles de la semelle BOOST telles qu'elles viennent d'être définies.
[…]
En effet, si certaines différences relevées par la société PATAUGAS ne sauraient être contestées, telles que les stries qui ne seraient pas apposées de la même façon ou un embout pas tout à fait identique ou absent, force est de constater qu'elles sont toutes en gomme, qu'elles débordent sur l'avant avec une coque en caoutchouc laquelle est cousue par une surpiqûre ton sur ton, et présentent toutes des stries verticales.
Ainsi, la semelle revendiquée produit la même impression d'ensemble sur l'utilisateur averti que ces semelles antérieures. Ne présentant aucun caractère propre, le modèle dont s'agit sera donc annulé. » ;
- TGI Paris, 3e ch., 1re sect., 11 sept. 2012, Pataugas SA c. Humeau Beaupreau SAS, 11/02168 (D20120252) (protection d’une semelle de botte « Ride » à titre de modèle) :
« En conséquence et s'il est évident que les stries sous la semelle ont un caractère fonctionnel, leur dessin peut être varié et n'est pas imposé par la fonction de sorte que le modèle RIDE est valable. » ;
- TGI Paris, 3e ch., 3e sect., 11 janv. 2013, Deckers Outdoor Corporation et al. c. Verotrade SARL et al., 12/15186 (D20130146) (protection d’une semelle de botte fourrée à titre de modèle communautaire) :
« Outre que les défendeurs ne produisent aucun modèle déjà divulgué qui serait de nature à produire la même impression globale, le tribunal relève que pour l'utilisateur averti, consommatrice de chaussures, tant la semelle qui comprend un cercle entouré de traits spécifiques formant une sorte de soleil et en haut un cercle entouré de deux traits que les représentations de la botte qui est constituée d'une couture apparente en relief qui se termine par un petit rectangle, de la superposition pour la fermeture d'une extrémité sur l'autre faisant ressortir l’intérieur de la botte et d'un boulon caractérisent le caractère individuel. » ;
- CA Paris, 4e ch., sect. A, 20 juin 2007, La Semelle Moderne SAS c. Artimex et al., 06/13801 (D20070079) (protection de plusieurs semelles de chaussures au titre du droit d’auteur et à titre de modèles) :
« Que les sociétés VGM et ARTIMEX ne sont pas davantage fondées à soutenir que les dessins apposés sur le dessous des semelles seraient dictés par des contraintes techniques, découlant de la nécessité d'être anti-dérapantes ;
Qu'en effet, ces contraintes techniques n'ont pas dicté nécessairement le choix des formes géométriques et leur agencement qui résulte du seul arbitre de leur créateur ;
[…]
Considérant en l'espèce, s'agissant du modèle de semelle ZIP, que les modèles présentés dans divers catalogues [...] ne constituent aucune antériorité de toute pièces susceptibles de détruire la nouveauté du modèle de la semelle ZIP en ce qu'ils ne reproduisent pas dans toutes ses composantes la combinaison revendiquée soit, un bout carré arrondi symétrique, un talon carré arrondi symétrique, une épaisseur avant sur le bord dans les flancs de 8,5mm, une hauteur de talon de 29,5 mm, une cambrure formant une vague, un talon à l'extrémité relevée comportant une rainure le long de sa partie basse ;
Considérant s'agissant des modèles CARACO, PASSION et CARUSO, que ne sont pas davantage pertinents les documents produits par les sociétés VGM et ARTIMEX dès lors que les modèles NINA BLUE, MODA PELLE, AXENO, TAMARIS, NEW CONCEPT, FABS FACTORY, KIKA, CITY SHOES, RAMEUSES, REGIME, GABOR, FOCA, ne reprennent pas les principales caractéristiques des modèles opposés et en particulier un talon arrière relevé, un bout carré arrondi, une surpiqûre sur le dessus de la < semelle >, les mêmes proportions ;
Considérant de sorte, qu'aucun document versé aux débats ne constitue une antériorité de toute pièce susceptible de détruire la nouveauté des combinaisons revendiquées lesquelles ne sont pas reproduites dans toutes leurs composantes ; que les modèles de la société LA SEMELLE MODERNE, référencés ZIP, CARACO, PASSION, CARUSO, répondant donc au caractère de nouveauté et présentant un caractère propre sont protégeables au sens du Livre V du Code de la propriété intellectuelle ;
Considérant par ailleurs que, si les éléments qui composent les modèles sont effectivement connus et que pris séparément ils appartiennent au fonds commun de l'univers de la chaussure, en revanche leurs combinaisons, telles que revendiquées, dès lors que l'appréciation portée par la Cour doit s'effectuer de manière globale, en fonction de l'aspect d'ensemble produite par la combinaison des différents éléments propres à ces modèles et non par l'examen de chacun de ces éléments pris individuellement, confèrent aux modèles litigieux une physionomie traduisant un parti pris esthétique qui porte l'empreinte de la personnalité de leur auteur ; ».
