Actions en contrefaçon d’un modèle communautaire et en concurrence déloyale - Recevabilité (non) - Intérêt à agir (non) - Titularité des droits sur le modèle - Déposant - Présomption de titularité - Preuve contraire - Qualité de créateur ou d’ayant droit - Création par un salarié - Directives - Qualité de cessionnaire - Fraude - Opposabilité du dépôt
Le déposant d'un modèle communautaire bénéficie d'une présomption de titularité qui peut néanmoins être renversée par la preuve contraire. La conséquence en est alors la nullité du modèle, qui ne peut toutefois être sollicitée que par le réel créateur, selon les dispositions de l’article 25, §2, du règlement (CE) n° 6/2002 du 12 décembre 2001 sur les dessins ou modèles communautaires. Il s'en déduit, en l’espèce, que la nullité du modèle d’hoverboard revendiqué au titre de la contrefaçon ne peut être prononcée faute d'être invoquée par son titulaire légitime. Néanmoins, en application du principe selon lequel « la fraude corrompt tout », s'il s'avérait que l'enregistrement avait été obtenu de manière frauduleuse par la société demanderesse, c’est-à-dire s'il avait été déposé par elle alors qu'elle n'en est pas le réel créateur et sans avoir obtenu l'accord de ce dernier pour procéder à ce dépôt, celui-ci serait inopposable aux sociétés défenderesses.
Les pièces versées aux débats mettent en évidence qu’une société américaine se présente, sur son site internet, comme ayant conçu le modèle d’hoverboard invoqué. Le modèle qu’elle commercialise en reproduit l'ensemble des caractéristiques, à savoir une planche dont la largeur diminue en son centre et comportant le dessin de deux croix dans un carré de chaque côté et des chevrons au centre, des pneus larges et crantés, un garde boue rectangulaire ne couvrant pas entièrement la roue. Si cette société n'est pas intervenue à la présente instance pour solliciter la nullité du modèle, il ressort d’échanges de mails ainsi que d’extraits d’une plateforme relatifs au projet d’hoverboard, que seuls les employés de cette société américaine ont contribué, au cours de l'année 2015, à la conception de celui-ci.
L’un des messages prouve que la société demanderesse n’est intervenue que pour le fabriquer. Elle ne démontre en aucun cas la contribution de son propre salarié qu'elle aurait détaché dans les locaux de la société américaine où il aurait conçu le modèle en cause pour le seul compte de son employeur et sous ses instructions, qui ne sont pas davantage démontrées. L’un des documents versés, relatif à la conception d’un skateboard électrique, n’établit pas qu’il a pour objet le modèle litigieux, ni que la somme versée à la société américaine concerne le paiement d’une cession des droits de propriété intellectuelle. Ce paiement pourrait tout aussi bien concerner une licence sur le modèle conçu par la société américaine.
Il en résulte que la société demanderesse n'est pas le créateur du modèle litigieux et qu’elle n'établit pas que le réel créateur lui a cédé autre chose que le droit d'exploiter ce modèle, en particulier celui de le déposer en son nom. Il s'en déduit l'existence d'une fraude et, partant, l'absence d'intérêt légitime de la société demanderesse à agir en contrefaçon de ce modèle. Elle est également irrecevable à agir en concurrence parasitaire au titre des faits distincts résultant de la copie servile du manuel d'utilisation de ce modèle.
Tribunal judiciaire de Paris, 3e ch., 3e sect., 10 mai 2022, 18/07261 (D20220048)
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