Jurisprudence
Marques

Opposition à enregistrement - Marque notoirement connue LA FRANÇAISE DES JEUX / demande de marque La Française des Yeux

PIBD 1141-III-4
CA Versailles, 30 avril 2020, avec une note

Opposition à enregistrement - Marque notoirement connue - Similarité des produits - Imitation - Impression d'ensemble différente - Tout indissociable - Risque de confusion ou d'association - Opposition non fondée

Texte

 LA FRANÇAISE DES JEUX

Demande d’enregistrement de la marque française La Française des Yeux
Texte

L'opposition fondée sur la marque non déposée LA FRANÇAISE DES JEUX, invoquée comme notoirement connue, à l’encontre de la demande d’enregistrement portant sur le signe La Française des Yeux a été à juste titre rejetée.

L’opposant ne pouvait invoquer les dispositions de l’article L. 713-5 du CPI relatives à la protection d’une marque jouissant d’une renommée, celles-ci étant inapplicables dans le cadre de la procédure d’opposition1. En revanche, il pouvait invoquer, sur le fondement de l'article L. 711-4 du code, l’atteinte à un droit antérieur constitué par une marque notoirement connue au sens de l’article 6 bis de la convention de Paris. En l’espèce, les pièces soumises par le titulaire lors de la procédure d’opposition démontrent la notoriété acquise par le signe LA FRANÇAISE DES JEUX dans le domaine des jeux. Si la preuve de l'exploitation de ce signe pour d'autres services, tels que le sponsoring sportif, le mécénat sportif, l'éducation, la formation, l'édition d'applications informatiques, est rapportée, le caractère notoire du signe pour les désigner n'est pas établi.  

Les jeux, qui constituent les seuls produits pour lesquels la notoriété du signe antérieur a été établie, ne sont pas similaires aux logiciels désignés par la demande d’enregistrement. En effet, ces derniers, qui s'entendent de programmes informatiques permettant à un ordinateur d'exécuter une tâche particulière, n'ont ni la même nature, ni la même fonction que les jeux qui recouvrent des articles ludiques destinés au divertissement. Ces produits ne présentent pas de lien étroit et obligatoire, l'emploi généralisé de l'outil informatique ne pouvant conduire à confondre tous les produits et services dont il est le support.

Il n’existe pas de risque de confusion ou d’association entre les signes en cause. S’ils ont en commun les termes « la française des » susceptibles d'évoquer la nationalité française ou l'origine géographique d'une société commerciale, ils diffèrent néanmoins par les vocables finaux qui apportent une information sur les domaines d'activités dans lesquels interviennent les sociétés. Le consommateur d'attention moyenne percevra les signes comme un tout indissociable formant un ensemble ayant une signification propre et identifiera une société proposant des divertissements et une société spécialisée dans l'optique. Par conséquent, les signes produisent visuellement, phonétiquement et surtout intellectuellement une impression d'ensemble distincte, que ne peut compenser la connaissance notoire du signe antérieur dans le domaine des jeux.

Cour d’appel de Versailles, 12e ch., 30 avril 2020, 2019/07248 (M20200094)2
La Française des Jeux SA c. INPI et Sylvain V
(Rejet recours c. décision INPI, 5 sept. 2019 ; O20184984)

Titre
NOTE :
Texte

Les tribunaux ont statué, à plusieurs reprises, sur des affaires relatives à des oppositions à l’enregistrement d’une marque française formées sur la base d’une marque antérieure non déposée, qui est invoquée par l’opposant comme étant notoirement connue au sens de l'article 6 bis de la convention de Paris. La faculté d’agir sur la base d’une telle marque était offerte à l’opposant par l’article L. 712-4, al. 1, 1° du Code de la propriété intellectuelle bien avant la réforme dite du « Paquet Marque ». La notoriété doit être établie pour les produits ou services qu’il oppose, au jour de la demande d’enregistrement contestée. Il ressort d’une jurisprudence constante qu’une marque est notoirement connue lorsqu’elle est connue d’une large fraction du public concerné par les produits ou services en cause, dans une partie substantielle du territoire national. Les juges français se réfèrent en effet au principe qui a été dégagé, pour la marque de renommée, par l’arrêt General Motors de la Cour de justice de l’Union européenne, ainsi qu’aux éléments pertinents que celle-ci a prescrits pour établir la renommée, à savoir, notamment, la part de marché détenue par la marque, l’intensité, l’étendue géographique et la durée de son usage, ainsi que l’importance des investissements réalisés pour la promouvoir (CJCE, 14 sept. 1999, General Motors Corporation, C-375/97 ; PIBD 2000, 690, III-39 ; Rec. CJCE et TPICE, 1999-8/9 (A), p. 5435, concl. de Me Jacobs ; D, 2001, n° 5, p. 449, obs. de S. Durrande).

