Jurisprudence
Marques

Contrefaçon de la marque CROIZET - Exception d’homonymie couvrant l’usage de bonne foi du nom patronymique à titre de nom de domaine mais non à titre de marque

PIBD 1191-III-3
Cass. com., 7 septembre 2022

Contrefaçon de marque - Exception d’homonymie - Usage de bonne foi du nom patronymique - 1) Reproduction - Exploitation d’un nom de domaine - Usage dans la vie des affaires - Droit de l’UE - 2) Imitation - Exploitation du signe sur des étiquettes - Usage à titre de marque

Concurrence déloyale - Usage du nom patronymique - Faute - Élément intentionnel

Texte
Marque n° 1 426 950 de la société Croizet
Texte

Pour rejeter la demande en contrefaçon par reproduction de la marque CROIZET du fait de l'usage du nom de domaine « croizet.com », la cour d’appel a énoncé que l'article L. 713-6 a) du CPI, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2019-1169 du 13 novembre 2019, qui permet à un tiers de bonne foi employant son nom patronymique d’utiliser un signe identique ou similaire à une marque enregistrée, à titre de dénomination sociale, nom commercial ou enseigne, devait s'interpréter à la lumière de l'article 6, § 1, de la directive 89/104/CEE du 21 décembre 1988. Ce dernier article dispose que le droit conféré par la marque ne permet pas à son titulaire d'interdire à un tiers l'usage, dans la vie des affaires, de son nom, pour autant que cet usage soit fait conformément aux usages honnêtes en matière industrielle ou commerciale. La cour d’appel en a conclu qu’il ne pouvait être déduit de la rédaction de l’article L. 713-6 a) que l'utilisation du nom de famille dans un nom de domaine en était exclue, s'agissant d'un usage dans la vie des affaires.

Après avoir constaté, en l’espèce, que le patronyme litigieux, utilisé dans le nom de domaine « croizet.com », constituait le nom de famille du défendeur, qui est le fondateur et gérant de la société poursuivie, la cour d’appel a retenu que ce nom de domaine avait été créé près de 17 ans avant les faits incriminés et que la société demanderesse, qui ne contestait pas qu'elle en avait connaissance - s'agissant de deux maisons anciennes de Cognac coexistant depuis de nombreuses années -, ne justifiait d'aucune difficulté jusqu'au courrier de mise en demeure adressé au défendeur visant à faire cesser l’emploi du nom isolé. Elle a constaté que les défendeurs avaient alors modifié l'usage de leur nom de domaine qui, toujours surmonté de la mention « Cognac Pierre Croizet » dans les recherches Google, redirigeait désormais les internautes vers le sous-domaine « pierre.croizet.com». La cour d'appel a pu ainsi retenir qu'il avait été fait un usage de bonne foi, par les défendeurs, du nom de famille dans la vie des affaires.

Pour rejeter la demande en contrefaçon par imitation de la marque CROIZET pour désigner des boissons alcooliques, la cour d’appel a retenu que les défendeurs, qui utilisaient, sur les étiquettes des boissons alcooliques et sur leur site internet, le nom patronymique précédé d’un prénom et accompagné le plus souvent d'un emblème spécifique, ont fait un usage de bonne foi de ce patronyme au sens de l'article L. 713-6 a) précité. En se déterminant ainsi, sans rechercher, comme elle y était invitée, si le signe incriminé n'était pas utilisé à titre de marque et sans apprécier, par conséquent, la demande au regard d'un tel usage du signe, la cour d'appel a privé sa décision de base légale.

Aux termes de l'article 1382, devenu 1240, du Code civil, tout fait quelconque de l'homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer. Il en résulte que la caractérisation d’une telle faute n’exige pas la constatation d’un élément intentionnel. Pour rejeter la demande en concurrence déloyale, la cour d’appel, après avoir énoncé que cette action ne pouvait prospérer que si le demandeur rapportait la preuve d'une faute intentionnelle dommageable, a retenu que la preuve d'un comportement fautif visant à rechercher la confusion ou à déloyalement détourner la clientèle n'était pas rapportée. En statuant ainsi, elle a violé le texte susvisé[1].

Cass. com., 7 septembre 2022, 21-12.602 (M20220227)
Croizet SAS c. Léopold C et La Maison des Pierres SARLU 
(Cassation partielle CA Paris, pôle 5, 1re ch., 17 nov. 2020, 19/00009 ; M20200259 ;
PIBD 2021, 1153, III-4)

 [1] Sur cette question, voir notamment Cass. com., 13 oct. 2021, Wolfberger - Cave coopérative vinicole d'Eguisheim SCA c. Cécile A, Jean A, Marie A et. al., 19-20.504 (M20210238 ; PIBD 2022, 1172, III-2 ; Gaz Pal, 38, 2 nov. 2021, p. 36)