Jurisprudence
Marques

Dépôt frauduleux des marques SEVERAC, MARIE SÉVERAC et LE SEVERAC pour désigner notamment les fromages - Volonté d’entraver l’exploitation du signe d’autrui

PIBD 1217-III-3
CA Lyon, 12 octobre 2023

Recevabilité de la demande en concurrence déloyale (non) - Demande nouvelle en appel - Nouvelle dénomination contestée - Lien suffisant avec la demande initiale - Demande ne tendant pas aux mêmes fins - Accessoire, conséquence ou complément nécessaire

Validité des marques verbales et semi-figurative (non) - Dépôts frauduleux (oui) - Dépôts de mauvaise foi - Usage commercial antérieur - Connaissance de cause - Secteur d’activité identique - Lieu de commercialisation - Mise en demeure - Entrave à l'exploitation du signe d'autrui - Existence d'intérêts sciemment méconnus - Annulation partielle

Déchéance partielle de la marque verbale (oui) - Usage sérieux - Cession de la marque - Acte isolé

Concurrence déloyale (oui) - Utilisation de la dénomination - Usage commercial antérieur par le demandeur - Situation de concurrence - Produits identiques - Composition différente - Conditionnements différents - Circuits de distribution - Adjonction d’une marque ombrelle - Secteur géographique - Risque de confusion ou d’association

Préjudice - Chiffre d’affaires - Baisse des ventes

Texte
Marque n° 3 630 625 de la société Maison Marie Severac
Marque n° 4 001 851 de la société Maison Marie Severac
Marque n° 4 198 186 de la société Maison Marie Severac
Texte

Les marques verbales et semi-figurative SEVERAC, Marie Séverac et LE SEVERAC sont annulées, pour dépôts frauduleux, en ce qu’elles visent notamment les fromages, le lait et les produits laitiers.

La société demanderesse distribue ses fromages sous la dénomination « Le Séverac » depuis le début des années 2000, alors que les marques litigieuses ont été déposées entre 2009 et 2015. Ce laps de temps concourt à présumer la connaissance que la société défenderesse avait ou devait avoir des droits antérieurs sur cette dénomination. Par ailleurs, il est établi que la commercialisation des fromages de la demanderesse s’est faite par le biais de distributeurs nationaux (Carrefour, Intermarché...) et de la distribution directe. Plus de 365 tonnes de fromages ont ainsi pu être vendues entre 2001 et 2009. Ainsi, la commercialisation du fromage « Le Séverac » par la demanderesse a été continue et est représentative d'une activité économique emportant diffusion de ses produits, notamment, pour le grand public.

De plus, la demanderesse justifie de ce que son produit était commercialisé, notamment entre 2007 et 2008, dans des fromageries situées dans le Cantal, ce qui ajoute à la présomption de connaissance du produit litigieux. En effet, il s’agit de lieux proches de ceux où le déposant de la marque SEVERAC revendique des attaches. Il l’a ensuite cédée à la société poursuivie dont il est le dirigeant, qui a son siège social dans ce secteur géographique. Cette connaissance est accréditée par l'identité de nature des produits concernés, en l'occurrence le fromage, ainsi que par le fait que les deux parties interviennent dans le même secteur de l'agro-alimentaire. En outre, la défenderesse a déposé la marque semi-figurative LE SEVERAC alors que le conseil en propriété industrielle de la demanderesse lui avait adressé une lettre lui demandant de cesser toute utilisation de cette dénomination et que la procédure judiciaire était en cours.

Il peut être tenu compte d’un faisceau d’indices concordants pour établir la connaissance, par la défenderesse, des droits de la demanderesse et celle-ci s’apprécie au moment du dépôt des marques litigieuses. Sont inopérantes les considérations invoquées par la défenderesse concernant le volume restreint des produits commercialisés par la demanderesse, par comparaison avec la quantité globale de fromages commercialisés en France. Est tout aussi inopérant le moyen tiré de ce que les réseaux de distribution des produits des deux sociétés seraient différents, la preuve n’en étant pas rapportée. De même, le fait que la demanderesse n'ait pu justifier en première instance que le signe « Le Séverac » était une marque notoire est indifférent pour caractériser le défaut de connaissance de cause par la défenderesse.

Par conséquent, le déposant de la marque SEVERAC et la société défenderesse – lorsqu'elle est devenue cessionnaire de cette marque et qu'elle a déposé successivement les marques Marie Séverac et LE SEVERAC – avaient ou auraient dû avoir connaissance de l'usage antérieur de la dénomination « Séverac ».

Par ailleurs, la défenderesse n’a exploité la marque SEVERAC que de nombreuses années après son dépôt, puis elle a déposé la marque Marie Séverac qu’elle n’a exploitée que l’année suivante. Elle a ensuite déposé la marque LE SEVERAC au cours de la procédure, en sachant pertinemment que cette exacte dénomination était jusque-là utilisée par la demanderesse et alors que celle-ci lui contestait la validité des deux marques antérieures dont elle se prévalait jusqu'à alors. Ce dépôt de marque, concernant notamment les produits fromagers, venait contrecarrer l'utilisation de la dénomination antérieure par la demanderesse. Ainsi, la mauvaise foi, lors du dépôt des trois marques litigieuses, doit être considérée comme suffisamment caractérisée.

Enfin, la défenderesse se prévaut du lien personnel existant entre le patronyme « Séverac », porté par la grand-mère et l'arrière-grand-mère du fondateur et dirigeant de la société, et le choix des dénominations de marques. Toutefois, ce patronyme correspond également au nom de la commune à laquelle se réfère la demanderesse pour justifier du choix du nom de son produit, pour l’usage duquel elle avait obtenu l’accord du maire. Par ailleurs, il n’est pas établi que les aïeules du fondateur aient fabriqué ou commercialisé le produit litigieux. Le lien patronymique invoqué est ainsi inopérant pour justifier de la bonne foi de la défenderesse.

La déchéance partielle des droits de la défenderesse sur la marque SEVERAC doit être prononcée pour les produits non visés par la nullité, soit les « oeufs, produits agricoles, horticoles et forestiers ni préparés, ni transformés ». Le seul acte notable est la cession de la marque, intervenue entre son titulaire initial et la société défenderesse. Ainsi, en l'absence de tout acte antérieur, cet acte isolé ne traduit aucune utilisation de la marque sur le marché effectué aux fins de maintenir l'identification du produit auprès des consommateurs ou utilisateurs finaux et ne peut être considéré comme un usage sérieux. Il ne constitue qu'un acte de gestion, lié à la volonté du titulaire de la marque de modifier les conditions juridiques d'exploitation de la marque.

Cour d’appel de Lyon, 1re ch. civ. A, 12 octobre 2023, 21/06334 (M20230194)
Maison Marie Severac SARL c. Fromagerie de Séverac Le Château (Sofrose) SARL
(Confirmation partielle TJ Lyon, 3e ch., 18 févr. 2020, 14/14655)