Jurisprudence
Marques

Dépôt de la marque CHRISTIAN LACROIX avec l'autorisation du créateur - Nom patronymique inopposable à titre de droit antérieur

PIBD 1141-III-3
CA Paris, 28 février 2020, avec une note

Validité de la marque de l'UE (oui) - Droit antérieur - Nom patronymique - Dépôt de mauvaise foi - Marque trompeuse - Nom du créateur - Protocole d'accord - Cession de la marque française - Portée du contrat - Dépôt de marques éponymes - Autorisation du créateur

Validité de la marque de l'UE (non) - Dépôt de mauvaise foi - Produits ou services visés - Entrave à l'activité d'autrui

Texte
Marque n° 7 237 761 de la SNC Christian Lacroix
Texte

Dans le cadre d’un protocole d’accord, un créateur s’est obligé, vis-à-vis de la société à laquelle était cédée la marque française CHRISTIAN LACROIX et avec laquelle il commençait à collaborer en tant que directeur artistique, à lui « apporter son concours pour toutes démarches, formalités et actes utiles à la constatation du transfert, aux dépôts, extensions, et renouvellements, dans tous classes et pays, ainsi qu'à la protection de la marque CHRISTIAN LACROIX ». Il s'est également interdit de se servir du nom « Christian Lacroix » pour quelque usage professionnel ou commercial que ce soit, si ce n'est dans l'intérêt de la société. Ces engagements ne relèvent pas de la prohibition des engagements perpétuels. Ce sont des engagements à exécution successive qui ne peuvent avoir, en tant que tels, pour effet d'entraîner la nullité du contrat de cession.

S’agissant de la portée de ce contrat, il est certain que le créateur a accepté, non seulement que la marque française portant son nom patronymique soit cédée à la société cocontractante, mais que cette dernière soit autorisée à déposer d'autres marques pour d'autres produits ou d'autres pays afin de protéger ce signe. Lorsque la société a déposé la marque de l'Union européenne CHRISTIAN LACROIX, le créateur, qui continuait à collaborer avec elle par l’intermédiaire de sa propre société, n’avait pas mis fin à ses engagements. Au regard de l'historique des relations ayant existé entre les parties et de la pérennité de leur collaboration, il ne peut être retenu aucune mauvaise foi, ni aucune volonté de tromper le public sur la qualité ou la nature du produit ou du service. Cette marque, à laquelle était également opposé le nom patronymique à titre de droit antérieur, est donc valable.

En revanche, la marque de l'Union européenne CHRISTIAN LACROIX, que la société cocontractante a déposée après avoir envoyé une mise en demeure de cesser l’usage du signe « Designed by Mr Christian Lacroix » pour la promotion de meubles et de lampes réalisés par le créateur, doit être annulée. Le dépôt a été effectué notamment pour des luminaires et les bougies, non visés par sa marque de l'Union européenne antérieure qui désignait, entre autres produits, les vêtements, les chaussures et les sacs à main, dans le but de justifier l’action en contrefaçon qu'elle souhaitait engager contre la société commercialisant les produits incriminés. Les bougies peuvent en effet être considérées comme des produits similaires aux lampes et aux meubles dès lors qu'elles concourent à la décoration d'un intérieur et à son éclairage. La mauvaise foi est donc caractérisée.

Cour d'appel de Paris, pôle 5, 2e ch., 28 février 2020, 2019/02361 (M20200056)
Christian Lacroix SNC c. Christian L, XCLX EURL, Sicis France SASU et al.
(Confirmation partielle TGI Paris, 3e ch., 3e sect., 10 janv. 2014, 2011/12674, M20140295 ; sur renvoi après cassation CA Paris, pôle 5, 2e ch., 10 oct. 2014, 2014/01577, M20140543 ; Cass. com., 8 févr. 2017, B/2014/28232, M20170069, PIBD 2017, 1068, III-210, Propr. industr., avr. 2017, p. 37, note de P. Tréfigny, L'Essentiel, avr. 2017, p. 5, note de F. Herpe, RJDA, mai 2017, p. 428, note)

Titre
NOTE
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Cette décision peut être rapprochée d’une autre affaire dans laquelle il était également question des relations houleuses entre un créateur et une société créée spécialement pour la conception et la commercialisation de ses créations et qui était autorisée, à cette fin, à exploiter des marques constituées de son prénom ou de son nom patronymique. Dans cette espèce, la créatrice, qui était liée à l’entreprise par un contrat de travail en tant que directrice artistique, a été par la suite licenciée. Si, elle n’a pas pu faire annuler les protocoles d’accord et la cession de ses marques conclus avec la société Inès de La Fressange, elle a réussi à obtenir la résiliation de cet ensemble contractuel, aux torts de cette dernière, en raison de la violation d’une clause déterminante du contrat de travail, ce qui a entraîné la radiation de toutes les marques cédées et de celles déposées ultérieurement par la société (TGI Paris, 3e ch., 1re sect., 7 sept. 2005, Inès S c. Inès de La Fressange SA et al., 2005/05683 ; M20050515). 

