Action en contrefaçon de la demande de brevet européen - Fin de non-recevoir - Défaut d’intérêt à agir - Question de fond - Compétence du JME (oui) - Décret n° 2019-1333 du 11 décembre 2019 - Exception de procédure - Sursis à statuer dans l’attente de la délivrance du brevet - Examen de la fin de non-recevoir en priorité (oui)
Action en contrefaçon de la demande de brevet européen - Recevabilité (non) - Intérêt à agir né et actuel (non) - Actes incriminés - Programme de recherche portant sur un médicament - Recherche de financements - Offre ou utilisation de la technologie brevetée - Exception - Actes accomplis à titre expérimental
La société demanderesse, qui développe des médicaments utilisant une technologie particulière pour soigner certaines maladies graves comme le cancer, est titulaire de la demande de brevet européen intitulée « traitement et prévention des infections microbiennes ». Elle reproche à la société poursuivie en contrefaçon, qui a pour activité la recherche et le développement dans le domaine des biotechnologies, notamment en thérapie génique du microbiome, la recherche de financement dans le cadre d'un programme de recherche ayant pour objectif la mise au point d’un médicament qui reproduirait, selon elle, l’invention couverte par sa demande de brevet. Ces actes lui auraient causé un préjudice résultant de la perte d’une chance de bénéficier de financements pour son propre produit.
La société demanderesse doit être déclarée irrecevable en son action en contrefaçon faute d’un intérêt à agir né et actuel. La défenderesse invoque en effet l'exception aux droits conférés par le brevet relative aux actes accomplis à titre expérimental, visée par l'article L. 613-5 du CPI. En vertu de l’article 789 du Code de procédure civile, tel que modifié par le décret n° 2019-1333 du 11 décembre 2019, il appartient au juge de la mise en état de statuer sur la fin de non-recevoir, quand bien même il serait amené à se prononcer sur une question de fond. L’exception invoquée ne s'applique, par définition, qu'en présence d'actes de contrefaçon. S’il reviendra aux juges du fond de déterminer si les actes reprochés peuvent s'analyser en une offre ou une utilisation au sens de l'article L. 613-3 du CPI, la demanderesse reconnaît elle-même que la sollicitation de subventions auprès d’organismes privés ou publics de financement de la recherche médicale et l'obtention de telles subventions ne caractérisent pas, en soi, un acte de contrefaçon. La discussion porte donc sur le caractère expérimental des actes de recherche revendiqués à l'appui des demandes de financement, étant observé que les recherches ainsi menées n'ont pas à être totalement dépourvues de finalité économique.
L’exception d’usage à titre expérimental doit s'interpréter strictement, en distinguant entre une finalité commerciale immédiate et une finalité commerciale lointaine des actes invoqués. Seuls les actes d'exploitation de produits ou de mise en œuvre de procédés qui ne débouchent pas directement ou à brève échéance sur une offre à destination d'un client potentiel peuvent bénéficier de cette exonération. La société demanderesse ne conteste pas que le programme de recherche en cause, qui n’entrera pas en phase préclinique avant fin 2023, est encore loin de donner lieu à la commercialisation d’un médicament. Elle allègue toutefois que la société défenderesse n’a pas pour clientèle cible le patient final, mais les laboratoires pharmaceutiques et d’autres acteurs de l’industrie avec qui elle a pour objectif de conclure des accords de partenariat.
Or, elle ne verse aucun élément en ce sens. De plus, l’exception a pour finalité principale de favoriser la liberté de recherche académique et, par conséquent, le progrès scientifique, et couvre donc les actes tendant à vérifier l'intérêt technique de l'invention ou à son amélioration, y compris dans un cadre professionnel et à des fins indirectes commerciales. Dès lors, il ne peut être considéré que des actes accomplis dans le cadre d'un programme de recherche pour la mise au point de médicaments, dont il est convenu que cette finalité commerciale est encore lointaine, deviendraient contrefaisants du seul fait qu'ils sont présentés à l'appui de demandes de financement ou de recherche de partenariats non contrefaisantes en elles-mêmes.
L'argument de la société demanderesse selon lequel la perte de chance d'obtenir des financements du fait du comportement de son adversaire lui cause un dommage direct et immédiat, de sorte que les actes incriminés ne peuvent en tout état de cause être considérés comme expérimentaux, n'apparaît pas davantage pertinent. En effet, l'exception de l'article L. 613-5 ne s'applique par définition qu'à des actes portant intrinsèquement atteinte à un droit de brevet, donc susceptibles de causer un préjudice à son titulaire.
Tribunal judiciaire de Paris, 3e ch., 2e sect., ordonnance du juge de la mise en état, 11 février 2022, 21/06388 (B20220067)[1]
SNIPR Biome APS c. Eligo Bioscience SA
[1] Les décisions s’étant prononcées au fond sur l’application de l’exception des actes accomplis à titre expérimental sont, à notre connaissance, rares. Concernant celles rendues depuis une quinzaine d’années, la dérogation apportée au monopole du breveté a été, à chaque fois, écartée par les juges (Cass. com., 5 juill. 2017, Bell Helicopter Textron Inc. et al. c. Airbus Helicopters SAS, 15-20.554, B20170128, rejet du pourvoi contre CA Paris, pôle 5, 2e ch, 20 mars 2015, 13/00552, B20150026, PIBD 2015, 1030, III-435 ; TGI Paris, 3e ch., 2e sect., 22 déc. 2006, Evysio Medical Devices ULC c. Guidant France SAS et al., 06/08499, B20060219, PIBD 2007, 848, III-201 ; TGI Paris, 3e ch., 1re sect., 22 mars 2006, Valorom SA c. Max D, 03/03518, B20060220, infirmé en appel sur la contrefaçon ; CA Paris, 4e ch., sect. B, 7 oct. 2005, Agrosol SA c. Sodifag et al., 02/03956, B20050152, PIBD 2005, 819, III-685).