Jurisprudence
Marques

Contrefaçon des marques FRUIT OF THE LOOM par la réservation et l’exploitation de noms de domaine redirigeant vers un site internet commercialisant des produits authentiques

PIBD 1205-III-4
CA Paris, 17 mars 2023

Recevabilité de l’action en contrefaçon (oui) - Qualité pour agir - Renouvellement de marque - Identification du titulaire - Erreur matérielle - Régularisation

Déchéance des marques françaises et de l’UE (non) - Recevabilité (oui) - Principe de l’estoppel - Usage sérieux - Exploitation indirecte - Autorisation implicite

Contrefaçon des marques françaises et de l’UE - Réservation de noms de domaine - Exploitation - Charge de la preuve - Usage dans la vie des affaires - 1) Exploitation (oui) - Reproduction - Adjonction de tirets et d’une extension - Différences insignifiantes - Imitation - Élément dominant - Licence tacite (non) - Qualité de distributeur - Produits authentiques - Atteinte aux fonctions d’exclusivité et de garantie d’origine de la marque - 2) Exploitation (non) 

Concurrence déloyale (oui) - Réservation et exploitation de noms de domaine - Imitation du nom de domaine - Risque de confusion - Parasitisme (oui) - Volonté de tirer profit des investissements d’autrui

Préjudice - Dommages-intérêts - Transfert des noms de domaine contrefaisants

Texte
Marque n° 1 232 596 de la société Fruit of the Loom Inc.
Marque de l’UE n° 000 731 737 de la société Fruit of the Loom Inc.
Texte

La société demanderesse a qualité pour agir en contrefaçon sur le fondement de ses marques françaises et de l’Union européenne FRUIT OF THE LOOM, qui ont fait l’objet de renouvellements réguliers. S’il est indiqué que la société, au nom de laquelle le renouvellement de la marque verbale française a été effectué, est organisée selon l’État du Delaware, alors que la société déposante, sise à la même adresse, est une entité organisée selon l’État de New York, cette identification erronée quant au droit applicable constitue une erreur matérielle, qui a d’ailleurs été régularisée auprès de l’INPI.

La société demanderesse, qui justifie d'une exploitation de ses marques en France et dans l'Union européenne pour les vêtements désignés aux enregistrements, n’encourt pas la déchéance de ses droits.

Il n'est pas discuté qu'un usage de marque, par une société appartenant au même groupe de sociétés que le titulaire de la marque, est implicitement autorisé par celui-ci. En l’espèce, il ressort d’une attestation du secrétaire adjoint d'une société du groupe, que les filiales sont autorisées à utiliser et donner en licence les marques FRUIT OF THE LOOM, dans le cadre de la fabrication, la publicité et la vente des produits revêtus de la marque dans le monde. Il est établi par les nombreux éléments fournis au débat (rapport, contrats de licence et de distribution, catalogue, constat d’huissier ...) que ces sociétés utilisent, en vertu de licences ou sous-licences, les marques en cause en Irlande, au Royaume-Uni et dans d'autres pays européens, pour désigner des produits tels que les tee-shirts, polos ou chemises. Il résulte, en outre, des extraits de sites internet des distributeurs de produits FRUIT OF THE LOOM en France, que la société titulaire exploite ses marques dans ce pays pour les vêtements, peu important que les factures soient établies par un distributeur français qui est une société du groupe.

Les actes de contrefaçon des marques françaises et de l’Union européenne FRUIT OF THE LOOM, par la réservation et l'exploitation de certains noms de domaine comprenant l’expression « Fruit of the Loom » ou « fruit-of-the-loom », sont caractérisés.

Toutefois, la réservation d'un signe en tant que nom de domaine ne caractérise pas un usage pour des produits et services, en l'absence de tout début de commercialisation de produits ou services sous ce signe, et le seul enregistrement du nom de domaine ne constitue donc pas un acte de contrefaçon [1].

En l’espèce, l'usage du nom de domaine fruit-of-the-loom.fr pour l'exploitation d'un site de vente de produits vestimentaires est établie. De même, est reconnu l'usage de certains noms de domaine pour rediriger l'internaute vers le site actif, ce qui constitue également un usage du signe dans la vie des affaires.