Dans ses décisions ayant fait l’objet d’un recours, le directeur général de l’INPI a reconnu à de rares occasions la notoriété de la marque non déposée invoquée, sans toutefois retenir de risque de confusion entre les signes en litige. C’est le cas dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt de la cour d’appel de Versailles, ci-dessus présenté, qui a estimé établie la notoriété de la marque non déposée LA FRANÇAISE DES JEUX dans le seul domaine des jeux. Antérieurement, la même juridiction a approuvé le rejet, par le directeur général de l’INPI, de l’opposition formée sur la base de la marque non déposée LE ZAPPING (CA Versailles, 12e ch., 3 juill. 2018, Société d’édition de Canal+ SA c. INPI et al., 2018/02091 ; M20180269 ; PIBD 2018, 1099, III-523 ; Comm. com. électr., juin 2019, p. 14, note de B. Montels). Celui-ci avait reconnu la notoriété de la marque, au sens de l’article 6 bis, dans sa présentation particulière sur deux lignes et pour certains des services qui étaient visés à l’appui de l’opposition, soit les divertissements télévisés et émissions télévisées. Mais, ces derniers n’avaient pas été jugés similaires aux services visés dans la demande d’enregistrement contestée LE Z#PPING DE LA TÉLÉ et aucun risque de confusion n’avait été établi entre les signes.

Dans une affaire plus ancienne, la décision du directeur général de l’INPI a été annulée pour avoir rejeté l’opposition formée à l’encontre de la demande d’enregistrement portant sur le signe VDB ORIENT EXPRESS (CA Paris, 4e ch., sect. A, 25 févr. 2003, Société Nationale des Chemins de Fer Français c. INPI et al., 2002/17955 ; M20030081 ; D, Cahier droit des affaires, 38, 30 oct. 2003, p. 2631, note de S. Durrande). Les juges l’ont approuvée en ce qu’elle a dit que la marque antérieure non enregistrée ORIENT EXPRESS était notoire pour désigner, non seulement les services de transport ferroviaire, mais également des produits revêtus de cette marque pouvant être achetés à bord du célèbre train ou dans les boutiques cadeaux Orient Express (bijouterie, papeterie, imprimerie, maroquinerie). L’opposant justifiait donc de droits antérieurs sur cette marque dans le même secteur d’activité commerciale que celui des produits ou services désignés dans la demande d’enregistrement. Cependant les juges ont estimé, contrairement à la décision contestée, que les ressemblances prépondérantes entre les signes ne pouvaient que créer un risque de confusion dans l’esprit du public.

Dans la très grande majorité des affaires ayant donné lieu à un recours devant les tribunaux, l’opposant n’est pas parvenu à établir, lors de la procédure devant l’INPI, la notoriété de son signe en tant que marque, au sens de l’article 6 bis de la convention de Paris, pour les produits ou services visés par son opposition. Dès lors, les juges ont considéré que le directeur général de l’INPI, qui se fondait, pour les plus récentes de ces affaires, sur les dispositions des articles R. 712-14 et R. 712-15 du Code de la propriété intellectuelle, ainsi que sur celles de l’article 4 II de l’arrêté du 31 janvier 1992, avait à juste titre déclaré les oppositions irrecevables.

Ainsi, il a été jugé que les pièces fournies par l’opposant n’établissaient pas la notoriété du signe Earth, Wind and Fire, à titre de marque, en France (CA Paris, pôle 5, 2e ch., 15 déc. 2017, Earth, Wind & Fire IP LLC c. INPI et al., 2017/00728 ; M20170519 ; Propr. Intell., 67, avr. 2018, p. 60, note de J. Canlorbe). Le groupe de musique américain éponyme était indiscutablement connu, y compris en France, à la date de l’enregistrement de la marque internationale dont la demande d’enregistrement litigieuse était la transformation. Cependant les juges ont estimé que la notoriété du groupe et de son nom ne signifiait pas pour autant l’usage du signe Earth, Wind and Fire, à titre de marque, pour désigner des services liés à des concerts, la représentation de spectacles et divertissements, des supports d’enregistrement (disques, CD et DVD) et des T-shirts. Dans une autre affaire, le requérant opposait à l’enregistrement de la marque THE YELLOW LABEL BY DUCRU-BEAUCAILLOU le signe antérieur Yellow Label qu’il qualifiait de marque non enregistrée notoirement connue (CA Douai, 1re ch., 2e sect., 25 sept. 2012, MHCS SCS c. INPI et al., 2011/07002, M20120472, PIBD 2012, 972, III-751 ; voir aussi CA Douai, 1re ch., 2e sect., 29 sept. 2012, MHCS SCS c. INPI et al., 2011/06915, M20120623). Si la preuve de l'usage d'une étiquette jaune (accompagnée de la marque Clicquot Ponsardin) pour distinguer une bouteille de champagne était rapportée et si cette étiquette était désignée à l'étranger par la mention « Yellow Label », aucun document n'attestait d'une quelconque exploitation de ce signe en France.