■ Originalité : condition de recevabilité ou du bien-fondé de l’action en contrefaçon ?
Dans un arrêt[2] rendu également cette année dans une autre affaire, la douzième chambre de la cour d’appel de Versailles a, comme en l’espèce, confirmé la décision des premiers juges qui avaient déclaré l’action en contrefaçon de droit d’auteur irrecevable pour défaut d’originalité de l’œuvre revendiquée. Auparavant, la première chambre de la cour d’appel de Versailles avait affirmé dans une décision[3] que l’originalité était une condition de recevabilité de l’action en contrefaçon. Dans d’autres arrêts[4], elle avait conclu à l’irrecevabilité de l’action faute de caractérisation de l’originalité.
Cependant, dans une décision[5] rendue en octobre 2022, la première chambre est revenue sur sa position en considérant que l’originalité constituait une condition de fond de l’action en contrefaçon de droit d’auteur. Elle a ainsi déclaré : « Le jugement déféré sera donc confirmé en ce qu'il a retenu […] que les photographies litigieuses étaient dépourvues d'originalité sauf à rectifier le dispositif pour débouter Mme [W] de ses demandes, l’originalité n'étant pas une condition de recevabilité de l'action mais une condition de fond de son bien-fondé (par exemple Cass Com 29 janvier 2013, pourvoi n°11-27.351) ». Cette solution est conforme à celle retenue par la Cour de cassation dans un arrêt de principe[6] rendu en 2013 - auquel la cour d’appel de Versailles se réfère expressément -, et qui énonce que « l’originalité des œuvres éligibles à la protection au titre du droit d’auteur n’est pas une condition de recevabilité de l’action en contrefaçon ».
Cette jurisprudence correspond par ailleurs à la tendance actuelle des décisions des juges de première et de seconde instance. Dans une ordonnance sur incident[7] rendue en mai 2022 par le tribunal judiciaire de Marseille, le juge a déclaré : « il ne résulte d’aucun texte que l’originalité des œuvres éligibles à la protection au titre du droit d’auteur est une condition de recevabilité de l’action en contrefaçon. Si la démonstration d’une telle originalité est bien exigée, elle est une condition du bien-fondé de l’action et constitue un moyen de défense au fond ». Il en a déduit que l’appréciation de l’originalité de l’œuvre en cause échappait à la compétence du juge de la mise en état. En effet, depuis l'entrée en vigueur du décret n° 2019-1333 du 11 décembre 2019, c'est ce juge qui a compétence exclusive pour statuer sur les fins de non-recevoir en application de l’article 789, al. 6, du Code de procédure civile.
Dans une décision[8] rendue en janvier 2022 par le tribunal judiciaire de Paris, la société poursuivie en contrefaçon faisait valoir qu’en dépit de la décision rendue en 2013 par la Cour de cassation, la cour d’appel de Versailles avait jugé que l’originalité conditionnait la recevabilité d’une demande en contrefaçon de droit d’auteur. Le juge de la mise en état a cependant écarté la fin de non-recevoir que cette société soulevait pour défaut d’originalité des œuvres en cause. Il s’est référé expressément au principe énoncé par la Cour de cassation.
La cour d’appel de Paris, quant à elle, a statué de manière constante dans le même sens dans des affaires[9] qui avaient été traitées par les juges du fond. Dans la plupart d’entre elles, les premiers juges avaient examiné la question de l’originalité dans le cadre de la recevabilité de l’action. La cour d’appel a tenu à rappeler que cet examen relevait du débat au fond. Plus récemment, dans un arrêt[10] rendu en février 2023, la cour d’appel de Colmar a souligné que l’appréciation de l’originalité concernait l'étude de l'affaire au fond et ne saurait être envisagée au stade de la recevabilité de la demande en contrefaçon.
La douzième chambre de la cour d’appel de Versailles, que ce soit dans l’arrêt ici commenté ou dans son arrêt antérieur cité plus haut, semble résister à la jurisprudence dominante, même si elle ne se prononce pas expressément sur la problématique, comme a pu le faire la première chambre ou encore, récemment, le tribunal judiciaire de Nanterre. Dans un jugement[11] rendu en août 2022, ce dernier a en effet considéré que le défaut d'originalité de l'œuvre, comme la titularité des droits, affectait directement le droit d'agir à travers la qualité pour agir. Il a ajouté que ce moyen constituait une fin de non-recevoir ou une question de fond nécessaire à la caractérisation de celle-ci, l'originalité étant, non une condition de succès au fond de l'action en contrefaçon, mais un de ses prérequis et, partant, une condition de sa recevabilité.
