Jurisprudence
Brevets

Concurrence déloyale ou parasitaire reprochée à un concurrent pour avoir copié un tube, destiné au diagnostic du diabète, pour le compte d’un client commun

PIBD 1176-III-2
CA Paris, 26 novembre 2021

Concurrence déloyale (non) - Copie quasi-servile du produit - Absence de droit privatif - Risque de confusion - Public pertinent - Professionnel averti - Preuve - Sondage

Parasitisme (non) - Volonté de se placer dans le sillage d'autrui - Volonté de profiter des investissements d'autrui - Frais de création et de promotion - Détournement de clientèle - Changement de fournisseur - Contrat de commande - Directives sur les caractéristiques esthétiques du produit - Compatibilité avec des machines - Dépôt de brevets et d'un modèle - Vente à prix inférieur

Texte

Le tube invoqué par la société demanderesse, destiné à contenir des bandelettes de test de glycémie pour les patients diabétiques, a été développé pour le compte d’un laboratoire pharmaceutique. La partie française du brevet européen portant sur le système de fermeture du tube, dont le but est de renforcer la solidité de la charnière à clip reliant le bouchon au tube afin d’assurer l’étanchéité de l’ensemble, a été annulée. La demanderesse reproche à la société poursuivie en concurrence déloyale d'avoir repris de manière fautive toutes les caractéristiques esthétiques de son tube et de l'avoir proposé à son client historique afin de lui subtiliser le marché.

Le tube incriminé, qui a été fabriqué pour le compte du même client, est quasi identique par son aspect extérieur au tube invoqué, à l'exception de la charnière reliant le couvercle au corps du produit. Cependant, le principe de la liberté du commerce implique qu'un produit qui ne fait pas l'objet de droits privatifs peut être librement reproduit et commercialisé à moindre prix, à moins que la reproduction ou l'imitation du produit ait pour effet de créer un risque de confusion dans l'esprit du public. En l'espèce, le public pertinent, au regard duquel doit être apprécié de manière concrète le risque de confusion, n'est pas le consommateur final, à savoir le patient diabétique utilisateur des bandelettes, mais le laboratoire qui commercialise le dispositif de test de glycémie, constitué du lecteur de mesure de glycémie et du tube que le laboratoire remplit des bandelettes. Le public pertinent, qui est donc un professionnel, est précisément la société à laquelle était destiné le tube qui a été spécialement conçu pour elle par la demanderesse et qui nécessite l’utilisation de machines adaptées, faites sur mesure, pour le remplir. En sa qualité de professionnelle avertie et de co-contractante de la demanderesse, puis de la défenderesse, cette société était à même de distinguer les produits en provenance de ses fournisseurs successifs, sans que le risque de confusion allégué soit établi. De plus, le tube incriminé comporte, en plusieurs de ses éléments, des innovations protégées par des brevets européens, ainsi que des caractéristiques qui lui sont propres (le nombre de pièces, la charnière, le système de fermeture, la surface intérieure du tube) qui, certes, laissent subsister une quasi-identité dans l’aspect extérieur des tubes en présence, mais permettent de prévenir tout risque de confusion aux yeux du laboratoire qui est un spécialiste du domaine technique considéré. La demande en concurrence déloyale est donc rejetée.

