Jurisprudence
Brevets

Absence de rétractation et de modification d’une ordonnance de saisie de pièces liées à une procédure en contrefaçon de brevets essentiels aux normes de télécommunications mobiles initiée aux États-Unis

PIBD 1199-III-2
TJ Paris, 13 septembre 2022

Rétractation de l'ordonnance autorisant la saisie (non) - 1) Motivation de la dérogation au principe du contradictoire (oui) - Risque réel de dépérissement des preuves - Obligation de conservation des pièces électroniques - Droit nord-américain - 2) Déloyauté dans l’exposé des faits (non) - 3) Motif légitime (oui) - Assignation au fond par le saisissant - 4) Légalité et proportionnalité de la mesure (oui) - Mesures circonscrites dans le temps et dans leur objet

Modification de l’ordonnance autorisant la saisie (non) - 1) Placement sous scellés des éléments saisis (non) - Placement sous séquestre provisoire déjà prononcé - 2) Exclusion des éléments couverts par le secret professionnel (oui) - Confidentialité des échanges entre avocat et client - Détermination du périmètre - Tri par un expert

Texte

Des actions en contrefaçon de brevets essentiels aux normes Gsm, Umts et Lte et une procédure de « discovery » ont été engagées aux États-Unis par le titulaire des brevets, à l’encontre d’un groupe de sociétés commercialisant des produits argués de contrefaçon suite à des négociations infructueuses en vue de parvenir à la conclusion d’un accord de licence FRAND. La filiale française de ce groupe a été autorisée, en France, à faire procéder à une saisie de documents et courriels en lien avec la procédure de contrefaçon, afin d’apporter la preuve d’un comportement abusif de la filiale française du titulaire des brevets dans la conduite de ces négociations.

La demande en rétractation de l’ordonnance ayant autorisé la saisie est rejetée.

Il se déduit des articles 145 et 493 du Code de procédure civile que le requérant, qui sollicite sur requête des mesures d'instruction, doit préciser les circonstances justifiant qu'il soit dérogé au principe du contradictoire. En l’espèce, il résulte de la motivation de la requête dirigée contre la filiale française, demanderesse à la rétractation, que l'essentiel des documents recherchés consistait en des échanges de courriels, ceux-ci pouvant être aisément détruits. La requête n’était pas fondée sur un motif artificiel de risque de dépérissement des preuves. En effet, l’obligation de conservation des pièces électroniques en vue d’un litige (notion de « litigation hold » ou « legal hold » développée en droit nord-américain), liée à la procédure de « discovery » ordonnée aux États-Unis dans le cadre des procédures en contrefaçon de brevets, s’applique à la filiale nord-américaine du groupe demandeur. Ainsi, le moyen de rétractation tiré de l'insuffisance de motivation de la nécessité de déroger au principe du contradictoire est écarté.

Il ne peut davantage être reproché à la société requérante sa déloyauté notamment en ce qu’elle n’a pas révélé au juge des requêtes l’existence de la procédure américaine de « discovery ». À la différence des dispositions relatives à la saisie-contrefaçon, celles issues du droit commun, appliquées en l’espèce, sont constamment interprétées en ce sens qu'il ne peut, alors qu'il est justifié des raisons fondant l'absence de contradictoire, être imposé de rechercher si le requérant a bien présenté tous les faits, même ceux dont le saisi conteste la teneur même.

Enfin, les mesures ordonnées sont légalement admissibles. Cette notion, visée par l'article 145 du Code de procédure civile, a été précisée par la jurisprudence, tout à la fois de manière négative, en prohibant les mesures d'investigation générale et, de manière positive, en énonçant que seules constituent des mesures légalement admissibles celles circonscrites dans le temps et dans leur objet, c'est-à-dire pour la recherche d'éléments strictement en rapport avec l'action envisagée. En l’espèce, l'ordonnance n'a autorisé que de telles recherches, au moyen de mots-clés constitués de termes spécifiques et d'identités d'individus précis, tous en strict lien avec les faits dénoncés par la société requérante.

Concernant la demande en modification de l’ordonnance ayant autorisé la saisie, il est ordonné une mesure d’expertise aux fins d’extraction des documents saisis de ceux portant atteinte au secret des correspondances entre avocat et client. Le principe de la confidentialité de tels échanges, énoncé à l'article 66-5 de la loi n° 71-1130 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques modifié par la loi n°2011-331, a pour but de préserver les droits de la défense. Son périmètre doit se déterminer en fonction de cet objectif. Il convient de faire primer le contenu du document et le lien indissociable qu'il créé avec l'exercice des droits de la défense, sur le fait qu'un document émane directement de l'avocat ou lui est adressé. Dans une grande entreprise comme la demanderesse à la rétractation, la stratégie de défense a en outre vocation à être discutée par les cadres de la direction et ceux du service juridique, de sorte que sauf à priver de tout effet utile la confidentialité des échanges entre un avocat et son client, celle-ci doit s'étendre, dans la limite de ce qui est nécessaire à l'exercice effectif des droits de la défense, à la discussion de la stratégie de défense, en aval de la correspondance échangée. Les documents internes à l'entreprise qui, à la suite d'un entretien ou d'une correspondance avec l'avocat, en reprennent les tenues ne sauraient donc faire l'objet d'une saisie.

Tribunal judiciaire de Paris, 3e ch., 3e sect., ordonnance de référé rétractation, 13 septembre 2022, 22/00651 (B20220092)
Philips France Commercial SAS c. Thales SA