La société défenderesse ne peut faire valoir qu'elle bénéficie d'une licence tacite de marque en tant que distributeur de produits authentiques FRUIT OF THE LOOM, ce qui l'aurait autorisée à réserver et à exploiter un site internet sous les noms de domaine comportant cette expression. La société titulaire ne lui reproche pas de désigner les produits authentiques qu'elle distribue sur son site internet par la marque FRUIT OF THE LOOM. Toutefois, l'usage de cette marque à titre de nom de domaine, pour identifier le site que la société défenderesse exploite, ce qui lui permet de diriger les internautes recherchant des produits FRUIT OF THE LOOM vers son site marchand, constitue bien un usage non autorisé de marque, et ce quand bien même les produits commercialisés sur le site sont des produits authentiques. Cet usage du nom de domaine porte en effet atteinte à la fonction d'exclusivité de la marque, la société défenderesse s'appropriant un signe distinctif pour identifier son site marchand. Il porte également atteinte à la garantie d'origine de la marque en ce qu'il laisse croire au public qu'il s'agit d'un site officiel de la société demanderesse. En effet, l'internaute n’est pas en mesure d'identifier clairement l'annonceur qui est alors confondu avec le titulaire de la marque, la mention du nom de la société défenderesse en en-tête des pages du site n'étant pas suffisante à écarter ce risque de confusion.

En revanche, les actes de contrefaçon des marques ne sont pas caractérisés pour d’autres noms de domaine litigieux, la société demanderesse échouant à démontrer qu’ils sont exploités. La seule réservation de ces noms de domaine ne constitue pas un usage du signe « Fruit of the Loom » dans la vie des affaires pour désigner des produits vestimentaires désignés par les marques. C'est donc à tort que les premiers juges, inversant la charge de la preuve, ont considéré que la réservation et l'exploitation de ces noms de domaine constituaient des actes de contrefaçon des marques invoquées, faute pour la société défenderesse de démontrer qu'ils n’étaient pas actifs.

La concurrence déloyale est caractérisée. L'utilisation de quatorze noms de domaine comportant l'expression « Fruit of the Loom », pour désigner un site internet proposant à la clientèle des produits de la marque FRUIT OF THE LOOM – ces noms de domaine étant très proches du nom de domaine fruitoftheloom.com sous lequel la société demanderesse exploite son site officiel – crée un risque de confusion dans l'esprit de l'internaute. En effet, celui-ci est susceptible de croire que le site internet actif litigieux est un site exploité par la société titulaire ou par une entité qui en dépend.

Les actes de parasitisme sont également constitués. La réservation et l'exploitation de ces noms de domaine permet à la société poursuivie de diriger les internautes cherchant des produits de cette marque vers son propre site et lui permet de tirer profit, sans bourse délier, des efforts de la société titulaire pour organiser un réseau de revendeurs ou de distributeurs.

Cour d’appel de Paris, pôle 5,  2e ch., 17 mars 2023, 20/11289 (M20230045)
Tanit SAS c. Fruit of the Loom Inc.
(Confirmation partielle TJ Paris, 3e ch., 3e sect., 29 mai 2020, 17/17679)

[1] Un arrêt ancien de la Cour de cassation avait déjà énoncé ce principe : Cass. com., 13 déc. 2005, Soficar SA c. Le Tourisme Moderne Compagnie Parisienne du Tourisme SA, 04-10.143 (M20050646 ; PIBD 2006, 824, III-149  ; Légipresse, 231, mai 2006, p. 81, note de M. Haas ; Gaz Pal, 105-110, 16 avr. 2006, p. 34, note de V. Brunot ; Propr. industr., mars 2006, p. 49, note de J.-P. Viennois ; RLDA, févr. 2006, p. 20, note de J. Azéma, A. Lefèvre et J. Vasa ; Comm. com. électr., févr. 2006, p. 30, note de C. Caron ; Contrats, conc. consom., févr. 2006, p. 21, note de M. Malaurie-Vignal ; Propr. industr., févr. 2006, p. 27, note de P. Tréfigny ; JCP E, 6-7, 9 févr. 2006, p. 289, note de C. Caron ; D, Cahier droit des affaires, 5 janv. 2006, p. 63, note de C. Manara ; RLDI, 12, janv. 2006, p. 25, note de L. Costes).