Les actes de parasitisme allégués ne sont pas non plus établis. La demanderesse ne démontre pas que la défenderesse aurait volontairement conçu un tube identique au sien, pour le fournir à moindre coût au même laboratoire afin de convaincre celui-ci de changer de fournisseur, et qu’elle aurait ainsi profité sans bourse délier de ses investissements et de son travail. En effet, elle ne justifie pas que l'ensemble des investissements dont elle se prévaut ont été consacrés à la conception de la forme du tube invoqué et à sa promotion, et partant à la valeur économique qu'elle reproche à la défenderesse d'avoir détournée à son profit. Certains investissements dédiés à la réalisation de ce tube ont été compensés par le laboratoire qui s'est engagé à acquérir, en contrepartie de l'équipement fourni, un minimum de « X » millions de flacons à un certain prix, ce qui montre que le client auquel était destiné le tube a participé à sa valeur économique. En outre la différence de prix entre les tubes en litige résulte des investissements en recherche et développement consentis par la défenderesse, qui lui ont permis de mettre au point un procédé de fabrication du tube moins onéreux, ces innovations ayant fait l'objet de quatre brevets européens. Par ailleurs, il ressort des échanges précontractuels entre la défenderesse et le laboratoire que celui-ci a imposé des spécifications à sa co-contractante concernant les caractéristiques formelles du tube incriminé. Il les voulait identiques à celles du tube de son autre fournisseur afin, notamment, que le tube soit compatible avec les machines utilisées. Enfin, le démarchage effectué par un concurrent auprès d’un client n'est pas en soi illicite. Le laboratoire pouvait, quant à lui, faire librement le choix d'un autre fournisseur, aucune exclusivité ne le liant à la demanderesse.

Cour d'appel de Paris, pôle 5, 2e ch., 26 novembre 2021, 19/18575 (B20210088)[1]
CSP Technologies Inc. et CSP Technologies SASU (venant aux droits de la société Capitol Europe) c. Airnov France SASU (venant aux droits de la société Clariant Production France, venant elle-même aux droits de la société Airsec)
(Confirmation TGI Paris, 3e ch., 1re sect., 28 févr. 2013, 11/06900,  B20130285 ; rendu sur renvoi après cassation CA Paris, pôle 5, 1re ch., 25 avr. 2017, 15/04657, B20170131 ; Cass. com. , 19 juin 2019, 17-26.235, B20190045)

 

[1] Présente sur le marché pharmaceutique, la société américaine CSP Technologies Inc. conçoit des tubes pour des bandelettes réactives de diagnostic, notamment des bandelettes de mesure de la glycémie utilisées par les diabétiques. Elle était propriétaire d’un brevet européen, intitulé « Contenants étanches refermables pour bandelettes et articles analogues », portant sur un dispositif de fermeture d'un tube. Ayant découvert que la société Airsec, qui a pour activité la fabrication et la commercialisation de produits de conditionnement destinés à l'industrie pharmaceutique, fabriquait et commercialisait un tube portant atteinte à ses droits, elle a assigné cette société en contrefaçon de la partie française de son brevet, ainsi qu’en concurrence déloyale et parasitaire en invoquant la reprise du design du tube qu’elle avait conçu et sur lequel elle ne revendiquait pas de droits d’auteur. La société Capitol Europe, qui fabriquait et distribuait en France les tubes mis au point par la société CSP, est intervenue volontairement à l'instance. Le tribunal de grande instance de Paris a annulé les revendications 1, 2, 3, 4 et 6 du brevet pour défaut d'activité inventive et débouté les sociétés CSP et Capitol Europe de leur demande en concurrence déloyale et parasitaire (TGI Paris, 3e ch., 1re sect., 28 févr. 2013, 11/06900 ; B20130285). Le brevet européen a été définitivement révoqué par l’OEB le 6 novembre 2013. Le jugement a été confirmé en appel dans toutes ses dispositions, mais la Cour de cassation a cassé l’arrêt pour avoir rejeté l’action en concurrence déloyale et parasitaire. La cour d'appel avait constaté, en s’appuyant sur le contrat d’achat conclu entre la société Airsec et la société Lifescan – qui commercialise un lecteur de mesure de glycémie et des bandelettes pour patients diabétiques et qui se fournissait auparavant auprès de la société CSP pour le tube dans lequel sont conditionnées les bandelettes –, que la première avait réalisé le tube litigieux d’après les spécifications très précises de sa cliente qui reprenaient les caractéristiques du tube de la société CSP. Or, la Cour de cassation a estimé que le contrat, tel qu’il avait été présenté aux juges, ne précisait pas la nature exacte des spécifications définies par les partenaires.