Jurisprudence
Marques

Déchéance de la marque DAGNIAUX ARTISAN GLACIER pour tous les produits « fabriqués par un artisan » - Déchéance de la marque DANIO pour certains des produits laitiers désignés

PIBD 1170-III-4
CA Douai, 17 juin 2021

Action en nullité des marques - Recevabilité (non) - Prescription quinquennale - Point du départ du délai

Action en contrefaçon des marques - Recevabilité (oui) - Qualité pour agir du cessionnaire - Faits postérieurs à la publication de la cession

Déchéance partielle de la marque (oui) - Usage sérieux - Matière première - Produit fini

Déchéance de la marque (oui) - Usage sérieux - Réglementation - Produits fabriqués artisanalement

Déchéance partielle des marques (oui) - Usage sérieux - Produits relevant d'une catégorie générale - Produits similaires - Marque complexe - Exploitation sous une forme modifiée - Calligraphie

Validité des marques tridimensionnelles (oui) - Droit antérieur - Marque complexe - Similarité des produits - Comparaison des signes - Impression d’ensemble - Élément verbal - Élément distinctif et dominant - Différences visuelles - Couleurs - Structure différente - Similitude phonétique - Différence conceptuelle - Nom patronymique - Risque de confusion - Appréciation globale

Texte
Marque n° 97 703 594 de la société Dagniaux
Marque n° 3 437 906 de la société Dagniaux
Texte
Marque n° 3 003 761 de la société Compagnie Gervais Danone
Marque n° 3 173 484 de la société Compagnie Gervais Danone
Texte
Marque n° 4 063 165 de la société Compagnie Gervais Danone
Marque n° 4 063 186 de la société Compagnie Gervais Danone
Texte

À défaut de dispositions spécifiques concernant la prescription de l'action en nullité en matière de marque, ce sont les dispositions de droit commun qui s'appliquent[1]. L'article 2224 du Code civil dispose que « les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître des faits lui permettant de l'exercer ». Le délai de prescription court à compter de la publication de la demande d’enregistrement, sauf circonstances exceptionnelles, et non, comme décidé par les premiers juges, à compter de la date à partir de laquelle le demandeur a pu avoir connaissance de l'usage de la marque seconde et donc de sa mise sur le marché effective en France[2].

La déchéance des droits sur la marque GLACIER DAGNIAUX DEPUIS 1923 doit être prononcée pour les produits suivants : « café, glaces à rafraîchir, thé et cacao », la société titulaire de la marque ne justifiant d’un usage sérieux que pour des glaces et des entremets glacés. Le simple fait que ces produits aient pu contenir les produits désignés dans l'enregistrement, en l'espèce du café ou du cacao, ne saurait justifier d'un usage sérieux, alors que ces derniers ne sont pas commercialisés ou exploités comme tel.

Concernant la marque Dagniaux Artisan Glacier, la déchéance doit être prononcée pour les produits suivants : « gelées, confitures, compotes, produits laitiers » et « café, thé, cacao, sucre, pâtisserie et confiserie, glaces comestibles, gâteaux glacés, glaces à rafraîchir », tous ces produits étant « fabriqués par un artisan », ainsi que pour le service de « restauration (alimentation) (…) fourni par un artisan ». Il n’est en effet pas justifié que les produits et services pour lesquels il a été fait usage de la marque ont été fabriqués ou fournis par un artisan, au sens du décret n° 98-247 du 2 avril 1998 relatif à la qualification artisanale.

La déchéance des droits sur la marque Danio doit être prononcée pour l’ensemble des produits alimentaires désignés dans l’enregistrement (yaourts à boire, mousses, crèmes, crèmes dessert, fromages faits en faisselle, fromages frais vendus sous forme pâteuse ou liquide…), à l’exception des desserts lactés, yaourts, fromages blancs, nature ou aromatisés. S’agissant des produits laitiers invoqués, il appartient à la société défenderesse, qui fait valoir qu’elle utilise le signe pour désigner une spécialité laitière issue d’un processus de fermentation du yaourt permettant d’obtenir une texture particulière, déclinée en plusieurs parfums, de justifier d’un usage pour chacun des produits visés, sans qu’elle puisse échapper à la déchéance en établissant la similitude entre les produits réellement exploités et ceux désignés. Il n’est justifié d’aucune exploitation du signe pour des produits laitiers sous une autre forme (solide, liquide, mousse, crème).

