Jurisprudence
Dessins et modèles

Défaut de protection d'une monture de lunettes par le droit d’auteur - Protection et contrefaçon au titre des dessins ou modèles non enregistrés

PIBD 1194-III-7
CA Paris, 21 septembre 2022

Protection au titre du droit d'auteur (non) - Originalité - Combinaison d'éléments connus - Banalité - Matière - Savoir-faire - Effort de création - Empreinte de la personnalité de l'auteur

Validité des modèles communautaires non enregistrés (oui) - Nouveauté - Antériorité - Différences insignifiantes - Caractère individuel - Utilisateur averti - Impression globale

Contrefaçon du modèle communautaire non enregistré (oui) - Reproduction quasi-servile - Différences insignifiantes - Impression visuelle globale

Contrefaçon du modèle communautaire non enregistré (non) - Copie - Matière

Concurrence déloyale et parasitaire (non) - Imitation du produit - Absence de droit privatif - Banalité - Détournement de savoir-faire - Proximité géographique - Détournement de clientèle - Imitation de la méthode commerciale - Effet de gamme - Vente à prix inférieur

Préjudice matériel - Marge bénéficiaire du demandeur - Ventes manquées - Bénéfices tirés des actes incriminés - Préjudice moral - Dévalorisation

Texte

Faute d'originalité, les deux montures de lunettes invoquées ne peuvent pas bénéficier de la protection par le droit d'auteur. La première monture reproduit des éléments anciens, banals et répandus sur le marché de la lunetterie, comme la forme papillonnante (qui se retrouve sur des lunettes portées par Marilyn Monroe et Grace Kelly), les verres qui ne s'étendent pas jusqu'au cerclage, les branches fines en métal s'affinant vers les extrémités et se terminant par un manchon en acétate et enfin la bi-matière contrastante (métal/acétate). Si la combinaison de ces éléments révèle un savoir-faire de conception, elle est insuffisante à établir la réalité d'un effort créatif reflétant l'empreinte de la personnalité d'un créateur, alors que la monture en cause appartient au fonds commun de la lunetterie. Il en est de même pour la seconde monture, dont les éléments revendiqués (notamment les verres ovales allongés, l’armature en métal doré au-dessus de l'acétate entourant les verres, l’épaississement de la monture sur la façade au niveau de la jonction avec les branches) se retrouvent de façon habituelle sur des modèles plus anciens.

En revanche, ces deux montures de lunettes bénéficient de la protection au titre des dessins ou modèles communautaires non enregistrés. Les modèles sont en effet nouveaux et présentent un caractère individuel. Aucune des antériorités opposées ne présente une combinaison de caractéristiques identique ou ne différant que par des détails insignifiants pour l'utilisateur averti, en l'espèce une utilisatrice (s'agissant de lunettes pour femme) sensible au design des montures qu'elle essaie ou acquiert. De plus, en raison de toutes les différences relevées, aucun des modèles antérieurs ne produit sur l'utilisateur averti la même impression globale que celle produite par les modèles revendiqués.

Le second modèle est contrefait par l’une des montures de lunettes litigieuses, qui constitue la reproduction quasi-servile de ses caractéristiques. Les différences, qui se limitent à une moindre longueur de l'armature en métal sur le dessus de la monture et à une épaisseur globale très légèrement supérieure, sont des détails insignifiants qui n'entraînent pas une impression visuelle globale différente. La contrefaçon du premier modèle n'est, quant à elle, pas caractérisée. Il existe une différence visuelle significative avec la monture de lunettes critiquée, le contraste des matières (métal/acétate) étant bien moindre sur celle-ci qui apparaît de ce fait plus discrète, alors que le demandeur revendique le cerclage en métal doré de ses verres « sur tout leur pourtour » et une « monture bi-matière », ce qui révèle l'importance de ces éléments. Cette monture ne constitue donc pas la copie du modèle invoqué.

Cour d'appel de Paris, pôle 5, 1re ch., 21 septembre 2022, 20/02407 (D20220053)[1]
Lunettes Pour Tous SAS et LPT Supply Chain SARL c. Jimmy Fairly SAS
(Confirmation partielle TJ Paris, 3e ch., 3e sect., 10 janv. 2020, 18/08540)

[1] En première instance, les juges avaient accueilli les demandes en contrefaçon des deux modèles communautaires non enregistrés revendiqués, ainsi que celles en concurrence déloyale fondées sur la reproduction servile de trois autres montures de lunettes. À titre de réparation, ils avaient notamment ordonné, avec exécution provisoire, la cessation de la commercialisation et de la fabrication des cinq paires de lunettes critiquées, ainsi que la destruction du stock. En référé, l’exécution provisoire de cette dernière mesure a été arrêtée en raison des conséquences irréversibles qu’elle aurait pour les sociétés poursuivies qui seraient définitivement privées de cette marchandise, ce qui entraînerait des conséquences financières manifestement excessives (CA Paris, pôle 1, 5e ch., 25 juin 2020, Lunettes Pour Tous SAS et al. c. Jimmy Fairly SAS, 20/03655 ; D20200015). Dans la présente décision, les juges d’appel n’ont reconnu la contrefaçon que d’un des deux modèles revendiqués et ont rejeté les demandes au titre de la concurrence déloyale. A donc été ordonnée la cessation de la commercialisation et de la fabrication d’une seule monture de lunettes, avec la destruction du stock.