Dans d’autres litiges, la notoriété de la marque non déposée n’a pas davantage été établie (CA Paris, pôle 5, 1re ch., 1er déc. 2015, Me Bertrand J c. INPI et al., 2015/07940 et 2015/10651, M20150514, signe Landowski Fondeur ; CA Bordeaux, 1re ch. civ., sect. A , 10 mars 2014, Jean S c. INPI et al., 2013/01331, M20140102, RLDI, 104, mai 2014, p. 25, note de J. de Romanet, L'Essentiel, juill. 2014, p. 6, note de D. Lefranc, Les Petites Affiches, 255, 22 déc. 2016, p. 23, note, signe Alphazomes ; CA Lyon, 1re ch. civ., sect. A, 25 juill. 2013, Commune de Chatel-Guyon c. Philippe A et al., 2013/00750, M20130414, signe Chatel-Guyon ; CA Paris, pôle 5, 1re ch., 9 juin 2010, Me Jean-Paul J et al. c. INPI et al., 2009/15784, M20100335, signe ILIOS MORIA ; CA Paris, 4e ch., sect. A, 9 avr. 2008, Elef SARL et al. c. INPI et al., 2007/16051, M20080346, signe LES CAHIERS D’OR ; CA Paris, 4e ch., sect. B, 15 févr. 2008, Ville de Baie-Mahault c. INPI et al., 2007/13955, M20080153, signe FESTIVAL LOKANS VOIX SACRÉES).

La difficulté pour une personne revendiquant une marque non déposée, au sens de l’article 6 bis de la convention de Paris, à rapporter la preuve de la notoriété de son signe en tant que marque ressort également de la jurisprudence relative aux demandes en nullité de marque pour atteinte à un droit antérieur. À notre connaissance, les juges du fond n’ont annulé une marque sur le fondement de l’ancien article L. 711-4 a) du Code de la propriété intellectuelle qu’à une seule occasion. Dans cette affaire, les demandeurs avaient rapporté la preuve que leur marque d’usage KKR était notoirement connue d’une partie significative du public, tant en France qu’à l’étranger, et la marque contestée KKR&PE a été annulée (CA Paris, pôle 5, 2e ch., 16 nov. 2012, Kohlberg Kravis Robert & Co. SAS et al. c. United Reserve (Holdings) City Development Investment Ltd, 2010/19497 ; M20120549 ; PIBD 2013, 975, III-883).

Dans les autres litiges, les juges du fond n’ont pas retenu l’existence d’une marque notoirement connue à la date du dépôt de la marque contestée. Dans une affaire, la société demanderesse invoquait, pour demander la nullité des marques postérieures TROIS ETOILES, un droit antérieur portant sur un symbole représentant une étoile (TGI Paris, 3e ch., 4e sect., 25 mars 2010, Manufacture Française des Pneumatiques Michelin c. Jean-Dominique N et al., 2009/09817 ; M20100205). Les juges ont dit que les étoiles, utilisées dans le Guide Michelin depuis de nombreuses années pour distinguer et classer les restaurants en fonction de leurs qualités gastronomiques, n’avaient pas pour objet d'identifier la publication, ni d'en indiquer l'origine. Elles ne remplissaient donc pas la fonction essentielle de la marque et ne pouvaient donc être considérées comme telle. Dans une autre affaire, la cour d’appel de Paris a jugé que la Fédération Française de Football ne pouvait se prévaloir d’une antériorité sur une prétendue marque non déposée notoire constituée par le slogan « allez les bleus » (CA Paris, 4e ch., sect. A, 12 nov. 2003, Association Fédération Française de Football et al. c. Allez Les Bleus SARL et al., 2002/14941 ; M20030820 ; PIBD 2004, 780, III-102 ; Les Petites Affiches, 22, 1er févr. 2005, p. 14, note de C.-A. Maetz). Elle a estimé que cette expression était celle des supporters de l’ensemble des équipes nationales françaises et que la demanderesse ne pouvait s’arroger l’usage de ce slogan dès lors qu’il fait partie du patrimoine populaire et sportif français.

