Jurisprudence
Marques

Atteinte au caractère distinctif, par dilution, des marques de renommée constituées par le logo du "double chevron" Citroën

PIBD 1176-III-6
CA Paris, 14 décembre 2021

Atteinte aux marques françaises de renommée (oui) - Droit de l’UE - 1°) Risque sérieux d’atteinte - Usage dans la vie des affaires - Projet de commercialisation en France - Promotion sur un site internet accessible en France - Dépôt de marques de l’UE - 2°) Risque de lien entre les signes figuratifs - Appréciation globale - Public pertinent - Renommée exceptionnelle des marques - Caractère distinctif élevé - Produits identiques - Faible similitude visuelle et intellectuelle - Atteinte au caractère distinctif (oui) - Dilution - Profit indûment tiré de la renommée des marques (non)

Texte
Marque n° 3 422 762 de la société Automobiles Citroën
Marque n° 3 841 054 de la société Automobiles Citroën

 

Marque de l’UE n° 016 896 532 de la société Polestar Holding
Marque de l’UE n° 016 898 173 de la société Polestar Holding
Texte

La promotion de véhicules automobiles reproduisant les signes incriminés, représentant des chevrons positionnés en forme d’étoile, sur des sites internet accessibles depuis la France et rédigés pour partie en langue française, qui annoncent la commercialisation de ces véhicules dans ce pays, constitue un usage des signes dans la vie des affaires susceptible de caractériser un risque sérieux d'atteinte à la renommée des marques françaises invoquées, constituées d’un double chevron.

En revanche, l’enregistrement des signes litigieux à titre de marques de l’Union européenne, ne constitue pas un tel usage. En effet, la Cour de cassation[1] a jugé qu'au regard de la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne, la simple demande d'enregistrement d'un signe en tant que marque ne caractérise pas un usage pour des produits ou des services, de sorte qu’elle ne constitue pas un acte de contrefaçon. Une telle demande ne peut dès lors pas davantage caractériser une atteinte à une marque de renommée.

La renommée des marques invoquées est exceptionnellement élevée auprès du public visé - à savoir les consommateurs français, particuliers ou professionnels, de véhicules, dont le niveau d’attention est élevé en raison de la nature et du prix des produits -, l’intensité de leur usage étant établie et d’importants investissements en matière de publicité ayant été consentis. Le signe revendiqué est en effet apposé sur toutes les voitures de la société demanderesse depuis plus de 100 ans et elle se place en 3ème position des ventes de véhicules en France.

Il résulte de l'appréciation globale de l’existence d’un lien entre les signes en litige, en tenant compte de l'exceptionnelle renommée des marques invoquées, de leur fort caractère distinctif acquis par un usage intensif et de l'identité des produits (véhicules automobiles qu’ils soient électriques ou non), que malgré la faible similitude visuelle et intellectuelle entre les signes, il existe un risque que les signes incriminés évoquent les marques auprès du public visé. Ce risque, distinct du risque de confusion, dont la démonstration n'est pas requise en matière d'atteinte à une marque de renommée, est d’ailleurs avéré par la production de pièces révélant les commentaires d’internautes sur différents sites.

L’usage des signes incriminés entraîne une atteinte au caractère distinctif, par dilution et brouillage, des marques qui sont exploitées dans le secteur automobile, dont le nombre de constructeurs est relativement restreint. L'atteinte au caractère distinctif est suffisante à elle seule pour constituer une atteinte à la marque de renommée au sens de l'article L. 713-3 du CPI[2]. En revanche, il n’est pas démontré que les sociétés défenderesses auraient tiré profit de la renommée des marques. Elles se positionnent sur un segment de marché (véhicules exclusivement électriques haut de gamme et de luxe) différent de celui qu'occupe actuellement la société demanderesse et justifient de leurs propres investissements pour la création de leur logo, de leur charte graphique et de la promotion de leurs véhicules, dont la commercialisation envisagée en France n'a pas commencé.

Cour d’appel de Paris, pôle 5, 1re ch., 14 décembre 2021, 20/12598 (M20210299)[3]
Polestar Holding AB et Polestar Performance AB, c. Automobile Citroën SA

(Confirmation TJ Paris, 3e ch. 1re sect., 4 juin 2020, 19/08639, M20200157, PIBD 2020, 1145, III-6, avec une note de C. Martin).

 

 

[1] Cass. com., 13 oct. 2021, Compagnie Méditerranéenne des Cafés SA c. Cafés Richard SA et al., 19-20.959 (B20210070 ; PIBD 2022, 1170, III-2, note de S. Lepoutre ; D IP/IT, 11, nov. 2021, p. 537, note de N. Maximin ; Propr. industr., févr. 2022, comm. 10, p. 60, P. Tréfigny) et Cass. com., 13 oct. 2021, Wolfberger - Cave coopérative vinicole d'Eguisheim SCA c. Cécile A et. al., 19-20.504 (M20210238 ; PIBD 2022, 1172, III-2 ; Gaz. Pal., 38, 2 nov. 2021, p. 36).

[2] Il s’agit de L. 713-3 du CPI tel que modifié par l’ordonnance n° 2019-1169 du 13 novembre 2019, qui a introduit de nouvelles dispositions relatives à l’atteinte à la marque de renommée, découlant de la transposition de l’article 10 § 2 c) de la directive (UE) 2015/2436 du 16 décembre 2015.

[3] La société Citroën a également introduit, devant l’EUIPO, des actions en nullité des deux marques de l’Union européenne de la société Polestar incriminées dans le présent litige pour atteinte à ses marques françaises de renommée, en invoquant l’antériorité de ses marques. Par décisions du 30 janvier 2020, la division d'annulation de l'EUIPO a rejeté ces demandes. Par décisions du 9 juillet 2021 (aff. R 502/2020-4 et R 504/2020), la Chambre de recours de l'EUIPO a rejeté les recours. La société Citroën a interjeté appel de ces décisions, les 22 et 28 septembre 2021, devant le Tribunal de l’Union européenne (aff. T-625/21 et T-608/21 pendantes).