Jurisprudence
Brevets

Brevetabilité des végétaux - Plante obtenue par un procédé essentiellement biologique

PIBD 1142-III-1
OEB, 14 mai 2020, avec une note

Brevetabilité des végétaux - Plante obtenue par un procédé essentiellement biologique - Poivron

Texte

La Grande Chambre de recours de l’OEB opère un revirement de jurisprudence en excluant de la brevetabilité les produits exclusivement obtenus par des procédés essentiellement biologiques. Les effets de cette décision sont toutefois modulés dans le temps pour ne s’appliquer qu’aux demandes de brevet déposées à compter du 1er juillet 2017, soit l’entrée en vigueur de la règle 28(2) CBE.

OEB, gr. ch. de recours, 14 mai 2020, G  3/19
Syngenta Participations AG c. OEB 

Titre
NOTE
Texte

Brevetabilité des plantes issues de procédés essentiellement biologiques : un ultime (et dernier ?) rebondissement

La Chambre de recours technique dans la décision T 1063/18 du 5 décembre 2018 (PIBD 2019, 1111, III-110 avec N.D.L.R. ; Propr. industr., nov. 2019, p. 25, note de F. Macrez, Brevetabilité des procédés essentiellement biologiques, saisine G3/19) avait refusé d’appliquer la nouvelle règle 28(2) CBE au motif que, eu égard à l’article 164(2) CBE, l’interprétation de l’article 53(b) CBE telle que donnée par la Grande Chambre de recours dans les affaires G2/12 et G2/13 prévalait.

Le Président de l’OEB saisit alors la Grande Chambre de recours.

En substance, il était demandé à la Grande Chambre des recours si le sens et la portée de l’article 53(b) CBE pouvait être clarifiés par le Règlement d’exécution, sans que cette clarification soit limitée a priori par l’interprétation donnée par la Grande Chambre dans une décision antérieure.

Dans l’hypothèse d’une réponse positive, la Grande Chambre était interrogée sur la validité de la règle 28(2) au regard de l’article 53(b) CBE qui n’exclut ni n’autorise explicitement la brevetabilité des plantes et des animaux obtenus par des procédés essentiellement biologiques.

Dans un premier temps, la Grande Chambre des recours, soucieuse de ne pas donner, selon ses termes, « carte blanche » au Conseil d’administration pour contourner une interprétation par les chambres de recours des dispositions de la CBE par le biais de l’adoption de nouvelles règles d’exécution, reformule les questions afin d’en restreindre le champ :

« En prenant en considération les développements subséquent aux décisions de la Grande Chambre de recours donnant une interprétation de la portée de l’exception à la brevetabilité des procédés essentiellement biologiques pour la production de plantes ou d’animaux prévue à l’article 53(b) CBE, cette exception couvre-t-elle les revendications de produits ou de produits obtenus par procédés portant sur des plantes, du matériel végétal ou des animaux, si ledit produit est exclusivement obtenu par un procédé essentiellement biologique ou si les caractéristiques du procédé revendiqué définit un procédé essentiellement biologique ? [ndlr : notre traduction] ».

Sur la recevabilité de la saisine, il convient de rappeler que le Président de l'Office européen des brevets peut soumettre une question de droit à la Grande Chambre de recours lorsque deux chambres de recours ont rendu des décisions divergentes sur cette question.

En l’espèce, la Grande Chambre de recours admet la recevabilité de la saisine du président de l’Office basée sur l’existence d’une divergence d’interprétation de l’article 164(2) de la convention sur le brevet européen entre les chambres de recours.

La Grande Chambre voit en effet une divergence d’interprétation entre la décision T1063/18 et des décisions antérieures  (par exemple T272/95, T 666/05 et T 1213/05) qui ont jugé qu'une disposition du règlement d'exécution pouvait avoir un impact sur l'interprétation d'une disposition de la CBE, quelle que soit l'interprétation particulière donnée dans une décision antérieure d'une Chambre de recours.

