Jurisprudence
Marques

Caractère distinctif des marques FEMME ACTUELLE et FEMME ACTUELLE SANTÉ pour désigner des magazines - Contrefaçon des marques VOICI par l’usage du titre du magazine parodique VOIRI

PIBD 1192-III-6
TJ Paris, 10 mai 2022

Validité des marques verbale et semi-figurative (oui) - Caractère distinctif - Caractère descriptif ou évocateur - Caractère arbitraire - Élément dominant - Acquisition du caractère distinctif par l’usage

Validité de la marque semi-figurative (non) - Caractère distinctif - Partie verbale descriptive - Élément purement décoratif - Acquisition du caractère distinctif par l’usage (non)

Contrefaçon des marques (non) - Usage comme titre d’une publication - Usage dans la vie des affaires - Risque de confusion (non) - Public pertinent - Identité des produits et services - Faible similitude visuelle, phonétique et intellectuelle - Caractère faiblement distinctif des marques

Contrefaçon des marques semi-figuratives (oui) - Risque de confusion - Identité des produits et services - Forte similitude visuelle et phonétique - Différence intellectuelle - Parodie - Conditions d’exploitation

Concurrence déloyale et parasitaire (non) - Imitation du titre et de la couverture de la publication - Absence de droit privatif - Risque de confusion (non)

Préjudice moral - Avilissement des marques

Responsabilité du dirigeant (non) - Faute détachable de sa fonction

Texte
Marque n° 1 547 065 de la société Prisma Media
Marque n° 3 566 884 de la société Prisma Media
Marque n° 3 622 960 de la société Prisma Media
Marque n° 3 259 141 de la société Prisma Media
Marque n° 3 114 638 de la société Prisma Media
Marque n° 3 566 883 de la société Prisma Media
Texte

Les demandes reconventionnelles en nullité de la marque verbale FEMME ACTUELLE et de la marque semi-figurative Femme Actuelle Santé pour défaut de distinctivité sont rejetées.

Concernant la marque FEMME ACTUELLE, si ce signe verbal évoque une caractéristique du produit, en particulier le public féminin visé qui se sent contemporain, le vocable « actuelle » demeure arbitraire pour désigner les produits et services visés, notamment les « journaux, livres, magazines, périodiques, revues ». En tout état de cause, la marque a acquis un caractère distinctif par l'usage constant et intensif qui en est fait depuis trente-six années. L’hebdomadaire éponyme a en effet été publié depuis 1984 sans discontinuer et vendu chaque année à plusieurs centaines de milliers d'exemplaires.

La marque Femme Actuelle Santé qui s’adresse à un même public (les lecteurs de journaux, livres et périodiques, dont ceux de la presse féminine) est également, prise dans son ensemble, distinctive, même faiblement, pour désigner notamment des « publications, journaux, périodiques, magazines, revues, livres, imprimés » et des « services d'édition et de publication de textes autres que publicitaires, de journaux, de périodiques ». En effet, si le vocable « Santé » est descriptif en ce qu'il est évocateur du contenu éditorial dédié à la santé, cet élément, qui est secondaire, ne permet pas à lui seul de priver la marque litigieuse de sa fonction d'identification de l'origine des produits et services visés.

En revanche, il y a lieu de prononcer la nullité de la marque semi-figurative Télé 2 semaines pour défaut de caractère distinctif, en ce qu’elle désigne notamment les « publications, journaux, périodiques, magazines, revues, livres, imprimés ». Tant l'élément d'attaque « Télé », qui est dominant, que l'élément secondaire « 2 semaines » sont descriptifs en ce qu'ils évoquent un magazine de programmes télévisuels publié toutes les deux semaines. Le dessin de pomme présent sur le côté droit du signe est uniquement décoratif et ne sera pas aisément mémorisable par le public pertinent qui conserve une mémoire imparfaite des signes figuratifs. En outre, les pièces produites ne permettent pas à elles seules d'établir l'acquisition du caractère distinctif par l'usage, s'agissant d'un « quinzomadaire » paru pour la première fois en 2004.

