Jurisprudence
Marques

Nullité des marques ASPIVENIN pour désigner une pompe médicale à venin - Absence d’acquisition du caractère distinctif par l’usage postérieurement à leurs dépôts

PIBD 1217-III-5
CA Paris, 20 octobre 2023, avec une note

Validité des marques semi-figuratives française et de l'UE (non) - 1) Caractère distinctif intrinsèque (non) - Fonction d'indication d'origine - Néologisme - Élément dominant - Caractère descriptif - Typographie - Caractère négligeable - 2) Acquisition du caractère distinctif par l'usage (non) - Date d’appréciation - Usage à titre de marque

Texte
Marque n° 1 259 051 de la société Laboratoires Auvex
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Les marques semi-figuratives française et de l’Union européenne ASPIVENIN invoquées sont composées de la juxtaposition du préfixe « Aspi», abréviation usuelle du verbe « aspirer », et du substantif « venin ». Ce néologisme, appliqué à des pompes à usage médical, sera directement compris par le public visé, soit le personnel médical ou le consommateur moyen français, ainsi que le public francophone composant une partie pertinente du marché communautaire, comme indiquant la caractéristique essentielle de ces produits ou leur destination, à savoir aspirer le venin. Il est donc dépourvu de caractère distinctif. En effet, le signe « Aspivenin » ne peut servir à indiquer l'origine des produits. En outre, la police de caractère dans laquelle il est écrit n’est pas, en raison de son caractère négligeable, de nature à conférer à la dénomination prédominante « Aspivenin » le caractère distinctif dont cette dernière est dénuée.

Les marques en cause ne peuvent être déclarées nulles si un caractère distinctif a été acquis par l'usage qui en a été fait après leur enregistrement. En effet, la Cour de cassation, au visa des articles 6 quinquies, C, de la convention de Paris pour la protection de la propriété industrielle,  L. 711-2 du CPI, dans sa version antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2019-1169 et  52, § 2, du règlement (CE) n° 207/2009, a partiellement cassé l’arrêt qui, pour annuler les marques ASPIVENIN en ce qu’elles désignent les produits en cause, avait retenu qu’elles n'avaient pas, au moment de leurs dépôts respectifs, acquis un caractère distinctif par l'usage qui en avait été fait. Selon elle, les juges d’appel auraient dû rechercher si les marques avaient acquis un caractère distinctif par l’usage qui en avait été fait depuis leurs dépôts respectifs.

En l’espèce, la société titulaire des marques doit démontrer que le signe « Aspivenin » a acquis un caractère distinctif par l'usage à la date de dépôt de la marque contestée ASPIVEX dont elle invoque la nullité, mais aussi à la date des actes de contrefaçon qu’elle allègue. Seules les pièces antérieures à ces dates peuvent donc être prises en considération.

Les distinctions reçues par l'inventeur de la pompe à venin dénommée « Aspivenin » dans les années 80 ne caractérisent pas un usage de la marque aux fins d'identification, par les milieux intéressés, du produit comme provenant d'une entreprise déterminée. Il en va de même d'un article de presse consacré à un équipage féminin participant à une course à la voile « sous les couleurs Aspivenin ».

En outre, les quelques éléments fournis au débat, qui concernent des périodes courtes, ne démontrent pas un usage continu et intense de la marque notoire ASPIVENIN. Il est d’ailleurs relevé que l'usage en tant que marque d'un signe dépourvu de caractère distinctif intrinsèque, fût-il continu, intense et de longue durée, ne rend pas nécessairement ce signe apte à identifier les produits et services désignés dans l'enregistrement comme provenant du titulaire de la marque. Les éléments précités, pour ceux antérieurs aux actes argués de contrefaçon et qui peuvent être pris en compte, montrent pour la plupart que le signe « Aspivenin » est utilisé dans les articles de presse comme la désignation de la pompe à aspirer le venin, seul le Guide du routard mentionnant le « célèbre ASPIVENIN® ». Par ailleurs, les quelques publicités figurant dans la brochure mensuelle d’une compagnie aérienne ou dans deux numéros du Moniteur des pharmaciens et identifiant la marque ASPIVENIN comme provenant de la société titulaire sont insuffisantes à caractériser l'acquisition du caractère distinctif du signe « Aspivenin » par l'usage en tant que marque.

Par conséquent, la preuve n’est pas rapportée que le signe « Aspivenin » est devenu apte, dans l'esprit du consommateur moyen, à identifier les produits désignés à l’enregistrement comme provenant de la société titulaire. Les marques sont donc annulées.

Cour d’appel de Paris, pôle 5, 2e ch., 20 octobre 2023, 22/05796 (M20230217)
Dômes Pharma SC SAS (venant aux droits de la société Laboratoires Auvex) c. Laboratoires Novodex Pharma SARL, Sabaviam  SAS et N2P Distribution SARL
(Confirmation partielle TGI Paris, 3e ch., 4e sect., 14 avr. 2016, 14/15677, M20160243, PIBD 2016, 1053, III-568 ; sur renvoi après cassation partielle CA Paris, pôle 5, 1re ch., 23 oct. 2018, 16/14004, M20180378, PIBD 2019, 1110, III-107 ; Cass. com., 13 oct. 2021, 19-23.784, M20210236, PIBD 2021, 1171, III-2, L’Essentiel Droit de la propr. intell., 11, déc. 2021, p. 6, A.-E. Kahn)

Titre
NOTE :
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Le présent arrêt devrait mettre fin à la bataille judiciaire qui opposait, depuis de nombreuses années, la société titulaire des marques française et de l’UE ASPIVENIN à des sociétés qui commercialisent des produits identiques sous la marque ASPIVEX. À l’occasion de l’action en nullité de la marque ASPIVEX et en contrefaçon des marques ASPIVENIN, les sociétés poursuivies avaient demandé reconventionnellement la nullité des marques en raison de leur absence de caractère distinctif pour désigner les pompes à aspirer le venin.

