Jurisprudence
Marques

Contrefaçon des marques All Star, Converse All Star et Converse All Star Chuck Taylor - Absence d'épuisement des droits

PIBD 1160-III-6
CA Paris, 19 février 2021

Validité de la saisie-contrefaçon (non) - Pouvoirs de l’huissier outrepassés 

Contrefaçon des marques (oui) - Reproduction - Droit de l'UE - Épuisement des droits (non) - Risque réel de cloisonnement des marchés (non) - Réseau de distribution exclusive - Acquisition auprès d'un distributeur agréé 

Préjudice du titulaire - Notoriété des marques - Atteinte à la valeur distinctive des marques - Banalisation - Préjudice du distributeur exclusif - Investissements réalisés - Manque à gagner - Quantité limitée de produits incriminés

Texte
Marque n° 924 653 de la société All Star
Texte

Le procès-verbal de saisie-contrefaçon est annulé. Il résulte des dispositions de l'article L. 716-7 du CPI, dans sa rédaction issue de la loi du 29 octobre 2007, que la saisie-contrefaçon ne peut valablement porter que sur les produits ou services prétendus contrefaisants, soit, en l'espèce, les articles chaussants revêtus des marques internationales désignant l’UE Converse All Star et All Star et française Converse All Star Chuck Taylor, incriminés par la société demanderesse dans sa requête. Or, la liste remise à l’huissier lors de la saisie est constituée d'une série de divers produits tous désignés sous la marque Converse. Le procès-verbal de saisie-contrefaçon ne permet donc pas de s'assurer que l'huissier a opéré dans le respect de l'ordonnance autorisant la saisie-contrefaçon, en limitant ses recherches et constatations aux produits prétendus contrefaisants et aux atteintes portées aux seules marques invoquées, sans les étendre aux autres marques Converse.

Par application des dispositions de l’article L. 713-4 du CPI et de l’article 13 § 1 du règlement (CE) 207/2009 relatives à l’épuisement du droit de marque, le titulaire ne peut pas s'opposer à la libre circulation des produits marqués à l'intérieur de l'Espace économique européen (EEE), après que ces produits ont été mis dans le commerce de cet espace, par lui-même ou avec son consentement. Dans le cas où un risque réel de cloisonnement des marchés est avéré, le défendeur à l’action est autorisé à ne pas révéler sa source d'approvisionnement (un membre du réseau de distribution agréé) et la charge de la preuve de l’épuisement des droits - qui lui est initialement dévolue - est renversée. Le titulaire de la marque doit alors prouver que les produits en cause ont été initialement mis dans le commerce, par lui-même ou avec son consentement, en dehors du territoire de l'EEE.

La preuve d’un tel risque n’est pas rapportée. En effet, un système de distribution exclusive, tel que celui mis en place par le titulaire des marques, n'emporte pas en soi un risque réel de cloisonnement des marchés, mais ne constitue qu'un indice devant être conforté par d'autres. En outre, l'attention particulière portée aux prix pratiqués au sein du réseau n'est pas illicite, dès lors qu'elle ne conduit pas à imposer aux détaillants des prix de revente. Enfin, le risque réel de cloisonnement des marchés n'est pas celui d'une étanchéité absolue, laquelle est illicite, mais d'une situation de nature à nuire à l'intégration des différents marchés nationaux au sein du marché unique. En l’espèce, un unique cas, remontant à une période largement antérieure aux faits de l’espèce, d’éviction d’un distributeur exclusif ayant vendu des produits en dehors de son territoire est établi. Les courriels produits aux débats par les défenderesses ne prouvent pas de façon pertinente que les distributeurs exclusifs ont opposé des refus de commandes à des clients extérieurs à leur territoire. Les demanderesses justifient pour leur part de volumes de ventes importants par des distributeurs entre eux et entre des distributeurs et des détaillants opérant sur un autre territoire.

Les défenderesses n’établissent pas la mise dans le commerce de chaque exemplaire des chaussures litigieuses dans l’EEE par le titulaire ou avec son consentement. Il ressort d’un procès-verbal de constat que des chaussures ont été mises sur le marché par un revendeur agréé situé dans l’EEE. Toutefois, la preuve n’est pas rapportée que les chaussures incriminées, offertes à la vente sur le site internet de la défenderesse, proviennent toutes de ce même lot. En conséquence, la contrefaçon des marques est caractérisée.

Cour d’appel de Paris, pôle 5, 2e ch., 19 février 2021, 19/14338 (M20210053)1
International Digital Développement (IDD) SARL et Style Network International (SNI) SARLU c. Converse Inc., Royer Sport SAS, All Star CV et al.
(Infirmation partielle  TGI Paris, 3e ch., 3e sect., 30 janv. 2015, 10/03466, M20150620 ; sur renvoi après cassation partielle  CA Paris, pôle 5, 1re ch., 25 oct. 2016, 15/05739, M20160472 ; Cass. com., 3 juill. 2019, F 16-28.543, M20190189, PIBD 2019, 1121, III-381 ; RTD com, 2, avr.-juin 2020, p. 347, note de J. Passa)

1Pour un état des lieux des décisions récentes sur la question de l’épuisement des droits et l’existence d’un risque réel de cloisonnement des marchés, voir la note de S. Lepoutre parue à l’occasion de la publication de l’arrêt de la Cour de cassation du 27 mars 2019 (ch. com., Converse Inc. et All Star CV c. Auchan France SA et Me L (en qualité de mandataire judiciaire à la liquidation judiciaire de la Sté SMATT), W 17-21.201 ; M20190077 ; PIBD 2019, 1116, III-227). Dans cette affaire concernant une action en contrefaçon de la société Converse fondée sur les mêmes marques que celles invoquées dans l’affaire présentement publiée, la Cour suprême a approuvé l’arrêt qui avait retenu l'existence d'un risque réel de cloisonnement du marché puis rejeté la demande en contrefaçon.