Madeleine Bigoy et Cécile Martin
Rédactrices au PIBD
[1] CJUE, 3e ch., 12 sept. 2019, Cofemel, C‑683/17 (D20190033 ; PIBD 2019, 1124, III-439 ; JCP E, 38, 19 sept. 2019, p. 15 ; D., 32, 26 sept. 2019, p. 1759 ; D. IP/IT, oct. 2019, p. 528 ; Propr. intell., 73, oct. 2019, p. 82, P. Massot ; Europe, nov. 2019, p. 44, F. Péraldi-Leneuf ; Propr. industr, nov. 2019, p. 24, P. Greffe ; Comm. com. électr., nov. 2019, p. 28, C. Caron ; Propr. intell., 74, janv. 2020, p. 37, J.-M. Bruguière ; RTD com, janv.-mars 2020, p. 54, F. Pollaud-Dulian ; Comm. com. électr., sept. 2020, chron. 9, A.-E. Kahn).
[2] CA Versailles, 12e ch., 2 févr. 2023, Killarney SARL c. Association de l’hôpital Foch, 21/03099 (D20230004 ; PIBD 2023, 1202, III-6 ; Propr. industr., juin 2023, p. 50, J. Larrieu).
[3] CA Versailles, 1re ch., 1re sect., 27 sept. 2022, Association Les amis du virage Sud c. Légende Globale SARL et al., 20/04470. Cf. « L'originalité comme fin de non-recevoir : un jour sans fin » par X. Près, Légipresse, 412, mars 2023, p. 176.
[4] CA Versailles, 1re ch., 1re sect., 22 mars 2022, Zulma SAS c. Elior Group SA, 20/03988 ; CA Versailles, 1re ch., 1re sect., 23 mars 2021, Lovely Planet SAS c. TF1 Production SAS, 19/06924 (cités dans Légipresse, 412, mars 2023, p. 176).
[5] CA Versailles 1re ch, 1re sect., 25 oct. 2022, Mme [W] c. Diosphère Ltd, 21/01681.
[6] Cass. com., 29 janv. 2013, Interior’s SAS et al. c. Cades, 11-27.351 (D20130017 ; PIBD 2013, 980, III-1084 ; RLDI, 91, mars 2013, p. 11, L. Costes ; Propr. intell., 47, avr. 2013, p. 178, A. Lucas ; RTDCom., 2013, 290, F. Pollaud Dulian).
[7] TJ Marseille, 1re ch. - cab. 1, ord. d’incident, 3 mai 2022, Sucré Salé c. Gaillet EARL et al. (https://www.legalis.net).
[8] TJ Paris, 3e ch. 3e sect., ord. JME, 11 janv. 2022, 20/9742 (cité dans Légipresse, 412, mars 2023, p. 176).
[9] CA Paris, pôle 5, 1re ch., 16 nov. 2021, Sonia Rykiel Création et al. c. Fashion Retail SA et al., 18/20990 (D20210065 ; PIBD 2022, 1175, III-8) ; CA Paris, pôle 5, 1re ch., 29 juin 2021, Repossi SAS et al. c. Mango France SARL, 18/05368 (D20210043 ; PIBD 2021, 1167, III-6) ; CA Paris, pôle 5, 1re ch., 22 sept. 2020, Natkin Paris SAS c. Massimo Dutti France SARL, 18/10181 (D20200018 ; L'Essentiel, janv. 2021, p. 3, A.-E. Kahn) ; CA Paris, pôle 5, 2e ch., 19 juin 2020, Olivia Garden c. Coiff’idis SAS, 18/20559 (D20200011 ; PIBD 2020, 1143, III-8 ; Propr. industr., oct. 2020, chron. 8, F. Glaize ; Propr. intell., 77, oct. 2020, p. 83, P. Massot ; L'Essentiel, 10, nov. 2020, n° 113, p 9, A.-E. Kahn) ; CA Paris, pôle 5, 1re ch., 19 mars 2019, Impexit SAS c. Beau Souvenir SARL, 17/15634 (D20190012) ; CA Paris, pôle 5, 1re ch., 29 janv. 2019, Tournesol SARL c. Chanel SAS, 17/11182 (D20190005 ; PIBD 2019, 1113, III-164 ; Comm. com. électr., sept. 2019, p. 21, A.-E. Kahn) ; CA Paris, pôle 5, 1re ch., 16 mai 2017, MC Eron Ltd et al. c. Cora SAS, 16/03085 (M20170267).
[10] CA Colmar, 1re ch. civ., sect. A, 1er févr. 2023, Adam’s Consulting Sprl et al. c. Dadis SAS, 21/00635 (M20230014 ; PIBD 2023, 1202, III-3). V. aussi : CA Aix-en-Provence, 2e ch., 20 sept. 2018, Comptoir Électrique Français et al. c. Comptoir Général d’Éclairage SA, 15/13706 (D20180068). Cette décision est notamment citée dans un rapport du CSPLA, en date du 15 décembre 2020, qui conclut qu'il paraît acquis que l'originalité n'est pas une condition de recevabilité de l'action en contrefaçon, mais relève au contraire du débat au fond (rapport intitulé « La preuve de l’originalité », par J.-A. Bénazéraf et V. Barthez, p.17).
[11] TJ Nanterre, 1re ch., 30 août 2022, 21/06240 (cité dans Légipresse, 412, mars 2023, p. 176).