Jurisprudence
Brevets

Demande d’interdiction provisoire de commercialisation d’un médicament générique - Contestation sérieuse relative à l’activité inventive du brevet portant sur une seconde application thérapeutique

PIBD 1196-III-2
TJ Paris, ord. réf., 6 octobre 2022

Interdiction provisoire (non) - Rappel des circuits commerciaux (non) - Proportionnalité des mesures - Caractère vraisemblable de la contrefaçon - Contestation sérieuse - Validité du brevet européen - Médicament - Seconde application thérapeutique - 1°) Description suffisante (oui) - Essais cliniques - Effet thérapeutique - 2°) Activité inventive (non) - Divulgation d’une étude clinique - Dosage - Homme du métier - Connaissances générales

Texte

Les demandes d’interdiction provisoire de commercialisation des médicaments génériques argués de contrefaçon et de rappel des circuits commerciaux sont rejetées en raison de l’existence d’une contestation sérieuse relative à la validité du brevet européen invoqué.

En matière de brevets de seconde application thérapeutique, l'effet thérapeutique recherché doit être précisé dans les revendications. Pour satisfaire à l'exigence de suffisance de description, le brevet doit comporter, par toute sorte de données, les informations établissant clairement et sans ambiguïté cet effet thérapeutique, sans qu'il soit nécessaire de fournir à ce stade le résultat d'essais cliniques, l'effet thérapeutique étant alors considéré comme « plausible »[1].

En l’espèce, le brevet européen protège une composition de fumarate de diméthyle (DMF) et de fumarate de monométhyle (MMF) pour le traitement de la sclérose en plaques. Le problème technique que l'invention propose de résoudre est celui d'un dosage efficace de DMF. Les revendications 1 et 5 précisent bien l'effet thérapeutique recherché au moyen de l'administration orale d'une dose quotidienne de 480 mg de DMF ou MMF, tandis que la description divulgue des tests réalisés sur des souris et les tableaux de conversion pour l'être humain. La description mentionne en outre des résultats d'essais cliniques de phase 2b portant sur des composés comprenant différents dosages de DMF qui rendent indiscutablement « plausible » l'effet thérapeutique de la dose revendiquée.

Il ressort de la jurisprudence notamment de l’OEB, que, lorsqu'il est divulgué, avant la date de priorité ou de publication de la demande de brevet, qu’une étude clinique est en cours, l'homme du métier est conduit à considérer qu'il existe une espérance de succès suffisante dans le traitement, de nature à rendre l'invention dépourvue d'activité inventive.

En l’espèce, dès la publication des résultats des essais de phase 2b, l'homme du métier - ici, une équipe pluridisciplinaire, constituée d'un médecin ayant une expérience dans le traitement de la sclérose en plaques et d'un pharmacologue - avait connaissance des effets indésirables de la dose à 720 mg et était fortement incité à réduire la dose de DMF à administrer. Il savait également, par ses connaissances générales, qu'il était préférable de choisir un dosage posologique limitant les prises à deux par jour. Sans changer la forme galénique du produit entre les deux phases d'essais pour ne pas en modifier la biodisponibilité, il était ainsi nécessairement amené à tester la dose de deux comprimés de 120 mg deux fois par jour, soit la dose de 480 mg par jour. L’homme du métier avait ainsi l'espoir raisonnable que cette dose quotidienne était sûre et efficace pour le traitement de la sclérose en plaque.

Aussi, le défaut d'activité inventive du brevet apparaît comme un moyen sérieux de nature à remettre en cause l'apparente validité de ce titre. Au vu des risques encourus de part et d'autre, les demandes présentées en référé apparaissent disproportionnées.

Tribunal judiciaire de Paris, ord. de référé, 6 octobre 2022, 22/55799 (B20220084)
Biogen France SAS et Biogen MA Inc. c. Mylan Ireland Ltd et Viatris Santé SAS

[1] Voir dans ce sens : Cass. com., 6 déc. 2017, Merck Sharp & Dohme Corp. c. Teva Santé SAS et TEVA Pharmaceutical Industries Ltd, 15-19.726 ; B20170184 ; PIBD 2018, 1087, III-73 ; D. IP/IT, janv. 2018, p. 14, note de N. Maximin ; Propr. industr., févr. 2018, p. 37, note d'E. Py ; D. IP/IT, mars 2018, p. 186, note de F. Pollaud-Dulian ; Propr. intell., 67, avr. 2018, p. 83, note de J-C Galloux ; L'Essentiel, févr. 2018, p. 2, note de P. Langlais ; Propr. industr., juill.-août 2018, p. 30, note d'H. Gaumont-Prat : « Lorsqu'une revendication porte sur une application thérapeutique ultérieure d'une substance ou d'une composition, l'obtention de cet effet thérapeutique est une caractéristique technique fonctionnelle de la revendication, de sorte que si, pour satisfaire à l'exigence de suffisance de description, il n'est pas nécessaire de démontrer cliniquement cet effet thérapeutique, la demande de brevet doit toutefois refléter directement et sans ambiguïté l'application thérapeutique revendiquée, de manière que l'homme du métier comprenne, sur la base de modèles communément acceptés, que les résultats reflètent cette application thérapeutique. ».