Jurisprudence
Marques

Trouble manifestement illicite résultant de l’usage publicitaire des marques BUUUUUD et KING OF BEERS lors de la coupe du monde de football - Publicité non autorisée pour des boissons alcooliques

PIBD 1217-III-4
CA Paris, 24 octobre 2023

Mesures conservatoires ou de remise en état - Pouvoir du juge des référés - Utilisation publicitaire de marques et de slogans - Loi Évin - Code de la santé publique - Publicité non autorisée pour les boissons alcooliques - Trouble manifestement illicite (oui) - Interdiction et retrait des publicités

Texte
Marque n° 4 891 936 de la société Anheuser-Busch LLC
Marque n° 1 693 124 de la société Anheuser-Busch LLC
Source : https://lareclame.fr/betcparis/realisations/buuuuuud
Texte

L’association demanderesse, reconnue d’utilité publique, qui assure une prévention contre l’alcoolisme et les addictions, a assigné en référé la société défenderesse, qui produit et commercialise la bière américaine de la marque BUD sur le territoire français, afin de faire cesser l’usage des marques BUUUUUD et KING OF BEERS sur différents supports (bâche publicitaire au sein d’une gare, habillage de tramways, packaging des bouteilles…), pendant la coupe du monde de football.

L’analyse et l’interprétation des marques et des supports litigieux ne dépassent pas le pouvoir du juge des référés. Il résulte, en effet, de la rédaction de l’article 835 du Code de procédure civile que, même en présence d’une contestation sérieuse, ce juge peut faire cesser un trouble manifestement illicite, de sorte qu’il ne pourrait refuser de confronter la norme dont la violation est prétendue aux faits qui lui sont déférés pour vérifier l’existence d’un trouble illicite et son caractère manifeste, sans méconnaître l’étendue de ses pouvoirs[1].

Il est fait droit aux demandes d’interdiction concernant la marque BUUUUUD. Le juge des référés a rappelé la proximité de la date de son dépôt avec le début de la coupe du monde de football en France, dont la société défenderesse était partenaire officielle. Il a également caractérisé, à l’aide de nombreux exemples, l’emploi de la locution « Buuuuut » par les commentateurs sportifs et les amateurs de football, de sorte que la marque installe une connivence dans l’esprit du public entre le football et la boisson alcoolisée. L’emploi de cette marque, qui ne se rattache pas à l’un des éléments dont l’indication est autorisée par l’article L. 3323-4 du Code de la santé publique, constitue donc une violation manifeste de ses dispositions.

La société défenderesse ne peut arguer du fait que le terme « Buuuuud » n’est pas un slogan mais une marque, qui a été régulièrement déposée avec pour objectif d’attirer l’attention du consommateur au travers de la déstructuration orthographique. En effet, l’enregistrement d’une marque n’autorise pas, par lui-même, son utilisation publicitaire, laquelle doit se faire dans le respect des dispositions du Code de la santé publique, dont la violation est susceptible de caractériser, comme en l’espèce, un trouble manifestement illicite.

Il est également fait droit aux demandes d’interdiction relatives à la marque KING OF BEERS. La mention « King of beers » n’évoque en aucune manière une modalité de vente comme l’indique la société défenderesse, pas plus qu’une distinction, puisqu’il s’agit d’une simple manifestation d’autosatisfaction. Elle n’évoque pas plus l’origine américaine du produit, les États-Unis s’étant précisément illustrés à leur naissance par l’abandon du système de gouvernement monarchique. La marque litigieuse ne se rattache donc à aucun des éléments dont l’évocation est autorisée par l’article L. 3323-4 du Code de la santé publique. Le trouble manifestement illicite est caractérisé. Il résulte de l’association de la boisson alcoolique aux attributs de pouvoir et de puissance qu’inspire la référence à la royauté, ce qui constitue une incitation à la consommation excessive d’alcool et contrevient à l’objectif de santé publique de lutte contre l’alcoolisme.

Cour d'appel de Paris, pôle 1, 3e ch., 24 octobre 2023, 22/20719 (M20230231)
AB Inbev France SASU c. Association nationale de prévention en alcoologie et addictologie (ANPAA)

(Confirmation TJ Paris, ord. réf., 8 déc. 2022, 22/58585)

 

[1] Cass. com., 7 juin 2006, 05-19.633.