Selon la Cour de justice de l'Union européenne[1], l'usage du signe litigieux à titre de marque n'est pas requis pour caractériser la contrefaçon. Un usage dans la vie des affaires[2] portant atteinte à la fonction essentielle d'identification d'origine de la marque, en raison d'un risque de confusion dans l'esprit du public, suffit à caractériser la contrefaçon.

En l’espèce, n’est pas caractérisée la contrefaçon des marques FEMME ACTUELLE et Femme Actuelle Santé par l’usage des signes complexes « Santé Seniors actuel » et « Féminin Seniors actuelles » dans le cadre d’une activité de publication de magazines à titre onéreux à destination d’un large public de lecteurs, qui constitue un usage dans la vie des affaires. En dépit d'une identité des produits et services (magazines, services de publication), les signes en cause, pris dans leur ensemble, ne sont pas susceptibles d'entraîner un risque de confusion dans l'esprit du consommateur d'attention moyenne en raison d’une faible similitude visuelle, phonétique et conceptuelle et d’une faible distinctivité des marques.

En revanche, la contrefaçon des marques semi-figuratives VOICI désignant des « publications, journaux, périodiques, magazines, revues » et des « services d’édition et de publication de texte, de journaux de périodiques » est établie. La société poursuivie publie et commercialise un magazine sous le signe « Voiri ». Sur le plan conceptuel, le mot « Voici » renvoie à l'action de montrer quelque chose, tandis que le vocable « Voiri » évoque le caniveau et le ramassage des ordures. Les signes en cause sont donc conceptuellement très éloignés, mais cette différence intellectuelle ne permet pas, à elle seule, d'écarter le risque de confusion, pour le public pertinent constitué du lecteur de la presse dédiée aux célébrités, dite « presse people », compte tenu de la forte similitude visuelle et phonétique entre les signes en cause pris dans leur ensemble. Par ailleurs, le signe « Voici » est distinctif pour désigner les produits et services visés à l'enregistrement des deux marques.

La finalité parodique du magazine Voiri (signalée en couverture par une pastille représentant un « smiley qui louche et qui rit » accompagnée de la mention « Magazine PARODIQUE » inscrite en petits caractères, lesquelles sont peu visibles au vu de leur localisation sur la couverture du magazine) ne permet pas davantage d'écarter le risque de confusion. Ce risque est par ailleurs accru par les conditions de commercialisation des deux magazines Voici et Voiri dont les couvertures sont pareillement composées de photographies et de titres chocs, en ce qu’ils relèvent des mêmes circuits de distribution (kiosques et buralistes) et sont placés à proximité dans le même rayon. Certes, le public pertinent ne se trompera qu'une fois, mais il se trompera néanmoins, ce qui suffit à caractériser un risque de confusion dans l'esprit du consommateur d'attention moyenne. Il s'ensuit une atteinte à la fonction essentielle d'identification d'origine des produits et services désignés par les marques.

Tribunal judiciaire de Paris, 3e ch., 3e sect., 10 mai 2022, 19/12581 (M20220266)
Prisma Media SNC c. MLP SASU, M. [P] [C], Print Editing Ltd et al.

[1] CJUE, 3 mars 2016, Daimler, C-179/15 (M20160160 ; PIBD 2016, 1049, III-367 ; Propr. industr., nov. 2020, chron. 10, Y. Basire ; Propr. industr., avr. 2016, p. 43, note d’A. Folliard-Monguiral ; JCP G, 11, 14 mars 2016, p. 518, note de F. Picod ; Comm. Com. Electr., 2016, comm. 32, C. Caron).

[2] La notion d’ « usage dans la vie des affaires » a été introduite dans l’article L. 713-2 du CPI, tel qu’ issu de l'ordonnance n° 2019-1169 du 13 novembre 2019.