Il existe donc, selon la Grande chambre de recours, une divergence entre les chambres sur l'impact d'une modification du règlement d'exécution sur l'interprétation d'un article de la CBE.

Il est à noter que c’est la première fois que la Grande Chambre se prononce en ce sens pour une règle qui est explicitement contraire à une interprétation antérieure donnée par elle.

Sur l’interprétation de l’article 53(b) CBE, la Grande Chambre des recours revient sur ses décisions antérieures au motif qu’au regard des développements ultérieurs relatifs à la brevetabilité des plantes issues de procédés essentiellement biologiques, il était nécessaire d’adopter une interprétation dynamique.

Le raisonnement de la Grande Chambre s’articule en trois grandes étapes. 

À titre préliminaire, la Grande Chambre de recours prend le soin de confirmer l’interprétation retenue jusque-là de l’article 53(b), sans prendre en compte la nouvelle règle 28(2). Elle rappelle ainsi que les méthodes d’interprétations prescrites à l’article 31(1) de la Convention de Vienne (interprétations grammaticale, systématique et téléologique) ne permettent pas de conclure à l’exclusion de la brevetabilité des produits obtenus par des procédés essentiellement biologiques.

Elle écarte par la suite l’existence d’un accord subséquent au sens de l’article 31(3) (a) de la Convention de Vienne. Ainsi, ni la règle 26 CBE, ni la notice interprétative de la Commission ou les développements législatifs intervenus dans certains États membres ne sont suffisants pour constituer un accord subséquent au sens de la Convention de Vienne (Points XV et suivants).

La Grande Chambre trouve en dernier ressort une voie d’interprétation créative en retenant une approche dynamique de l’article 53(b) lu à la lumière de la règle 28(2) CBE. Elle rejette l’argument selon lequel l’adoption de la règle 28(2) CBE serait per se constitutive d’un excès de pouvoir. Pour ce faire, elle rappelle tout d’abord que les interprétations données par la Grande Chambre de recours n’ont pas de caractère définitif dès lors qu’il relève du caractère intrinsèque du développement du droit par la voie judiciaire d’être soumis d’évoluer dans le temps. Elle s’appuie pour cela sur l’article 21 du Règlement de procédure des chambres de recours selon lequel une chambre des recours doit saisir la Grande Chambre lorsqu’elle souhaite se départir d’une interprétation antérieure d’un point de droit particulier.

Elle confirme dans un second temps que l’adoption de la règle 28 ne constitue pas une violation de l’article 33 CBE ni du principe de séparation des pouvoirs. Elle constate que l’organisation des pouvoirs d’un État ne peut être transposée de manière identique à une organisation internationale. Elle souligne par ailleurs qu’une telle interprétation conduirait à priver le Conseil d’administration d’adopter toute législation secondaire. Enfin, elle constate qu’en tout état de cause, les arguments avancés en ce sens ne répondent pas à la question de droit telle que reformulée par elle.

La Grande Chambre de recours en conclut qu’il est nécessaire d’examiner les développements postérieurs à la décision G2/12 afin de déterminer si et dans quelle mesure une interprétation dynamique de l’article 53(b) s’impose. Après examen des travaux préparatoires à la règle 28(2), la rédaction de ladite règle, son adoption à une très large majorité ainsi que le fait que l’article 53(b) n’exclut pas une interprétation large de l’exception de brevetabilité, elle constate en conclusion, qu’eu égard à l’article 31(4) de la Convention de Vienne et à l’intention législative clairement exprimée des États membres, l’article 53(b) doit être interprété en ce que les végétaux ou les animaux exclusivement obtenus par des procédés essentiellement biologiques sont exclus de la brevetabilité.

Les effets de cette décision sont toutefois limités dans le temps, l’exclusion de brevetabilité ne s’appliquant, selon la Grande Chambre de recours, qu’aux demandes de brevets déposées à compter du 1er juillet 2017.

Indira Lemont-Spire
Chargée de missions au service juridique et international de l’INPI