Cour d'appel de Douai, 1re ch., 2e sect., 17 juin 2021, 19/06353 (M20210144) [3]
Me Dominique M (en qualité de liquidateur judiciaire de la société Dagniaux SAS) c. Compagnie Gervais Danone SA
(Confirmation partielle TGI Lille, 21 mai 2019, 18/03944)

[1] L’ordonnance n° 2019-1169 du 13 novembre 2019 a introduit dans le Code de la propriété intellectuelle un nouvel article L. 716-2-6 qui dispose que : « Sous réserve des articles L. 716-2-7 et L. 716-2-8, l'action ou la demande en nullité d'une marque n'est soumise à aucun délai de prescription ». La loi n° 2019-486 du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises, dite loi PACTE, a en effet consacré, dans son article 124, l’imprescriptibilité des actions en nullité en matière de dessins et modèles, brevets et marques. S’agissant des actions en contrefaçon, elle a prévu que celles-ci se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître le dernier fait lui permettant de l'exercer. Les règles relatives à la prescription ont ainsi été harmonisées dans toutes les matières. En droit des brevets et en droit des dessins et modèles, le point de départ du délai de prescription de l’action en contrefaçon a été modifié dans un sens favorable aux titulaires (l’action se prescrivait à compter des faits qui en étaient la cause), tandis qu’en droit des marques, il a enfin été spécifié. À ce sujet, le tribunal judiciaire de Paris a rendu une décision récente sur la question de l’application de la loi dans le temps (TJ Paris, 3e ch., 1re sect., ord. du juge de la mise en état, 6 mai 2021, ASSIA Inc. c. Alcatel Lucent International et al., 20/07066 ; B20210040 ; PIBD 2021, 1164, III-2).

[2] En ce qui concerne le point de départ du délai de prescription pour l’action en nullité d’une marque, le tribunal de grande instance de Paris a considéré, dans une autre affaire, que celui-ci n'était pas « nécessairement situé au jour où la marque est publiée, sauf à imposer à celui qui agit une surveillance permanente des registres d'enregistrement » (TGI Paris, 3e ch., 3e sect., 7 déc. 2018, Simizy SARL c. MHCS, 17/05769 ; M20180539 (CA Paris, pôle 5, 2e ch., 10 juill. 2020, 19/03551 ; M20200145 ; Propr. intellect., 77, oct. 2020, p. 56, note de J. Canlorbe)). Il a estimé que dans le cas d'espèce, la société demanderesse connaissait ou aurait dû connaître, dès le commencement de son activité, les marques contestées qui étaient susceptibles d'entraver le développement de son commerce, et donc avant d'avoir fait l'objet de mesures d'instruction puis de poursuites judiciaires pour contrefaçon. Dans une autre affaire, la cour d’appel de Paris a retenu, comme point de départ du délai, la date du courrier de mise en demeure adressé par le demandeur à la société défenderesse lui enjoignant de cesser toute utilisation des termes litigieux (CA Paris, pôle 5, 1re ch., 29 mai 2018, Conseil des grands crus classés en 1855 et al. c. Caudalie SAS et al., 16/14549 ; M20180188 ; PIBD 2018, 1099, III-514 ; D IP/IT, sept. 2018, p. 503, note de C. Maréchal ; L'Essentiel, 9, oct. 2018, p. 7, note de D. Lefranc, Point de départ de l'action en nullité absolue d'une marque ; D, 8, 7 mars 2019, p. 454 et p. 458, notes). L'action en nullité introduite neuf ans et quinze ans après le dépôt de chacune des marques contestées a, dès lors, été déclarée non prescrite. En revanche, il a été jugé, dans une autre espèce, qu'à la date de la publication de la demande d’enregistrement de la marque en cause, la société qui invoquait une marque antérieure connaissait ou aurait dû connaître, en sa qualité de professionnelle, les faits lui permettant d'exercer l'action en nullité (CA Paris, pôle 5, 2e ch., 20 nov. 2015, Société du Figaro SAS c. Entreprendre SA, 15/00522 ; M20150496 ; PIBD 2016, 1042, III-75 ; Légipresse, 334, janv. 2016, p. 10 et 12, p. 30, note de Y. Basire ; Propr. intell., 61, oct. 2016, p. 471, note de J. Canlorbe (Cass. com., 6 déc. 2017, 16-10.859, PIBD 2018, 1088, III-128,  Propr. industr., mars 2018, p. 37, note de P. Tréfigny ; arrêt de renvoi : CA Paris, pôle 5, 1re ch., 10 sept. 2019, 18/10200, M20190221, PIBD 2019, 1125, III-478)).

[3] Dans la présente procédure, la société Dagniaux a assigné la société Compagnie Gervais Danone en nullité des marques verbale, complexe et tridimensionnelles Danio pour atteinte à ses marques complexes antérieures GLACIER DAGNIAUX DEPUIS 1923 et Dagniaux Artisan Glacier, en déchéance des marques verbale et complexe Danio, ainsi qu’en contrefaçon de ses marques. Auparavant, elle avait déposé la marque Danaune après avoir mis en demeure la société Danone de renoncer aux produits glacés revêtus des marques Danio. Parallèlement à cette procédure, la société Danone a poursuivi la société Dagniaux en nullité de la marque Danaune pour dépôt frauduleux. La cour d’appel de Douai a accueilli sa demande en estimant que le dépôt de cette marque constituait un détournement de la fonction essentielle de la marque, ce dépôt ayant pour unique objectif de soutenir une argumentation juridique par analogie dans la procédure que la société Dagniaux s’apprêtait à engager (CA Douai, 1re ch., 2e sect., 17 juin 2021, 19/06491 ; M20210145).