Dans l’acte de cession, la créatrice s’interdisait « d’utiliser ou d'autoriser l'usage par qui que ce soit de son nom patronymique, accompagné ou non de son prénom et de leurs dérivés pour quelque usage commercial, artisanal ou professionnel que ce soit, concurrent ou non des activités de la société (…) ». Le tribunal a constaté que la créatrice avait fait de son nom un signe distinctif, élément du fonds de commerce et du patrimoine de la société, et qu’il s'était donc détaché partiellement de la personne physique. L'interdiction de céder son nom pour des activités concurrentes était dès lors parfaitement valable, l’aspect patrimonial du nom obéissant, non pas aux règles des droits de la personnalité, mais à celles du droit des signes distinctifs ou du droit des contrats. En revanche, les juges ont considéré que l'interdiction d'utiliser ou de céder, sans l’autorisation de la société Inès de La Fressange, le nom pour des activités non concurrentes devait être réputée non écrite, comme ne se limitant pas au champ de l'activité économique de la société et étant contraire au principe de la liberté du travail, à celui de la liberté du commerce et de l'industrie et au principe de spécialité.

Lors d’une procédure antérieure opposant les mêmes parties, la société Inès de La Fressange avait été déchue de ses droits sur toutes les marques cédées ou déposées postérieurement, celles-ci étant devenues trompeuses de son fait. La cour d’appel de Paris avait en effet estimé qu’une confusion était entretenue dans l’esprit des consommateurs entre la créatrice, qui n’exerçait plus aucune fonction au sein de l’entreprise, et ces marques constituées de son prénom et de son nom patronymique, tous deux notoires, la société tentant de maintenir artificiellement un lien entre les produits qu’elle commercialisait et l’image attachée à la personnalité de la créatrice (CA Paris, 4e ch., sect. A, 15 déc. 2004, Inès de La Fressange SA c. Inès S et al., 2004/20120 ; M20040654 ; PIBD 2005, 803, III-142 ; JCP G, 28, 13 juill. 2005, p. 1348, note de F. Bossé et M. Vignaud ; Légipresse, 221, mai 2005, III, p. 92, note de P. Tafforeau ; Gaz. Pal., 133-134, 13-14 mai 2005, p. 27, note de M. Boucard ; D. aff., 16, 21 avr. 2005, p. 1102, note d'A. Mendoza-Caminade ; D. aff., 11, 17 mars 2005, p. 772, note de P. Allaeys ; Comm . com. électr., févr. 2005, p. 46, note de C. Caron). Cet arrêt a été cassé sur ce point, mais pour une question de recevabilité de l’action en déchéance (Cass. com., 31 janv. 2006, Z/2005/10116 ; M20060032 ; PIBD 2006, 827, III-255 ; JCP E, 20-21, 18 mai 2006, p. 910, note d'Alexandra Mendoza-Caminade ; Comm . com. électr., avr. 2006, p. 27, note de C. Caron ; D. aff.,  12, 23 mars 2006, p. 861, note de P. Allaeys).

Dans l’affaire mettant en jeu les marques Christian Lacroix, la demande en déchéance de la marque française, qui avait également été formée sur le fondement de l’article L. 714-6 b) du Code de la propriété intellectuelle, a été rejetée tant en première qu’en seconde instance. Il était reproché à la société Christian Lacroix d’avoir, depuis la cessation de son partenariat avec le créateur, volontairement entretenu le public, à travers une communication où le créateur s'exprimait à la première personne, dans la croyance que celui-ci collaborait toujours avec elle. La marque aurait donc été de nature à induire en erreur le consommateur sur l'origine des produits, celui-ci pensant acquérir des modèles réalisés par le créateur. S’appuyant sur des décisions des juridictions européennes, les juges d’appel ont relevé qu’aucun des éléments versés aux débats n’était assez déterminant pour retenir une intention dolosive (CA Paris, pôle 5, 2e ch., 10 oct. 2014, Christian Lacroix SNC c. Christian L et al., 2014/01577 ; M20140543). Il ne pouvait ainsi être reproché à la société Christian Lacroix de reproduire, pour raconter l’histoire de la maison de couture, des textes rédigés par le créateur auquel elle avait été liée durant plus de vingt ans. De plus, rien ne laissait croire que le créateur était toujours le directeur artistique de la société. Le changement de directeur artistique avait été largement relayé par la presse et il n’était pas démontré que, par un acte positif, « de son fait » selon les termes du texte précité, la société Christian Lacroix avait voulu faire croire qu'il s'agissait de fausses informations.

Cécile Martin
Rédactrice au PIBD