Jurisprudence
Marques

Dépôt frauduleux de la marque NEW YORK FAIR & LOVELY pour bloquer l'entrée sur le marché français de produits commercialisés à l'étranger sous le signe « Fair & Lovely »

PIBD 1167-III-3
Cass. com., 17 mars 2021

Validité de la marque française - Dépôt frauduleux - Application du droit de l'UE - Dépôt de mauvaise foi - Exploitation antérieure d'un signe similaire à l'étranger - Connaissance de cause - Professionnel averti - Absence d'intention d'usage - Volonté d'entraver une future exploitation du signe en France - Intérêts sciemment méconnus

Parasitisme - Volonté de s'inscrire dans le sillage d'autrui - Imitation du conditionnement - Offre en vente sur un site internet

Texte
Marque n° 3 846 047 de la société Technopharma
Texte

L'article 3, § 2, d) de la directive 89/104/CEE[1] prévoit qu'une marque peut être annulée dans le cas où la demande d'enregistrement a été faite de mauvaise foi. L'article 4, § 4, g) vise, parmi les motifs de nullité concernant les conflits avec des droits antérieurs, le cas où la marque peut être confondue avec une marque utilisée à l'étranger. Selon une jurisprudence constante de la Cour de justice de l'Union européenne, la transposition d'une directive n'exige pas nécessairement une reprise formelle et textuelle de ses dispositions dans une disposition légale ou réglementaire expresse et spécifique.

Toute marque déposée en fraude des droits d'autrui est nécessairement déposée de mauvaise foi. Par conséquent, la jurisprudence française rendue avant et après la directive 89/104/CEE, selon laquelle l'annulation d'une telle marque peut être demandée sur le fondement du principe « fraus omnia corrumpit », combiné avec l'article L. 712-6 du CPI, s'inscrit dans le cadre des motifs d'annulation prévus par la directive et satisfait aux exigences de la Cour de justice en matière de transposition. Dans l'arrêt attaqué, la cour d'appel a donc pu annuler la marque française NEW YORK FAIR & LOVELY au motif qu'elle avait été déposée de mauvaise foi et en fraude des droits de la société demanderesse.

Elle a exactement jugé qu’en procédant au dépôt de ce signe sans avoir eu l'intention d'en faire usage pour ses propres produits, tandis qu’elle avait connaissance de l’usage, par la société demanderesse, du signe « Fair & Lovely » pour des produits de même nature, la société défenderesse avait cherché à bloquer ou gêner l'entrée des produits de cette société sur le marché français et, ainsi, méconnu sciemment ses intérêts.

Après avoir énoncé qu'un dépôt de marque est frauduleux lorsque le déposant l'effectue dans l'intention de priver autrui d'un signe nécessaire à son activité, elle a relevé que la société demanderesse justifiait de la commercialisation d'une crème dermatologique éclaircissante dénommée « Fair & Lovely », d’abord en Inde, puis au Royaume-Uni, ainsi que de l’immense succès rencontré par le produit au Maroc, en Turquie et dans les pays du Golfe. Elle en a déduit qu’en raison de l'étendue de ce secteur de distribution, cette dénomination était nécessairement connue des professionnels proposant un produit similaire, destiné à une clientèle très ciblée. La cour d’appel a ainsi pu caractériser, à la date du dépôt de la marque française, la politique de développement de la société demanderesse dans de nouveaux pays, notamment en Europe, ainsi que la connaissance de cette volonté d'extension par la société défenderesse. En tant que professionnelle spécialisée dans le même type de produit, celle-ci est nécessairement à l'affût de l'existence de tout produit concurrent, bien qu'elle commercialise ses produits aux États-Unis, un marché géographiquement distinct.

La cour d'appel a ajouté que la société défenderesse, qui détient la marque américaine PARIS FAIR & WHITE, ne justifiait d'aucun besoin, pour assurer la protection de ses propres produits, de recourir à un dépôt de marque sur le signe litigieux aux États-Unis et en France. La déposante ne démontrait donc pas avoir poursuivi un but légitime, exclusif de mauvaise foi. Si elle prétendait être fondée à assurer la protection de ses droits en France où elle fait fabriquer ses produits, elle a toutefois reconnu n'avoir jamais fait usage de ce signe pour commercialiser des produits sur ce territoire.

Cour de cassation, ch. com., 17 mars 2021, 18-19.774 (M20210077 ; Légipresse, 394, juill.-août 2021, pp. 327 et 339, C. Piedoie ; RTDCom., 2, avril-juin 2021, p. 341, J. Passa)
Technopharma Ltd c. Unilever NV et Unilever PLC
(Rejet pourvoi c. CA Paris, pôle 5, 2e ch., 12 janv. 2018, 16/07959 ; M20180002 ; PIBD 2018, 1091, III-238)

[1] En ce qui concerne cette disposition, le législateur français ne l’avait pas transposée en droit interne, la directive 89/104/CEE du 21 décembre 1988 proposant juste une option aux États-membres. La directive (UE) 2015/2436 du 16 décembre 2015, adoptée dans le cadre de la réforme européenne du droit des marques, dite du « Paquet Marques », dispose dans son article 4 § 2 : « Une marque est susceptible d'être déclarée nulle si sa demande d'enregistrement a été faite de mauvaise foi par le demandeur. Un État membre peut aussi prévoir qu'une telle marque est refusée à l'enregistrement ». Le grief relatif au dépôt de mauvaise foi a alors été intégré, par l'ordonnance n° 2019-1169 du 13 novembre 2019, aux motifs de nullité absolue figurant à l’article L. 711-2 du Code de la propriété intellectuelle.