La cour d’appel de renvoi fait droit à leur demande. Elle applique la solution retenue, dans la même affaire, par la Cour de cassation relativement à la date d’appréciation de l’acquisition du caractère distinctif d’une marque française par l’usage. Selon la Cour suprême, il résulte de l’article 6 quinquies, C, de la convention de Paris qu'une marque ne peut être annulée si, depuis la date de son dépôt, elle a acquis, par l'effet de la durée de son usage, le caractère distinctif qui lui faisait alors défaut. Et, au regard de l’article L. 711-2 du CPI, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2019-1169 du 13 novembre 2019, une marque n'est pas déclarée nulle lorsque le caractère distinctif a été acquis après son enregistrement. Tel est le cas lorsqu'une marque enregistrée sous l'empire de la loi n° 64-1360 du 31 décembre 1964 a acquis un caractère distinctif après l'entrée en vigueur, le 28 décembre 1991, de la loi n° 91-7 du 4 janvier 1991. Enfin la Cour de cassation dit qu'aux termes de l'article 52, § 2, du règlement (CE) n° 207/2009 sur la marque communautaire, lorsque la marque a été enregistrée alors qu'elle était dépourvue de caractère distinctif, elle ne peut toutefois être déclarée nulle si, par l'usage qui en a été fait, elle a acquis un tel caractère après son enregistrement. La cour d'appel a été censurée en ce qu’elle a annulé les marques française et de l'UE ASPIVENIN pour désigner des pompes d'hygiène médicale servant à aspirer le venin, en retenant qu'elles n'avaient pas, au moment de leurs dépôts respectifs, acquis un caractère distinctif par l'usage qui en avait été fait. Elle aurait dû rechercher si les marques n'avaient pas acquis un caractère distinctif par l'usage qui en avait été fait depuis leurs dates de dépôt.

La Cour de cassation a confirmé sa jurisprudence antérieure sur cette question. Ainsi, dans un arrêt du 14 mai 2013[1], elle avait posé le principe selon lequel « un signe, qui a été enregistré comme marque, alors qu'il était dépourvu de caractère distinctif, peut acquérir ultérieurement un tel caractère par l'usage qui en est fait, à titre de marque ». Ce principe a été rappelé dans un autre arrêt du 6 décembre 2016[2], par lequel la Cour de cassation semblait avoir mis un terme à une incertitude jurisprudentielle, certaines juridictions du fond ayant décidé de statuer différemment. La Cour a estimé que le législateur français avait bien usé de la faculté offerte aux États membres de l'Union européenne, par l'article 3, § 3, de la directive 2008/95/CE, de ne pas déclarer nulle une marque lorsque le caractère distinctif a été acquis par l'usage après son enregistrement. Un courant minoritaire des juges du fond en doutait, au vu des termes généraux de l'article L. 711-2 du Code de la propriété intellectuelle. Dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2019-1169 du 13 novembre 2019 qui a transposé la directive (UE) n° 2015/2436, cet article disposait en effet que « le caractère distinctif [d'un signe de nature à constituer une marque] peut être acquis par l'usage ».

Dans la présente affaire, se fondant sur ces dispositions, la Cour de cassation a rappelé à l'ordre la cour d'appel de Paris, qui semblait encore résister à sa jurisprudence pourtant bien établie.

Dorénavant, l'article L. 711-2, tel que modifié par l'ordonnance n° 2019-1169, dispose que « le caractère distinctif d'une marque peut être acquis à la suite de l'usage qui en a été fait ». Ces dispositions n'ont pas repris à l'identique celles de l'article 4, § 4, de la directive (UE) n° 2015/2436 qui prévoient qu'une marque n'est pas déclarée nulle si, « avant la date de la demande en nullité » et à la suite de l'usage qui en a été fait, elle a acquis un caractère distinctif. Mais, ces différences textuelles ne devraient pas modifier la solution qui a été retenue par la Cour suprême dans ses trois arrêts successifs rendus au regard du droit antérieur, d'autant que la directive (UE) n° 2015/2436 ne laisse plus guère le choix aux États membres sur cette question.

[1] Cass. com., Sogelink SAS c. Sig-Image SARL, 12-15.534 (M20130232 ; PIBD 2013, 987, III-1295 ; Légipresse, 306, juin 2013, p. 335 ; RJDA, oct. 2013, p. 797).

[2] Cass. com., Showroomprive.com SARL c. Vente-privee.com SAS, 15-19048 (M20160599 ; PIBD 2017, 1064, III-44 ; Légipresse, 345, janv. 2017, p. 13 ; RLDI, 133, janv. 2017, p. 18, note de L. Costes ; D IP/IT, janv. 2017, p. 4 ; Gaz Pal, 6, 7 févr. 2017, p. 25, note de L. Marino ; D IP/IT, avr. 2017, p. 226, note de C. Le Goffic; Propr. intell., 63, avr. 2017, p. 64, note de J. Canlorbe ; RTD Com, 2, avr.-juin 2017, p. 339, note de J. Azéma ; Europe, juill. 2017, p. 15, note de L. Leblond ; LPA, 58, 21 mars 2018, p. 11, note de P. Mozas).