D’autres décisions ont statué dans le même sens (TGI Paris, 3e ch., 3e sect., 24 oct. 2007, Lux Management Holding SA et al. c. Cult Industries Europe SARL et al., 2006/13584, M20070565, signe CULT ; TGI Paris, 3e ch., 3e sect., 25 avr. 2007, DJ Center Records SARL c. Futuria Production SARL et al., 2005/16448, M20070257, signe IBIZA WORLD TOUR ; CA Paris, 4e ch., sect. A, 21 juin 2006, Éditions Jibena & Cie SA et al. c. Euro Services Internet et al., 2005/12545, M20060395, signes MOTS MÉLÉS et Multijeux ; TGI Paris, 3e ch., 1re sect., 6 juill. 2005, Novapress SA et al. c. Novamétrie SARL et al., 2002/10215, M20050423, signe NOVA).

Conformément aux nouvelles dispositions de l’article L. 711-3, I, 1° et II, 3° du Code de la propriété intellectuelle, issues de l’ordonnance n° 2019-1169 du 13 novembre 2019 ayant transposé la directive (UE) 2015/2436 du 16 décembre 2015, la marque notoirement connue au sens de l’article 6 bis de la convention de Paris constitue une marque opposable à titre de droit antérieur, comme la marque enregistrée. Elle continue donc à pouvoir être invoquée pour fonder une demande en nullité d’une marque postérieure. Et il résulte de la combinaison de ces dispositions avec celles de l’article L. 712-4, al. 1, 1°, tel que modifié, qu’elle peut toujours servir de fondement à une opposition à l’enregistrement d’une marque. Dans ces deux situations, l’atteinte à la marque notoirement connue est constituée, comme avant la réforme, lorsque le signe second est identique à cette marque et utilisé pour des produits ou services identiques à ceux pour lesquels la marque est notoirement connue ou lorsqu’il existe un risque de confusion entre les signes, à raison de leur identité ou similarité et de l’identité ou similarité des produits ou services.

Certains auteurs s’interrogent sur l’articulation des articles précités avec l’article L. 713-5 du Code de la propriété intellectuelle, tel qu’il a été modifié par l’ordonnance n° 2019-1169 (Voir Propr. industr., n° 6, juin 2020, étude « La nouvelle opposition à l'enregistrement des marques devant l'INPI » de J. Passa et P. Rodhain). Selon les dispositions de cet article, la marque notoirement connue bénéficie d’un régime de protection fondé, non pas sur la contrefaçon, mais sur la responsabilité civile. Dans sa version antérieure, il prévoyait déjà, dans son second alinéa, que les dispositions relatives au régime spécifique de la marque de renommée étaient applicables à la marque notoirement connue. Il est dorénavant également possible d’agir sur le fondement de cet article en invoquant les critères classiques de l’atteinte à une marque.

Sylvie Lepoutre
Rédacteur au PIBD

1 Dans le cadre de la réforme dite du « paquet marque », l’article L. 712-4 du CPI a été modifié par l’ordonnance n° 2019-1169 du 13 novembre 2019, transposant la directive (UE) 2015/2436 du 16 décembre 2015. La marque jouissant d'une renommée a été ajoutée à la liste des droits antérieurs pouvant être invoqués dans le cadre d’une procédure d’opposition devant l'INPI. Ces nouvelles dispositions sont applicables aux oppositions formées à l'encontre d'une demande d'enregistrement qui a été déposée à compter du 11 décembre 2019, date d'entrée en vigueur du décret n° 2019-1316 du 9 décembre 2019 pris pour l'application de l’ordonnance.

2Un arrêt similaire sur la comparaison des signes a été rendu par la cour d’appel de Versailles le même jour, entre les mêmes parties, concernant l’opposition à l’enregistrement du même signe litigieux La Française des Yeux formée sur la base de la marque verbale LA FRANÇAISE DES JEUX n° 1 759 491 (CA Versailles, 12e ch., 30 avr. 2020, La Française des Jeux SA c. INPI et al., 2019/07236 ; M20200093).