Jurisprudence
Marques

Atteinte à la marque de renommée TAITTINGER – Juste motif de l'usage du signe

PIBD 1135-III-5
CA Paris, 3 mars 2020

Responsabilité contractuelle  (non) - Contrat de cession de parts sociales - Manquement à une obligation contractuelle - Restrictions relatives à l’usage du nom patronymique - Opposabilité (non) - Mandat général

Atteinte à la marque de renommée (non) - Usage commercial d’un nom patronymique - Droit de l'UE - Lien entre la marque renommée et le signe litigieux - Profit indûment tiré de la renommée de la marque - Juste motif de l’usage du signe

Parasitisme (non) - Volonté de s'inscrire dans le sillage d'autrui et de profiter de ses investissements - Prestige et notoriété de la dénomination sociale et du nom commercial

Texte
Marque n° 1 426 350 de la société Taittinger CCVC
Texte

Membre de la famille Taittinger, Virginie T a cédé ses parts sociales détenues dans le groupe éponyme puis a été licenciée par la société pour laquelle elle avait travaillé pendant plus de vingt ans et qui a déposé la marque TAITTINGER dont la renommée est invoquée. Elle a alors lancé sa propre production de champagne sous la marque VIRGINIE T, les produits étant distribués par la société poursuivie.

Dans le cadre de la promotion de sa nouvelle activité professionnelle, la défenderesse a mis en avant à la fois son nom patronymique, son origine familiale et son expérience passée. Cependant, cette communication est légitime, sauf à priver la défenderesse de la possibilité d'user de son nom de famille dans le cadre de son activité et d'évoquer son parcours professionnel, alors même qu'elle n'est pas à l'origine de la rupture de son contrat de travail au sein de la société Taittinger. Elle vise à établir un rapprochement entre l’identité et l’expérience de la défenderesse et le vin de champagne commercialisé sous la marque VIRGINIE T. De ce fait, le nom Taittinger est systématiquement associé au prénom Virginie dans les noms de domaine réservés et mis à la disposition de la société défenderesse, la référence étant ainsi faite à une personne et non à une marque. Cette communication ne conduit pas en soi le consommateur moyen à établir un lien entre la marque de renommée et l’usage incriminé. Ainsi, il n'est pas établi que l'usage commercial du nom patronymique Taittinger ait porté préjudice au caractère distinctif ou à la renommée de la marque TAITTINGER ou tiré indûment profit du caractère distinctif ou de la renommée de celle-ci.

En revanche, les références directes et explicites faites par la défenderesse au champagne de marque TAITTINGER - que ce soit pour s'en distinguer ou, dans une bien moindre mesure, s'en rapprocher - traduisent une volonté de communiquer par référence à la marque de renommée et d'établir un lien dans l'esprit du consommateur concerné entre le champagne commercialisé sous cette marque de renommée et le champagne VIRGINIE T. La défenderesse et la société poursuivie ont ainsi retiré un avantage de la renommée de la marque TAITTINGER.

Toutefois, les circonstances de l’espèce constituent des justes motifs qui conduisent à écarter le grief d'atteinte à la marque de renommée. En effet, il est logique et légitime que la défenderesse, au regard de ses compétences professionnelles, ait assuré sa reconversion dans le domaine du champagne. Faire état de son nom, de son origine familiale et de son parcours professionnel la conduisait nécessairement à évoquer le champagne de marque TAITTINGER.

En définitive, si le nom de famille de la défenderesse a certainement été un atout dans le lancement de son champagne et l'a dispensée en partie des investissements qui auraient incombé à un concurrent inconnu, cet avantage a trouvé sa cause exclusive dans sa naissance et ses activités passées, et non dans la captation de la renommée de la marque TAITTINGER ou des investissements opérés pour valoriser cette marque.

Cour d'appel de Paris, pôle 5, 1re ch., 3 mars 2020, 2018/28501 (M20200061)
Taittinger Compagnie Commerciale et Viticole Champenoise SAS c. Virginie T et SELAFA MJA (Me Valérie L-T, mandataire liquidateur de la Sté BM & VT)
(Confirmation TGI Paris, 3e ch., 1re sect, 12 févr. 2015, 2014/07309, M20150631 ; sur renvoi après cassation CA Paris, pôle 5, 2e ch., 1er juill. 2016, 2015/07856, M20160363 ; Cass. com., 10 juill. 2018, K/2016/23694, M20180279, PIBD 2018, 1101, III-592 ; D, 28, 26 juill. 2018, p. 1549 ; Gaz Pal, 30, 11 sept. 2018, p. 42 ; L'Essentiel, 10 nov. 2018, p. 7, note de D. Lefranc ; D, 44, 27 déc. 2018, p. 2444, note d'A-C. Le Bras ; Propr. industr., sept. 2019, p. 32, note de J. Cayron)